Les contes de fées ont la faculté extraordinaire de faire un édifiant tour d'horizon de la condition humaine. L'un de mes contes préférés est intitulé « The Emperor's New Clothes » (Les habits neufs de l'empereur), de Hans Christian Andersen. Cette fable illustre avec humour et sagesse la façon dont les adultes assimilent les absurdités comme s’il s’agissait d’une sagesse acquise. Dans cette fable, un souverain vaniteux, piteux et narcissique se fait duper par des escrocs qui prétendent lui vendre un vêtement dernier cri, alors qu'en réalité, ils lui vendent du vent et de la fumée. Ses courtisans complaisants s'associent à cette folie, soit par crainte de subir la fureur du roi, soit par peur d'être les seuls à ne pas voir les nouveaux vêtements. Au bout du compte, c'est un enfant franc et honnête qui montre du doigt ce qui est évident : l'empereur est tout simplement nu.
Cette même dynamique digne d'un conte de fées vient de réapparaître, sur la scène internationale cette fois, avec la signature du pacte de sécurité Australie-Royaume-Uni-États-Unis, baptisé AUKUS. Confrontée à un choix stratégique extrêmement délicat – celui de se défendre contre la Chine expansionniste – l'Australie a choisi de conclure un pacte de défense avec ses partenaires anglo-saxons, en l'occurrence les États-Unis et le Royaume-Uni, au détriment de liens plus étroits avec l'Union européenne. Ce choix s'explique par une raison stratégique fondamentale : les pays anglo-saxons sont en plein essor et forment une force de dissuasion efficace contre la Chine, contrairement à l'Union européenne.
À l'instar du petit garçon de la fable, l'Australie a eu la sagesse de regarder la réalité en face. Elle ne s'est pas appuyée sur les commentaires futiles émis lors des interminables conférences de l'UE auxquelles j'ai été contraint d'assister au cours des dernières années. Dans ces conférences, on répétait de manière systématique et retentissante que l'Union européenne était en plein essor et qu'elle représentait sans l’ombre d’un doute le seul allié qui s'offre aux États-Unis pour faire avancer la situation dans le monde. Étant l'un des premiers instigateurs du concept du monde anglo-saxon, je suis en mesure d'attester que celui-ci a été dédaigneusement ignoré au cours des 20 dernières années. On y voyait un fantasme réactionnaire de vieil homme blanc ; un numéro d'hommage à Winston Churchill plutôt qu'à l'avenir que ce concept incarne en réalité.
Le motif de ce désintérêt analytique est bien évident. Si les pom-pom girls de l'Union européenne accréditent le monde anglo-saxon, l'Occident sera alors divisé en trois parties : les États-Unis, l'anglosphère et l'Union européenne. Toutefois, cela remettrait en cause l'inévitable rôle pivot que joue Bruxelles sur le plan stratégique ; ce qui n'est pas une issue rationnelle à laquelle souscriraient les nombreuses pom-poms girls qui animent les groupes de réflexion de l'Union européenne ( qui sont souvent financés par l'Union européenne elle-même, ce qui est scandaleux).
Toutefois, au fur et à mesure que je développais la notion du monde anglo-saxon – en analysant les liens qui unissent les États-Unis et les anciens pays colonisés par les Britanniques, à savoir l'Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, ainsi que le Royaume-Uni – je me rendais compte que cette notion était bel et bien réelle et qu'elle reflétait l'avenir de la stratégie, et non pas son passé. Sur le plan de l'investissement étranger direct, enjeu principal dans le contexte de la mondialisation, le monde anglo-saxon joue un rôle prépondérant en matière de géo-économie. Ainsi, le Royaume-Uni constitue l'investisseur le plus important aux États-Unis, et vice versa.
Le monde anglo-saxon, nettement plus dynamique sur le plan économique et plus performant sur le plan militaire représente un partenaire stratégique plus approprié pour l’Australie sur le long terme.
Dr. John C. Hulsman
Les convergences apparaissent également sur le plan stratégique, comme en témoigne le fait historique marquant selon lequel les cinq pays anglo-saxons ont combattu dans le même camp au cours des trois guerres mondiales qui ont marqué le XXe siècle (à savoir la Première, la Seconde Guerre mondiale et la Guerre froide). Si l'on prend en compte que 15 choix stratégiques distincts étaient envisageables, il est surprenant de constater que ces pays se sont alignés dans le même camp et ce, à 15 reprises. Ceci démontre une cohérence stratégique sans égal dans l'histoire moderne.
En outre, le monde anglo-saxon est ancré dans le Five Eyes (ou Cinq Yeux), la plus importante alliance de renseignements au monde au sein de laquelle les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie échangent, exclusivement, des renseignements électromagnétiques.
Cette proximité géoéconomique, stratégique et institutionnelle s'appuie sur le partage entre ces pays de la même langue, de la même culture démocratique (plus soucieuse de la liberté individuelle que leurs cousins européens) et de la même culture capitaliste (plus soucieuse du dynamisme du capitalisme que leurs cousins européens, partisans du modèle corporatiste). Au mépris de tous les défenseurs de l'Union européenne, l'Australie – qui a préféré s'allier aux pays anglo-saxons en matière de défense plutôt qu'à la France et à l'Union européenne –, vient de prouver, ironiquement, que le monde anglo-saxon existe bel et bien.
Qu'en est-il de l'Union européenne dans tout cela ? Il est facile de se montrer peu aimable avec les Français, car leur culture stratégique les fait jouer le rôle de bouc émissaire. Mais derrière ce ton théâtral, les Français soulèvent un point pertinent au niveau géostratégique : comme le petit garçon de notre fable, l'Australie vient de dire que la Communauté européenne est nue. Économiquement sclérosée, militairement impuissante (mis à part Paris) et politiquement divisée, elle ne représente pas la grande puissance qui souhaite ou qui peut défendre l'Australie face à l'intimidation de la Chine. En revanche, le monde anglo-saxon représente un partenaire stratégique plus approprié à Canberra sur le long terme : il est nettement plus dynamique sur le plan économique, plus performant sur le plan militaire et uni autour de la dissuasion des ambitions chinoises dans la région vitale de l'Indo-Pacifique.
Soumise à une pression stratégique considérable, l'Australie a adhéré à l'AUKUS. Elle a ainsi rompu les liens étroits qu'elle entretenait jusque-là avec la France et l'Union européenne, et ce pour la simple et bonne raison que nul n'est persuadé que l'Union européenne dissuaderait Pékin de faire ce que bon lui semble ; ce n'est pas le cas pour le monde anglo-saxon. L'Australie vient de transmettre ce message à l'Union européenne : loin de jouer la carte de la grande puissance rêvée lors des interminables conférences, tu es nue.
Dr. John C. Hulsman est président et associé directeur de John C. Hulsman Enterprises, une importante société de conseil en risque politique mondial. Il est également chroniqueur principal pour City AM, le journal de la ville de Londres. Il peut être contacté via chartwellspeakers.com
NDRL : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com