Traditionnellement, les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG) ont été parmi les donateurs les plus généreux au monde, dépassant parfois les objectifs fixés par l'ONU pour l'aide humanitaire internationale. Au cours des seules dix dernières années, ils ont fourni plus de 50 milliards de dollars en subventions et bien plus encore en prêts et autres formes d'aides. En plus de leurs contributions régulières aux programmes d'aide internationaux, les pays du CCG ont généreusement contribué aux campagnes d'aide organisées par les agences internationales pour le financement d'urgence des victimes de conflits et de catastrophes naturelles dans le monde.
Pourtant, la pandémie de la Covid-19 oblige à repenser les politiques d'aides. La pandémie a exercé de fortes pressions sur les économies du CCG, obligeant à rationnaliser les dépenses publiques, notamment tout ce qui a trait aux aides extérieures. Dans le même temps, la Covid-19 a eu un impact dévastateur sur les pays pauvres, y compris au Moyen-Orient, soulignant leurs besoins d’assistance.
Selon un récent rapport du Fonds Monétaire International (FMI), le produit intérieur brut (PIB) réel pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (MENA) devrait désormais baisser en moyenne de 4,7% en 2020 - soit une baisse de deux points par rapport à une précédente estimation du FMI en avril dernier. La situation est pire pour les pays fragilisés ou touchés par un conflit, où le FMI s'attend à ce que l’activité économique diminue de 13% d'ici la fin de l'année. Plus grave encore, les flux de capitaux se sont inversés lorsque la pandémie a frappé, faisant perdre à la région de 6 à 8 milliards de dollars en sorties d'investissements.
En fait, le pessimisme dans les nouvelles prévisions de croissance du FMI pour la région s'explique en grande partie par des perspectives affaiblies pour les exportateurs de pétrole. Les pays du CCG ainsi que d'autres pays exportateurs de pétrole ont été confrontés à un double coup dur : en plus de la pandémie, le marché pétrolier a été durement touché. Les accords conclus par l'OPEP et d'autres grands producteurs de pétrole (OPEP +), ainsi que les réductions de la production américaine de pétrole de schiste, ont contribué dans une certaine mesure à stabiliser les prix qui se situent cependant bien en dessous des niveaux pré-Covid-19.
L’impact de la baisse des revenus pétroliers
Les réactions politiques des pays de la zone MENA à la pandémie se sont concentrées sur les dépenses de santé, en soutenant les plus vulnérables économiquement, et en leur fournissant des liquidités. Cependant, à l'exception de quelques pays du CCG, le volume moyen d'allégement budgétaire et de plans de relance a été plus réduit que dans d'autres régions du monde. Les mesures ont été limitées par la contraction des revenus des exportateurs de pétrole en raison de la baisse des prix du pétrole et de ses répercussions sur le reste de la région. La pandémie a également entraîné une baisse importante des recettes publiques, et a représenté un danger pour la viabilité budgétaire dans un grand nombre de pays. Pour les pays non exportateurs de pétrole, les niveaux d'endettement par rapport au PIB devraient désormais atteindre une moyenne de 95% d'ici la fin de 2020.
Tous les secteurs économiques ont été touchés, et les perspectives de reprise post-pandémiques restent incertaines. Les réserves internationales de la plupart des pays de la région sont négativement affectées. Les pays pauvres ont été pénalisés par le fait qu’ils ont pu recevoir moins d’aides de leurs voisins les plus riches en raison de la pandémie. Les transferts de fonds de travailleurs migrants ont été une source importante de soutien pour leurs pays d’origine, mais ils sont maintenant en baisse en raison de la Covid-19. Dans l'ensemble, l'aide extérieure bilatérale et multilatérale aux pays pauvres de la région est également en baisse, malgré les efforts du FMI, qui a jusqu'à présent fourni environ 17 milliards de dollars d'aides, et espère mobiliser 5 milliards de dollars supplémentaires d'ici la fin de 2020. Une grande partie de cette aide se présente sous la forme d’emprunts remboursables, soit une goutte d'eau dans l’océan en comparaison de la dévastation provoquée par la pandémie.
