Nous étions jeunes. L'espoir et le dynamisme nous animaient. Nous couvrions les événements de la première Intifada (le soulèvement palestinien, NDRL) en tant que journalistes. Assister à une conférence donnée en réponse au soulèvement palestinien nous réjouissait. On parle ici de la conférence de paix de Madrid de 1991, conçue dans les moindres détails par le secrétaire d'État américain James Baker : elle a permis aux Palestiniens de briller et ils y sont parvenus à tous les égards.
À notre arrivée dans la capitale espagnole, tôt le matin, le responsable de la délégation palestinienne nous a fourni des instructions générales. Ce jeune homme enthousiaste et professeur à l'université de Birzeit, n'était autre que Mohammed Shtayyeh, qui occupe aujourd'hui le poste de Premier ministre palestinien.
M. Baker avait réussi à contourner la barrière posée par la présence d'un natif de Jérusalem à la tête de la délégation palestinienne. Il a ainsi autorisé les Palestiniens à créer un comité consultatif avec Faisal Husseini comme président et Hanane Ashrawi comme porte-parole. Face à Mme Ashrawi, personnalité éloquente, se tenait un Israélien à l'accent américain : Benjamin Netanyahou. À la dernière minute, le Premier ministre israélien Yitzhak Shamir avait refusé que les Palestiniens soient représentés par une délégation indépendante et a exigé qu'ils soient représentés par une délégation commune jordano-palestinienne.
Peu importe. À Madrid, tout le monde voulait écouter les Palestiniens. Je me souviens que les journalistes ont accouru lorsque Mme Ashrawi s'est présentée à l'improviste en compagnie de son assistant, Albert Aghazarian, qui dirigeait à l'époque le département des relations publiques à l'université de Birzeit. Ces derniers ont été obligés de crier pour répondre aux journalistes rassemblés sur les marches du bâtiment, les salles de conférence étant encore fermées.
Haidar Abdel-Shafi, un médecin gazaoui ayant assisté à la première réunion de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) en 1965, a prononcé ce jour-là un discours poignant et éloquent. Les journalistes israéliens n'ont pas manqué de le harceler en lui demandant s'il ne trouvait aucun aspect positif à l'occupation israélienne. Sa réponse a été affirmative: Abdel-Shafi était épris d'une radio israélienne de musique classique et c'était la seule chose qu'il appréciait chez les Israéliens et leur occupation.
Aujourd'hui, nombreux sont ceux qui se disent trahis par des dirigeants venus de l'étranger et qui, à force de s’accrocher au pouvoir, n'ont pas permis aux Palestiniens du pays d’en prendre les rênes.
Daoud Kuttab
Sur le plan politique, si la conférence de Madrid, inaugurée il y a 30 ans le 30 octobre, a donné aux Palestiniens et aux Arabes la possibilité de faire entendre leurs points de vue, elle n’a pas toutefois abouti à des résultats concrets. Dans ce contexte, le gouvernement de Shamir et de son parti, le Likoud, a été remplacé l'année suivante par Yitzhak Rabin, dirigeant plus souple appartenant au parti travailliste israélien. Ce dernier a ensuite autorisé son adversaire politique et ministre des Affaires étrangères, Shimon Pérès, à mener des pourparlers clandestins avec l'OLP à Oslo, en Norvège, qui ont débouché sur les accords d'Oslo.
Ces accords constituaient un plan provisoire qui assurait le retour des dirigeants de l'OLP en Palestine et le retrait d'Israël des grandes villes. Cependant, ils ne prévoyaient pas de solution évidente pour trois questions cruciales : La question de savoir si un État palestinien serait créé à la fin du plan intérimaire de cinq ans, si Israël allait suspendre la construction de colonies ainsi que le sort réservé à Jérusalem-Est. En raison de l'incertitude entourant ces trois questions capitales, conjuguée à l'assassinat imprévu de Rabin par un juif radical et à l'incapacité de Pérès à remplir ses fonctions, le conflit reste ouvert aujourd’hui et les effectifs des colonies juives ont triplé.
Trente ans après la conférence de Madrid, la première question que les Palestiniens et les Arabes doivent se poser aujourd'hui, est la suivante : quel intérêt présente une conférence de paix si elle ne définit pas, de manière claire, l’objectif des réunions qui en découleront ? Shamir avait bien dit qu'il laisserait les négociations traîner en longueur sans concéder un pouce de territoire. En effet, c'est ce qu'il a réussi à faire depuis lors, au même titre que tous les dirigeants israéliens. En effet, le pays est aujourd'hui dirigé par un farouche opposant à la paix et aux négociations, qui se targue de refuser de parler à un représentant palestinien et de s'opposer aux négociations avec les Palestiniens.
Curieusement, on assiste aujourd'hui à un revirement des positions : Israël reprend aujourd'hui les « Trois Non » énoncés par les dirigeants arabes lors du sommet de la Ligue arabe à Khartoum en septembre 1967, à savoir : non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d'Israël, non à toute négociation avec Israël.
Un regard rétrospectif nous amène à nous interroger sur la pertinence de la participation des Palestiniens et des Arabes à la Conférence de Madrid. Certains diront probablement que cette conférence était une mauvaise idée. Mais à l'époque, les jeunes journalistes de l'Intifada venus de Palestine, dont je faisais partie, y voyaient un véritable triomphe, dans la mesure où elle mettait la cause palestinienne sur le devant de la scène. Comment et par qui cette chance a-t-elle été gaspillée, voilà un sujet qui fera couler beaucoup d'encre pendant des années encore. Une chose est sûre : les Palestiniens vivant dans les territoires occupés, qui ont soutenu l'OLP et ont été incarcérés pour avoir défendu le seul représentant légitime du peuple palestinien se sentent aujourd'hui trahis par des dirigeants venus de l'étranger et qui, à force de s’accrocher pouvoir, n'ont pas permis aux Palestiniens du pays de prendre les rênes du pays. En s'accaparant le pouvoir, Yasser Arafat et Mahmoud Abbas se sont tous deux trompés dans leurs calculs. Ils ont ainsi anéanti le grand succès de la Conférence internationale de Madrid sur la paix.
Daoud Kuttab, ancien professeur de journalisme à l'université de Princeton, est le fondateur et l'ancien directeur de l'Institut des médias modernes à l'université Al-Quds à Ramallah. Droits d'auteur : Project Syndicate
Twitter : @daoudkuttab
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com