L'échec politique de l'Union européenne en matière de vaccins entraînera des pertes de vies humaines

Un flacon du vaccin contre la Covid-19 d'Oxford-AstraZeneca à la caserne de pompiers de Basingstoke, en Grande-Bretagne, le 4 février 2021. (Reuters)
Un flacon du vaccin contre la Covid-19 d'Oxford-AstraZeneca à la caserne de pompiers de Basingstoke, en Grande-Bretagne, le 4 février 2021. (Reuters)
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Publié le Mardi 23 mars 2021

L'échec politique de l'Union européenne en matière de vaccins entraînera des pertes de vies humaines

L'échec politique de l'Union européenne en matière de vaccins entraînera des pertes de vies humaines
  • En à peine neuf mois, les scientifiques ont mis au point, testé et livré un vaccin incroyablement efficace, qui est en train d'être distribué à des millions de personnes
  • Mais comment le vaccin d'AstraZeneca en est-il arrivé à être interdit en trois jours seulement dans de nombreux pays de l'Union européenne dont l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne?

«Quel courage!» C'est le premier message que j'ai reçu d'un ami, la semaine dernière, après avoir annoncé sur Twitter que j'avais reçu la première dose du vaccin AstraZeneca. Désespéré, comme bien d'autres personnes, à l’idée de me faire vacciner, et conscient de la chance que j'avais et du fait que des milliards de personnes attendaient, le courage était loin d'être le sentiment que j'éprouvais: c'était surtout le soulagement qui m'envahissait.


Au-delà de ce soulagement, j’ai surtout réfléchi à l'aspect extraordinaire des événements que nous vivions. En à peine neuf mois, les scientifiques ont mis au point, testé et livré un vaccin incroyablement efficace. Il est en train d'être distribué à des millions de personnes. Je n'étais certes pas un cobaye: dans le seul Royaume-Uni, onze millions de personnes ont reçu le vaccin d'AstraZeneca, ainsi que quatre millions dans les autres pays de l'Union européenne.

Pourtant, la réaction de mon ami a fait ressurgir tout le tort occasionné par le brouhaha qui entoure ce «vaccin d'Oxford». En effet, des personnes instruites et raisonnables le contestent et considèrent qu'il comporte peut-être trop de risques, même si, en s'abstenant de se faire vacciner, elles succomberaient au virus le plus meurtrier de l'histoire contemporaine de l'humanité.


Mais comment le vaccin d'AstraZeneca en est-il arrivé à être interdit en trois jours seulement dans de nombreux pays de l'Union européenne, dont l'Allemagne, la France, l'Italie et l'Espagne? Il continue d’ailleurs à être interdit en Norvège, en Suède et au Danemark. Ces pays n'ont pas attendu le rapport de l'Agence européenne des médicaments (EMA) sur les tests supplémentaires effectués. Quant à la France, elle avait précédemment limité le vaccin aux moins de 65 ans, avant de se raviser et de décider de l'administrer exclusivement aux plus de 55 ans. Au mois de janvier, le président français, Emmanuel Macron, a mis en doute l'efficacité du vaccin sur les personnes âgées, affirmant qu'il était «quasi inefficace». Tous ces faits s'inscrivent dans une dynamique qui conduit à d'énormes prises de bec entre l'Union européenne, le Royaume-Uni et d'autres pays. Cela pourrait même se traduire par des interdictions d'exportation.

Doit-on donc s'étonner que les gens aient peur? Ce débat entraînera des pertes de vies – il l'a d'ailleurs déjà fait. Voilà que les gens annulent leurs rendez-vous de vaccination. Peter Openshaw, professeur de médecine expérimentale à l'Imperial College de Londres, a été clair à cet égard: «En raison de ce retard, et de l'incertitude que ressentent actuellement certaines personnes à l'égard du vaccin […], à mon avis, la conséquence sera probablement des milliers de vies perdues.»


Tous ces facteurs accroissent les réticences à l'égard du vaccin, ce qui constitue un véritable danger pour le grand public et pour la volonté de vaincre le virus. Cela fait le jeu des personnes antivaccin qui prônent la théorie de la conspiration, celles qui croient que Bill Gates ou Anthony Fauci sont parvenus à insérer une puce dans mon bras pour me contrôler et me surveiller.


Dans certains pays, les populations semblent plus enclines à éprouver des réticences vis-à-vis du vaccin. En France, pays particulièrement meurtri par la pandémie, la remise en cause du vaccin par ses dirigeants constitue une approche encore plus irresponsable.

En effet, le risque limité du vaccin est révélateur. Ce vaccin a d'abord été administré à des personnes âgées, plus susceptibles que d'autres de présenter des caillots sanguins. Pourtant, sur les vingt millions de doses de vaccin injectées, seuls vingt-cinq cas de caillots sanguins ont été enregistrés, sans qu'aucun ne soit directement imputable au vaccin. Ce chiffre reste inférieur au taux auquel on pourrait normalement s'attendre.


