C'est la loi de la jungle qui s’impose, plus que jamais, en Cisjordanie (à l’instar du film Wild Wild West). Des groupes de colons israéliens sans foi ni loi s'emparent de terres et attaquent des citoyens palestiniens, saccagent leurs biens, ravagent leurs récoltes et agressent ceux qu'ils souhaitent expulser de leurs maisons.
Mais dans cette région du monde, il n'y a pas de shérif, pas de Sept mercenaires (Magnificent Seven, un western) pour repousser ces cow-boys. L'armée israélienne se tient à l'écart. Près de cent colons ont commis la dernière agression en date dans les collines du sud d'Hébron; un petit garçon palestinien de 3 ans a été hospitalisé pour une blessure à la tête. Très peu de dirigeants osent étiqueter ces actes de «terrorisme» ou qualifier ces colons d’«agressifs comme des terroristes». Mais pourquoi?
En effet, les colons ne constituent plus cette bande hétéroclite qui vivait auparavant dans des caravanes sur les hauteurs des collines. Ils forment désormais une population massive qui attire avec son économie des investissements extérieurs se chiffrant en milliards de dollars, dont certains proviennent de grandes institutions financières européennes.
Il ne faut pas s'étonner de voir les colons se comporter avec ce sentiment d’impunité et d’insouciance. Ils agissent de la sorte depuis les premiers jours de l'occupation en 1967. La seule mission que remplit l'armée israélienne consiste à protéger les colons, mais pas les Palestiniens. La communauté internationale commente à peine.
Ce qui a véritablement évolué, en revanche, c'est l'ampleur même de l'entreprise de colonisation et la confiance grandissante de ces troupes de nettoyeurs ethniques fanatiques. Certes, on ne peut pas prétendre que la plupart des colons se comportent de cette manière. Ils sont toutefois suffisamment nombreux à rendre la vie impossible aux habitants palestiniens, alors même que l'État israélien agit de connivence avec les nouveaux venus.
Voici quelques chiffres qui illustrent la gravité de la situation: le nombre d'attaques perpétrées par des colons israéliens contre des Palestiniens a doublé au cours des six premiers mois de 2021 en comparaison avec la même période l'année dernière. Au total, les actes de violence sont passés de 363 (2019) à 507 (2020) et ont totalisé 416 actes au cours des six premiers mois de 2021.
Les médias ont coutume de calculer l’ampleur de la colonisation israélienne en fonction de la population (qui compte aujourd'hui 622 670 personnes) ou du nombre de colons et de colonies en construction. L'expansion a été tellement fulgurante que les colonies occupent désormais 42 % de la superficie de la Cisjordanie.
Pourtant, on sous-estime souvent la taille de l'économie des colonies. Les colonies comptent plus de mille usines bâties sur les terres palestiniennes dont elles exploitent les précieuses ressources, notamment l'eau et la roche. Si la vallée du Jourdain compte un petit nombre de colons, elle recèle en revanche d'immenses plantations, qui emploient des enfants palestiniens, comme le signalent les organisations de défense des droits de l'homme.
Mais quelle est donc la taille de cette économie des colons et quelle est la valeur des investissements étrangers dans cette économie? Le Conseil des droits de l'homme des nations unies (OHCHR) a publié en 2020 une base de données répertoriant cent douze entreprises commerciales actives dans les colonies israéliennes. Il en existe bien d'autres.
Ce ne sont pas des millions mais des milliards de dollars qui sont investis par l'Europe dans l'économie des colonies.
Chris Doyle
La coalition Don't Buy into Occupation («Ne contribuez pas au financement de l'occupation») – qui regroupe vingt-cinq organisations palestiniennes, régionales et européennes basées en Belgique, en France, en Irlande, aux Pays-Bas, en Norvège, en Espagne et au Royaume-Uni – a consacré à ces investissements un rapport approfondi.
Les chiffres sont spectaculaires. Ce ne sont pas des millions mais des milliards de dollars qui sont investis par l'Europe dans l'économie des colonies. Entre 2018 et mai 2021, le nombre impressionnant de «672 institutions financières européennes, notamment des banques, des gestionnaires d'actifs, des compagnies d'assurance et des fonds de pension, ont entretenu des relations financières avec 50 entreprises actives dans les colonies israéliennes», peut-on lire dans le rapport.
Sur cette même période, et toujours selon l'étude, «114 milliards de dollars (1 dollar = 0,86 euro) ont été octroyés sous forme de prêts et de souscriptions. En mai 2021, les investisseurs européens possédaient des actions et des obligations d’une valeur de 141 milliards de dollars auprès de ces entreprises.»
