Il est souvent difficile d’examiner les véritables résultats d’une rencontre en se basant sur les déclarations publiques qui la précèdent ou qui la suivent. Cependant, les derniers entretiens entre le Premier ministre israélien, Naftali Bennett, et le président américain, Joe Biden, sont aisés à analyser.
L’attentat terroriste à l’aéroport de Kaboul, qui a différé d’un jour la rencontre, a perturbé l’emploi du temps du dirigeant juif pratiquant, qui s’est trouvé dans l’impossibilité de rentrer avant le sabbat. Malgré les «valeurs partagées» et le soutien total des États-Unis à Israël, on observe que Washington a bien d’autres priorités que l’État hébreu.
La conférence de presse n’a duré qu’un bref moment. Cependant, le nouveau Premier ministre israélien, qui a grandi dans le New Jersey, a trouvé le moyen d’évoquer les trains Amtrak, un sujet qu’affectionne Biden – lui qui les a utilisés pendant de longues années pour se rendre du Delaware à Washington –, mais il n’a fait aucune mention du conflit israélo-palestinien. Il a eu le temps de parler de la dose de rappel dans le cadre de la vaccination contre la Covid-19 et de la question iranienne, mais n’a même pas fait allusion à cette occupation qui dure depuis plusieurs décennies ni à la colonisation de millions de Palestiniens.
Après des années à traiter avec les Netanyahou – leurs mensonges, leurs caprices et leurs combines –, la Maison Blanche et la capitale américaine accueillent un leader politique plus stable.
Si le dirigeant israélien n’a rien dit sur la question palestinienne, Biden, lui, l’a fait – dans son intervention publique et, selon des révélations, lors de son tête-à-tête avec Bennett. Le président américain a déclaré avant la réunion que son invité israélien et lui-même allaient «discuter des moyens de promouvoir la paix, la sécurité et la prospérité pour les Israéliens et les Palestiniens». Lors de leur entretien en privé, Biden a fait pression sur Bennett au sujet des familles palestiniennes menacées d’expulsion dans le quartier de Cheikh Jarrah de Jérusalem au profit des colons juifs. Il a également insisté sur la nécessité de rouvrir le consulat américain à Jérusalem.
Bennett n’a pas mentionné les Palestiniens dans son allocution publique, mais il semble que le président américain et lui-même aient discuté des appels répétés d’Israël en faveur de l’adoption d’un programme d’exemption de visa destiné aux Israéliens qui souhaitent visiter les États-Unis. Biden a indiqué: «Nous demanderons à nos équipes de veiller à ce qu’Israël remplisse les exigences du programme d’exemption de visa pour pouvoir le mettre en place.»
Cependant, la demande d’Israël a souvent été rejetée en raison des politiques discriminatoires que mène ce pays. Il existe un énorme dossier de cas documentés sur la discrimination israélienne contre les Américains d’origine arabe, notamment les Américano-Palestiniens aux différents postes frontaliers. On ignore si Bennett a fait référence au profilage dont font fréquemment l’objet les Américains d’origine arabe, bien que la question n’ai pas de portée pratique pour le moment puisque aucun étranger n’est autorisé à se rendre en Israël en raison des restrictions liées à la pandémie de Covid-19.
«Il est plus urgent que jamais de promouvoir l’unité nationale palestinienne et de réévaluer la stratégie de libération nationale.»
Daoud Kuttab
Washington n’est pas d’accord avec l’administration Bennett pour mettre de côté la question palestinienne, mais il semble qu’une certaine convergence d’intérêts incite les deux hommes à éviter toute initiative diplomatique ou politique d’envergure en ce moment. L’administration Biden a publiquement affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une grande priorité pour Washington et, si l’on excepte la courte période où les affrontements violents entre Gaza et Israël se sont intensifiés, au mois de mai dernier, les États-Unis paraissent continuer à minimiser l’importance de la question palestinienne.
Les progressistes du parti démocrate de Biden font pression sur le président non seulement pour mettre fin à des expulsions et à des démolitions très médiatisées, mais également pour rouvrir le bureau de la mission palestinienne à Washington DC ainsi que le consulat américain à Jérusalem. Par ailleurs, les États-Unis ne semblent pas prêts à déployer beaucoup d’efforts pour remettre sur les rails les pourparlers israélo-palestiniens. Globalement, l’apathie d’Israël et des États-Unis au sujet des droits des Palestiniens n’aurait pu être mieux illustrée que lors de cette rencontre Biden-Bennett.
Cependant, comme par le passé, ce manque de perspicacité se retournera inévitablement contre eux: si le blocus israélien illégal n’est pas levé à Gaza, les tensions risquent fort d’éclater. En outre, à Ramallah, l’économie du gouvernement Abbas se trouve en piteux état. Le gouvernement est à court d’argent parce qu’Israël retient une partie des taxes et des douanes que le pays perçoit sur les marchandises destinées à la Palestine. L’Union européenne (UE), qui a fermement condamné la répression des services de sécurité palestiniens contre les manifestants pacifiques, est le principal bailleur de fonds; c’est elle qui paie la majorité des salaires des fonctionnaires palestiniens. Les pays arabes, qui, jadis, apportaient un soutien financier régulier aux Palestiniens dans le cadre de leurs engagements publics lors des sommets arabes successifs, ont réduit leurs aides pour répondre aux demandes de Donald Trump lorsqu’il était président; ils devraient les restaurer. Ils attendent que Biden le demande publiquement, peut-être dans l’espoir d’obtenir des gains politiques en retour. Le roi Abdallah II de Jordanie est pour l’heure le seul dirigeant arabe à avoir rencontré Biden.
Les Palestiniens et leurs alliés doivent évaluer la situation. Il semble qu’aucune initiative réelle n’ait été proposée en vue de sortir de l’impasse israélo-palestinienne. Les efforts déployés par Israël et les États-Unis pour améliorer la vie des Palestiniens ne seront pas suffisants tant que l’occupation israélienne et l’appropriation illicite des terres se poursuivent. La réticence des États-Unis à utiliser l’aide comme moyen de pression signifie qu’Israël pourra poursuivre en toute impunité son régime d’apartheid et sa répression militariste agressive contre la résistance palestinienne.
Il est plus urgent que jamais de promouvoir l’unité nationale palestinienne et de réévaluer la stratégie de libération nationale.
Daoud Kuttab est un journaliste palestinien plusieurs fois primé. Il a été professeur de journalisme Ferris à l'université de Princeton.
Twitter : @daoudkuttab
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com