L’une des autorités religieuses les plus célèbres et les plus anciennes du séminaire de Qom, le grand ayatollah Safi Golpaygani, a appelé à renforcer les interactions avec la communauté internationale. «Mon conseil est d’avoir des relations avec tous les pays du monde», a-t-il déclaré au président du Parlement, Mohammed Qalibaf. «Se couper de nombreux pays se fait au détriment du peuple iranien». Ces remarques ont suscité une forte réaction des extrémistes. Car le destinataire de ces déclarations n’est autre que Khamenei, le Guide suprême iranien, même s’il n’a pas été nommé.
L'ayatollah Safi Golpaygani avait auparavant exprimé sa profonde inquiétude sur la crise économique et l'inflation dans un discours à des séminaristes. «Le peuple iranien mérite-t-il tous ces problèmes, ces injustices et ces difficultés quotidiennes? Si rien n'est fait aujourd'hui pour résoudre ces problèmes et ces coûts, demain il sera trop tard», avait-il déclaré.
«Malheureusement, les Iraniens souffrent aujourd’hui des prix élevés et cela a provoqué l'inquiétude et le mécontentement des autorités et des savants», ont déclaré de nombreux autres ayatollahs du séminaire, dont le grand ayatollah Nouri Hamdani, en soutien à Safi Golpaygani.
Khamenei voit sa fin au bout du tunnel des négociations nucléaires, dans lesquelles les cinq membres du Conseil de sécurité et l’Allemagne (le groupe P5+1), appellent, dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, à discuter de l'influence régionale de l’Iran et de son programme de missiles.
L'association des enseignants de Qom affiliée au séminaire, qui était auparavant un ardent partisan de Khamenei, a condamné les insultes proférées à l'encontre de Safi Golpaygani par des extrémistes.
La situation économique en Iran s'est détériorée à tel point que les grands ayatollahs et les autres autorités religieuses à Qom ont élevé la voix. Ces derniers jours, au moins trois d’entre eux se sont exprimés à ce sujet, la République islamique semblant assise sur un baril de poudre.
Négociation à quel prix?
Khamenei voit sa fin au bout du tunnel des négociations nucléaires, dans lesquelles les cinq membres du Conseil de sécurité et l’Allemagne (le groupe P5+1), appellent, dans le cadre de l’accord sur le nucléaire, à discuter de l'influence régionale de l’Iran et de son programme de missiles. Le Guide suprême s’y est dit hostile. «Si nous sommes privés de l'accès à la puissance nucléaire et que nous cédons à ces deux exigences, nous devrons, dans un deuxième temps, nous soumettre également aux exigences des P5+1 en matière de respect des droits humains», a-t-il déclaré. Dans cette hypothèse, les Gardiens de la révolution, qui ont pour mission de réprimer à l'intérieur et d'exporter la révolution à l'extérieur de l'Iran – et qui constituent le pilier du Guide suprême – seront dissous. Naturellement, Khamenei verra la fin de son règne. Or il n'a qu'une seule ligne rouge: se maintenir au pouvoir.
Sur le plan socio-économique, le régime est en état d'urgence. La chute rapide de la monnaie nationale, l'inflation galopante, la fermeture d'entreprises manufacturières et la fuite vertigineuse des capitaux ont plongé plus de 26 millions d'Iraniens sous le seuil de pauvreté absolue.
Urgences économiques
Sur le plan socio-économique, le régime est en état d'urgence. La chute rapide de la monnaie nationale, l'inflation galopante, la fermeture d'entreprises manufacturières et la fuite vertigineuse des capitaux ont plongé plus de 26 millions d'Iraniens sous le seuil de pauvreté absolue.
La corruption institutionnalisée débridée et la domination de l'économie par les Gardiens de la révolution et les institutions affiliées au Guide suprême l'ont détruite. Le Centre de recherche parlementaire a écrit que le rapport entre la dette publique et le PIB à la fin de la présidence Rohani avait atteint 52 %. La pauvreté a englouti de nombreuses classes moyennes qui cherchent toujours à retrouver leurs standards de vie précédents. Un autre soulèvement est inévitable. Le président du Parlement a déclaré que la société était devenue bipolaire. Seuls 4% des Iraniens sont riches, tandis que le reste de la population est pauvre. L'armée des chômeurs et des affamés augmente chaque jour. C'est la raison pour laquelle le nouveau président, Ebrahim Raïssi, impliqué dans le massacre de prisonniers politiques de 1988, a été placé à son poste: pour endiguer le soulèvement qui s’annonce.
Raïssi figure sur la liste des sanctions américaines pour violation des droits humains, et selon la secrétaire générale d'Amnesty International, il devrait être traduit en justice au lieu de siéger à la présidence.
Gouvernement militaire
Les femmes et les minorités religieuses n'ont pas de place dans le gouvernement exclusivement masculin de l'actuel président. Ce dernier a principalement utilisé des ministres d’Ahmadinejad, à la tête de l'Iran entre 2005 et 2013. Sa présidence est d’ailleurs taxée de «troisième gouvernement d'Ahmadinejad». C’est le plus militaire des gouvernements de la République islamique depuis sa création il y a quarante-deux ans. Il compte huit ministres membres des Gardiens de la révolution et deux issus de l'armée. Au total, trente membres sont des dirigeants des pasdaran.
Raïssi figure sur la liste des sanctions américaines pour violation des droits humains, et selon la secrétaire générale d'Amnesty International, il devrait être traduit en justice au lieu de siéger à la présidence. Khamenei, pleinement conscient de cette dimension, a accepté ce risque international en disqualifiant les autres candidats, sentant le danger d'un renversement. La fatwa interdisant l'importation de vaccins en provenance de France, de Grande-Bretagne et des États-Unis a également pour but de semer le désespoir et l’abattement auprès de la population. Avec les décès résultant de la pandémie de Covid-19, elle ne pense pas à un autre soulèvement.
Pour ces raisons simples, Khamenei évite la négociation et l'interaction avec toutes sortes d'excuses et de tergiversations. Bien entendu, en agissant ainsi, il veut insinuer aux P5 + 1 qu'il n'est prêt à négocier que si l’accord de 2015 est mis en œuvre. Un accord qui avait permis au régime de vendre son pétrole, d’accéder à son argent bloqué et à son infrastructure nucléaire. Il s'est maintenu et en a profité pour étendre ses réseaux paramilitaires dans toute la région.
Mais Khamenei ne veut pas croire que l'équilibre des forces en 2021 soit complètement différent de celui de 2015. La raison en est l'influence régionale du régime iranien. Or celle-ci décline à vue d’œil et en géopolitique, le rapport de force a le dernier mot.
Hamid Enayat est un expert de l'Iran et un écrivain basé à Paris, où il a fréquemment écrit sur les questions iraniennes et régionales au cours des trente dernières années.
TWITTER: @h_enayat
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.