On retrouve parmi les dix premiers créanciers de grands noms, tels que BNP Paribas, Deutsche Bank, HSBC et Barclays. Selon le rapport, la banque BNP Paribas a par exemple prêté à des entreprises impliquées dans les activités de colonisation israéliennes la somme de 8,97 milliards de dollars, soit 14 % de la valeur totale des prêts.
Ces chiffres peuvent être corroborés. Mais peut-on évaluer la valeur réelle de ces prêts, si l'on tient compte notamment des investissements américains? Les entreprises implantées dans les colonies dissimulent souvent l'origine de leurs marchandises afin d'obtenir un accès préférentiel aux marchés de l'Union européenne (UE).
Gardons à l'esprit que les colonies israéliennes constituent une violation scandaleuse de la quatrième Convention de Genève de 1949 qui interdit à toute puissance occupante d'établir des colonies dans un territoire occupé. En construisant des colonies, les Israéliens volent terres et ressources, ce qui constitue le fondement de l'annexion de facto des territoires occupés.
Par ailleurs, la construction de ces colonies relève du crime de guerre en vertu du Statut de Rome adopté en 1998 par la Cour pénale internationale (CPI) et enfreint un grand nombre de résolutions émanant du Conseil de sécurité des nations unies. Rares sont les pays qui défendent ce point de vue, et le monde des affaires en fait fi, à quelques exceptions près.
Des fonds de pension influents, dont le fonds norvégien KLP, ont retiré leurs investissements de sociétés telles que Motorola. D'autres doivent suivre ou être forcés de suivre. Le dernier épisode en date est celui de Ben & Jerry's, le fabricant de glaces qui a décidé de suspendre la vente de ses produits dans les colonies. La vague de colère des racistes anti-arabes qui s'en est suivie a été sans précédent.
Dans le passé, certaines entreprises ont fait preuve de courage passager, mais elles ont fini par fléchir sous la pression. En 2018, Airbnb a annoncé son intention de ne plus commercialiser ses propriétés situées dans les colonies, avant de succomber à un lobbying musclé. Son rival, Booking.com, poursuit ses activités dans les colonies. Tout cela relève de l'industrie étendue du tourisme en Israël, qui propose des voyages organisés même dans les territoires occupés.
En ce qui concerne le secteur de la construction, la principale entreprise allemande de matériaux de construction, HeidelbergCement, exploite également des carrières dans les colonies. D'autres entreprises ont fourni des équipements employés dans la démolition des maisons des Palestiniens, le plus souvent pour faire place à de nouvelles colonies.
Le lien entre les entreprises et les droits de l'homme est essentiel, mais les avancées dans ce domaine restent modestes. En effet, les consommateurs exercent une influence directe sur ces questions. Les entreprises se soucient de leur marque et de leur réputation à l'échelle mondiale. Si elles sont associées au travail forcé ou à la cruauté envers les animaux, par exemple, elles courent un risque considérable.
Un grand nombre de ces entreprises adhèrent à de nombreux accords internationaux, notamment le Pacte mondial des nations unies, les Principes directeurs des nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme et les Principes directeurs de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à l'intention des entreprises multinationales. Pourtant, ces entreprises semblent s'être débarrassées de leurs obligations dans les territoires occupés. Ces obligations les obligent notamment à renoncer à toute forme de complicité et d'implication directe ou indirecte par le biais des chaînes d'approvisionnement.
Les entreprises sont tenues de se désengager complètement de l'économie des colonies. Les gouvernements européens détiennent en effet des parts dans certaines de ces institutions financières et peuvent par conséquent faire pression pour changer la donne.
Ces entreprises auraient dû interrompre depuis bien longtemps leur engagement dans l'économie des colonies qui imposent «la loi de la jungle» en Cisjordanie. Ces investissements devraient susciter le même mépris que le commerce de l'ivoire, des diamants du sang ou des drogues illégales. La cupidité des entreprises doit-elle primer sur les droits fondamentaux d'un peuple occupé? Là encore, il incombe aux gouvernements et aux organismes tels que l'UE d'imposer avec force l’interdiction des échanges avec les colonies.
Ces milliards pourraient être investis dans une alternative toute prête qui, sans l'occupation, mériterait de faire l'objet de vastes investissements: celle de l'économie palestinienne.
Chris Doyle est directeur du Council for Arab-British Understanding (Caabu), basé à Londres.
Twitter : @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com.