Dans quelle mesure cette crise est-elle donc davantage politique que médicale? Il ne faut certes pas fermer les yeux sur les incidents impliquant des caillots sanguins. Il convient toutefois de mener une enquête à ce sujet. En s'en abstenant, on ne fait que nourrir la méfiance. Cependant, les spécialistes de la médecine ont affirmé que les avantages du vaccin l'emportaient largement sur les risques éventuels qu'il comportait. L'EMA a aussitôt réexaminé le vaccin pour autoriser à nouveau son usage. Elle a constaté qu'il n'entraînait «aucun risque supplémentaire de caillots sanguins». Toutefois, chez les jeunes patients, certaines inquiétudes persistent, elles sont notamment liées à des cas isolés. Pour sa part, l'Organisation mondiale de la santé a fait le même constat.


Une chose est sûre: il y a eu une vive réaction d'antipathie à l'égard des risques que présentait ce vaccin. Ainsi, l'Italie a suspendu le déploiement d'un lot de vaccins après l’arrêt cardiaque d’un soldat. Il est pourtant évident que le virus de la Covid-19 est bien plus menaçant que n'importe quel vaccin, et que la suspension du déploiement des vaccins est une décision déconcertante.

Derrière toutes ces considérations se cache un énorme échec politique. Le bouc émissaire de cet échec n'est autre que le vaccin AstraZeneca. En réalité, l'Union européenne a géré le déploiement des vaccins de manière catastrophique, ce qui a entraîné des pertes de vies humaines et prolongé la durée de la pandémie. Ainsi, l'Union européenne affronte aujourd'hui la troisième vague de Covid-19, dans un contexte où un tiers de la France est confiné et où des pays comme la Pologne et l'Italie imposent à leur tour de nouvelles restrictions.

Les responsables politiques de l'Union européenne regardent d'un œil jaloux ce qui se passe de l'autre côté de la Manche: le Royaume-Uni a administré 40,5 doses de vaccin pour 100 personnes, contre 12 dans l'Union européenne. Le nombre de personnes vaccinées est quatre fois plus élevé en Grande-Bretagne qu'en France. Peut-on s'étonner de voir M. Macron saboter le vaccin AstraZeneca? Il a présenté le gouvernement français sous un jour épouvantable, il faut donc freiner la demande. De son côté, le Premier ministre, Jean Castex, a reçu une dose du vaccin AstraZeneca vendredi dernier. Cependant, des efforts plus importants doivent être entrepris pour rétablir la confiance.


Plus surprenante encore est la performance médiocre de l'Allemagne. En effet, la chancelière, Angela Merkel, a promis «plus de flexibilité allemande», peu importe ce que cela signifie. L'Allemagne stocke plus d'un million de doses au lieu de les administrer à sa population. Dans toute l'Union européenne, le nombre de doses stockées dépasse 7 millions.

Si le fait de saper la confiance que l’on accorde à quatre vaccins approuvés par l'Union européenne constitue une décision stupide et irresponsable, l'interdiction des exportations du vaccin en est une autre. En effet, dans le cas de ce virus, le nationalisme en matière de vaccins ne fonctionne pas. Il exige plutôt une coopération et un regroupement des ressources. De nombreux pays de l'Union européenne, dont la France et l'Allemagne, entendent interdire au Royaume-Uni l'exportation de doses d'AstraZeneca mais, comme Pfizer l'a fait savoir, le Royaume-Uni pourrait réagir en interdisant l'exportation de certains ingrédients essentiels à la fabrication de son vaccin vers l'Union européenne: c’est un cercle vicieux infernal.

«Ce scénario nourrit l'hésitation à l’égard du vaccin; un véritable danger pour les populations et pour la lutte contre le virus.»

Chris Doyle

Par ailleurs, les États-Unis et le Royaume-Uni ne sont pas non plus innocents dans cette affaire. À l'instar d'autres pays, ils ont accumulé les vaccins. Contrairement à l'Union européenne, Londres a intégré dans ses contrats de vaccination des clauses UK-first («Royaume-Uni d'abord»), tandis que les États-Unis ont eu recours à la loi sur la production de défense pour assurer leurs réserves de vaccins.

Il incombe donc aux puissances qui ont accaparé le marché des vaccins non seulement de collaborer, mais aussi de tout faire pour accélérer le déploiement des vaccins partout dans le monde. La rhétorique nationaliste agressive et les tentatives d'intimidation inutiles mettent en péril des vies humaines. Par-dessus tout, les responsables politiques doivent s'assurer que le vrai danger qui menace les vies des gens provient du virus, et non de leurs actions.

Chris Doyle est directeur du Conseil pour la compréhension arabo-britannique, à Londres.

Twitter: @Doylech

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com