Attentat de Jénine: Israël poursuit son cycle de violence

La mère d'une fillette de deux ans tuée lors d'un raid israélien embrasse le corps de sa fille, près de Jénine. (Reuters)
La mère d'une fillette de deux ans tuée lors d'un raid israélien embrasse le corps de sa fille, près de Jénine. (Reuters)
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Publié le Lundi 27 janvier 2025

Attentat de Jénine: Israël poursuit son cycle de violence

Attentat de Jénine: Israël poursuit son cycle de violence
  •  La semaine dernière, les forces militaires israéliennes, armées de matériel lourd, ont pénétré au bulldozer dans le camp de réfugiés de Jénine
  • L'opération, dont le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a affirmé qu'elle était destinée à «éradiquer le terrorisme à Jénine», s'inscrit dans un contexte plus large d'escalade des tensions

Le cessez-le-feu à Gaza était censé marquer un répit dans la violence, mais il a fallu moins de deux jours pour que ce calme fragile vole en éclats. La semaine dernière, les forces militaires israéliennes, armées de matériel lourd, ont pénétré au bulldozer dans le camp de réfugiés de Jénine, provoquant des affrontements avec les Palestiniens et faisant au moins dix morts et de nombreux blessés. L'opération, dont le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a affirmé qu'elle était destinée à «éradiquer le terrorisme à Jénine», s'inscrit dans un contexte plus large d'escalade des tensions en Cisjordanie. Les conséquences de ces événements sont aussi désastreuses que profondes.

Le camp de réfugiés de Jénine est depuis longtemps un foyer de résistance contre les incursions militaires israéliennes, mais la situation est devenue de plus en plus complexe. Les divisions internes entre Palestiniens ont aggravé les souffrances de ceux qui vivent dans le camp. Les affrontements entre les forces de sécurité palestiniennes et les groupes militants locaux, notamment le bataillon de Jénine – une alliance de combattants du Jihad islamique et du Hamas – ne se sont calmés que récemment. Cette discorde interne, associée aux actions agressives d'Israël, souligne l'instabilité de la politique palestinienne et la pression croissante exercée sur le président palestinien Mahmoud Abbas.

Pour Abbas, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Son gouvernement, basé à Ramallah, est de plus en plus critiqué pour son incapacité à maintenir l'ordre ou à réaliser des progrès significatifs vers l'indépendance palestinienne. La répression du bataillon de Jénine – saluée par Abbas comme une mesure nécessaire pour «rétablir la sécurité» – a divisé les Palestiniens. Si certains y voient une mesure visant à affirmer le contrôle de l'Autorité palestinienne, d'autres la considèrent comme une trahison de la résistance contre l'occupation. Le Hamas et le Jihad islamique ont qualifié l'opération de «crime à part entière» et même des factions comme le Front populaire de libération de la Palestine l'ont condamnée, estimant qu'une «ligne rouge» avait été franchie.
Ces divisions au sein de la société palestinienne sont le reflet d'un schisme idéologique plus large. Abbas et l'Organisation de libération de la Palestine ont largement abandonné la notion de résistance armée, privilégiant la diplomatie et la négociation. Cette position, officialisée en 2007 lorsque l'OLP a officiellement supprimé le terme «résistance armée» de son programme, contraste fortement avec les positions du Hamas et du Jihad islamique, qui continuent de prôner la lutte violente comme seule voie viable vers la libération. La rupture entre ces factions ne reflète pas seulement un désaccord tactique, mais une divergence profonde dans les visions de l'avenir de la Palestine.

Le moment choisi pour l'opération israélienne à Jénine ne peut être ignoré. Elle s'est déroulée dans la foulée de l'attaque dévastatrice du 7 octobre 2023 menée par le Hamas depuis Gaza, un événement qui a remodelé la dynamique régionale. Le gouvernement de Mahmoud Abbas craint qu'un renforcement similaire des capacités militantes en Cisjordanie ne déclenche une nouvelle réponse catastrophique d'Israël. Cette crainte, associée à une stratégie plus large visant à empêcher la militarisation de la Cisjordanie, a motivé la position agressive de l'Autorité palestinienne à l'égard de groupes tels que le bataillon de Jénine.

