Les réfugiés, des pions au service des conflits politiques

Des migrants au poste de contrôle Kuznitsa, à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, près de Grodno. (Photo, AP)
Des migrants au poste de contrôle Kuznitsa, à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, près de Grodno. (Photo, AP)
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Publié le Samedi 20 novembre 2021

Les réfugiés, des pions au service des conflits politiques

Les réfugiés, des pions au service des conflits politiques
  • Mettez-vous dans la peau d’un réfugié. Le désespoir d’accéder à ces prétendus paradis vous conduit à risquer votre vie dans des canots pneumatiques dangereux ou des camions bondés
  • Les pays de l’Union européenne semblent déterminés à durcir les sanctions contre la Biélorussie

Nous assistons à des déplacements massifs de milliers de réfugiés. Les guerres, les États défaillants, les régimes brutaux, ainsi que le changement climatique, ne sont pas sans conséquences. Les réfugiés suivront, comme toujours, la voie de la moindre résistance vers des pays plus riches, notamment ceux de l’Union européenne (UE). Une nouvelle route s’est ouverte à l’est, alors qu’autrefois les points d’accès étaient la mer Égée et la Méditerranée. Désormais, l’entrée se fait à travers les frontières de la Biélorussie avec la Pologne, la Lettonie et la Lituanie.

Une fois de plus, comme en 2015, les réfugiés sont déployés comme des pions involontaires dans des jeux de pouvoir politique, avec l’UE qui se retrouve en ligne de mire.

Ce cycle a commencé en juillet. Des vols supplémentaires et des visas faciles à obtenir ont attiré des réfugiés venus de Syrie, d’Irak, du Yémen et d’ailleurs en Biélorussie. Les réfugiés et les migrants servent de bélier humain pour traverser les frontières de la Pologne, de la Lituanie et de la Lettonie. Les gardes-frontières biélorusses les aident, allant même jusqu’à couper les barbelés à leur place. Ils leur fournissent également du gaz lacrymogène pour résister face aux gardes polonais.

Comment et pourquoi le font-ils?

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, suggère que l’UE verse de l’argent à la Biélorussie pour s’occuper des migrants et des réfugiés. L’Allemagne fait partie des destinations privilégiées des réfugiés, avec près de neuf mille personnes qui s’y sont installées jusqu’à présent. Mais cela pourrait également avoir un impact sur le Royaume-Uni, une autre destination privilégiée des réfugiés.

C’est du chantage pur et dur. Levez les sanctions imposées par l’UE à la Biélorussie après le vol de l’élection présidentielle d’août 2020, puis déboursez des millions d’euros et le problème disparaîtra. Il s’agit aussi de traite de personnes. Chaque réfugié débourse des milliers d’euros pour financer les passeurs et la dictature biélorusse.

Mettez-vous dans la peau d’un réfugié. Le désespoir d’accéder à ces prétendus paradis vous conduit à risquer votre vie dans des canots pneumatiques dangereux ou des camions bondés, et même à franchir des frontières renforcées. Vous vous nourrissez de chimères – les réseaux sociaux vous promettent un chemin si beau, si facile, vers une utopie européenne via la Biélorussie. Vous finissez par vous retrouver dans un no man's land où règne un froid glacial.

Des soldats biélorusses ont battu les réfugiés et les migrants. Certains prétendent que des coups de feu ont été tirés. Au moins neuf réfugiés et migrants sont morts à la frontière, dont certains d’hypothermie. Ils ont le choix entre se rendre en Pologne ou rester bloqués à la frontière, car retourner à Minsk n’est pas une option.

La Turquie, qui accueille déjà 3,8 millions de réfugiés syriens, a son propre programme. Le président, Recep Tayyip Erdogan, cherche par tous les moyens à réduire ce nombre. Les envoyer à Minsk est une manière de se décharger du problème, tout en rappelant qu’il ne faut pas oublier la Turquie. Il s’attend à ce que l’UE continue de verser de l’argent à son pays pour que les événements de 2015 ne se répètent pas.

 

«Les réseaux sociaux promettent aux réfugiés un chemin si beau, si facile, vers une utopie européenne via la Biélorussie. Ils finissent par se retrouver dans un no man's land où règne un froid glacial.» – Chris Doyle

 

On ne sait cependant pas à quel point le régime syrien lui-même encourage le processus. Cham Wings Airlines, la compagnie aérienne syrienne, a assuré des vols entre Damas et Minsk, mais elle a interrompu ce service samedi. Le régime était indéniablement heureux de laisser partir les Syriens en proie à une pauvreté abrutissante.

La Pologne accuse la Biélorussie de «terrorisme». Les positions de Varsovie sont également discutables, ses dirigeants ayant déployé une rhétorique grotesque xénophobe et islamophobe, y voyant une distraction utile aux difficultés intérieures. Jaroslaw Kaczynski, président du parti au pouvoir en Pologne et leader de facto du pays, a qualifié en 2015 les réfugiés syriens de «parasites et protozoaires». Il les a même accusés d’apporter les maladies en Europe.

La Pologne cherche à fermer sa frontière, avec l’aide d’experts militaires britanniques. Elle a déployé vingt mille policiers aux frontières. Bien que Varsovie soit en conflit avec l’UE, le pays pourrait chercher le soutien de Bruxelles et, plus encore, faire appel à l’Otan pour une demande de pourparlers d’urgence.

Quelles sont les options qui s’offrent à l’UE? Bruxelles est déterminée à ne pas être prise en otage, mais ses options sont limitées. La plupart des pays de l’UE semblent désormais soutenir le concept d’une «Europe forteresse» adopté par la Hongrie en 2015, mais la frontière du bloc avec la Biélorussie est longue.

Les pays de l’UE semblent déterminés à durcir les sanctions contre la Biélorussie. Cependant, les sanctions n’ont pas connu un succès exceptionnel. Tout ce qu’elles pourraient faire, c’est encourager le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, à ouvrir un peu plus le robinet des réfugiés-migrants. Il a également menacé de couper le transit de gaz, qui passe par la Biélorussie en provenance de la Russie vers l’UE.

Une option consiste à endiguer le flux à la source. L’UE a fait pression sur les compagnies aériennes pour qu’elles cessent de permettre à des personnes de se rendre du Moyen-Orient à Minsk. La Turquie a interrompu vendredi dernier la vente de billets d’avion aux citoyens irakiens, syriens et yéménites souhaitant se rendre en Biélorussie. L’UE a déclaré avoir également reçu la confirmation qu’Iraqi Airways, qui a interrompu ses vols vers Minsk cet été, ne reprendra pas ce service.

Toutefois, l’UE ne peut pas apporter la paix et la sécurité immédiates à ces pays déchirés par la guerre et la crise. Les raisons qui poussent à la migration et à l’exil demeurent puissantes. Pour le moment, il semble que l’option de la barricade et des sanctions sera privilégiée, même si son efficacité reste limitée. L’Europe de l’Est sera-t-elle divisée, avec des barbelés et du béton? Combien de tours de guet seront nécessaires? Combien de canots seront refoulés? Les risques sont réels.

 

Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres.

Twitter: @Doylech

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com