Mais ces mesures n'ont guère contribué à calmer l'agitation ou à rétablir la confiance dans le leadership d'Abbas. Les sondages indiquent que son taux d'approbation est extrêmement bas, 84% des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza souhaitant qu'il démissionne. Entre-temps, le soutien au Hamas continue de croître, ce qui reflète la désillusion que beaucoup ressentent à l'égard de la direction et de la stratégie de l'Autorité palestinienne.

Le camp de réfugiés de Jénine est depuis longtemps un point chaud de la résistance, mais la situation est devenue de plus en plus complexe.

- Daoud Kuttab

Israël, pour sa part, n'a pas hésité à exploiter ces divisions. L'appel du ministre des Finances d'extrême droite, Bezalel Smotrich, à ce que Jénine «ressemble à Jabaliya», en référence à la destruction d'un quartier de Gaza, montre bien les intentions du gouvernement. Les médias israéliens ont affirmé que les attaques contre la Cisjordanie faisaient partie d'un accord permettant à Smotrich de rester dans le gouvernement de Netanyahou après le cessez-le-feu à Gaza.

Le bilan humanitaire des actions d'Israël en Cisjordanie est stupéfiant. Les points de contrôle ont proliféré, isolant les communautés et paralysant la vie quotidienne. Les colons, enhardis par les opérations militaires, ont mené des attaques violentes sous la protection des forces israéliennes. Dans les villages de Jinsafut et Al-Funduq, des maisons, des ateliers et des véhicules ont été incendiés la semaine dernière. Des milliers de Palestiniens sont maintenant bloqués, incapables de retourner dans leurs villes, tandis que la communauté internationale reste largement silencieuse.

Ce silence est peut-être l'accusation la plus accablante de la réponse mondiale à la crise actuelle. Les attaques contre la Cisjordanie ne peuvent être justifiées par la question des otages ou l'attaque du Hamas du 7 octobre.

Alors que la violence s'intensifie, les dirigeants mondiaux continuent de faire des déclarations superficielles appelant au calme sans s'attaquer aux causes profondes du conflit. L'incapacité d'Israël à rendre compte de ses actions dans les territoires occupés a encouragé son gouvernement à poursuivre des politiques toujours plus agressives. Dans le même temps, la réticence de la communauté internationale à s'engager de manière significative dans les divisions politiques palestiniennes a marginalisé de plus en plus Abbas et son gouvernement.

La voie à suivre pour la Palestine est semée d'embûches. L'Autorité palestinienne doit trouver un moyen de restaurer sa légitimité et de répondre aux revendications de son peuple, tant à Jénine qu'ailleurs. Pour ce faire, elle doit non seulement affirmer son contrôle sur les factions militantes, mais aussi démontrer son engagement en faveur d'une gouvernance démocratique et des aspirations plus larges du peuple palestinien. Pour Israël, le choix est clair: poursuivre sur la voie de l'occupation et de la répression ou prendre des mesures significatives en faveur d'une paix juste et durable. La communauté internationale a elle aussi un rôle à jouer. Elle doit sortir de sa passivité et demander des comptes à toutes les parties, en veillant à ce que les efforts de paix soient fondés sur la justice et le respect des droits de l'homme.

L'enjeu n'est rien de moins que l'avenir du peuple palestinien et la perspective de paix dans la région. Les événements de Jénine nous rappellent brutalement que le statu quo est intenable. Sans une action audacieuse et un engagement renouvelé en faveur du dialogue, le cycle de la violence se poursuivra, laissant des traces dévastatrices dans son sillage.

Daoud Kuttab est un ancien professeur à l'université de Princeton et le fondateur et ancien directeur de l'Institut des médias modernes de l'université Al-Quds à Ramallah.

X: @daoudkuttab

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com