C'est évidemment un dilemme : les pays les plus pauvres ont plus que jamais besoin d’aide, tandis que les pays donateurs eux-mêmes sont moins en mesure de fournir une aide de la manière habituelle. Existe-t-il une meilleure façon d'aider les pays pauvres sans nuire à la viabilité budgétaire des pays donateurs ?
Revoir la stratégie d’aide publique au développement
Les économistes préconisent depuis longtemps une réévaluation de l'aide fournie par les pays riches, de façon à la rendre plus efficace pour les bénéficiaires et moins lourde pour les donateurs. Peter Bauer, économiste hongro-britannique renommé dans le domaine du développement, a toujours plaidé contre la conviction largement répandue selon laquelle l'aide étrangère d'État à État est le moyen le plus efficace d'aider les pays en développement. Dans son livre « Dissent on Development » (Désaccord sur le Développement), Bauer affirmait que « l'aide étrangère est un processus par lequel les gens pauvres des pays riches aident les gens riches des pays pauvres », faisant référence à la corruption, à l'inégalité et à l'inefficacité fréquemment associées à une telle aide.
Après la Covid-19, il faut remettre en cause la conception de l’aide publique au développement qui domine depuis des décennies, et laisser chaque pays décider de la façon dont il gère son aide étrangère. Dans l'ensemble du Moyen-Orient, il existe peu de données concernant les avantages de l'aide d’Etat à Etat par rapport à son coût. Elle n'a certainement pas atteint les objectifs recherchés. Les pays bénéficiaires n’ont souvent pas réussi à faire croître leur économie, à éliminer la pauvreté, à élever le niveau de vie de la population, ou à fournir un niveau décent de services sociaux.
La fin des conflits et le renforcement de la stabilité sont souvent cités comme les objectifs de l'aide étrangère traditionnelle, mais il existe de nombreuses preuves qu'elle n'a assuré ni l'un ni l'autre. Les pays qui ont bénéficié de ces aides ne s'en sont pas très bien sorties, ni en matière de sécurité ni de stabilité. Au cours des deux dernières décennies, l'Afghanistan, à titre d’exemple, a compté presque exclusivement sur l'aide étrangère, alors que le pays est loin d'être stable ou sûr. D'autres exemples abondent au Moyen-Orient et au-delà.
Proposer d’autres alternatives
Sans résultats concluants sur l'impact positif de l'aide publique au développement d'État à État, il est important d'envisager des alternatives, telles que le soutien au secteur privé, en vue de créer des emplois et de fournir des services publics indispensables. Les partenariats entre les secteurs privés des pays donateurs et bénéficiaires devraient être encouragés et soutenus. Des programmes de garantie des investissements et de garantie de prêts sont essentiels, de même qu'un crédit assoupli pour les entrepreneurs privés. L'aide devrait également cibler le renforcement des capacités et de la formation pour une bonne gestion économique et pour les entrepreneurs privés.
Il existe de nombreuses autres alternatives entre lesquelles choisir pour remplacer les aides conventionnelles d'État à État. Elles sont toutes moins coûteuses que les subventions, tout en ayant un impact plus important. Elles peuvent être utilisées pour améliorer la gestion économique et renforcer la viabilité budgétaire en élargissant l'assiette fiscale et en fournissant des moyens d'autofinancement. Elles sont également moins sujettes à la corruption.
Alors que l’aide humanitaire d’urgence destinée aux communautés fragilisées, comme les réfugiés et les personnes déplacées, devrait se poursuivre selon les besoins, l’aide publique au développement conventionnelle et le soutien budgétaire devraient être remplacés par des alternatives plus efficaces.
À court terme, une aide publique réduite pourrait avoir des effets négatifs, mais à long terme, elle pourrait avoir un impact positif plus durable en rendant les pays davantage résilients et autosuffisants.
• Abdel Aziz Aluwaisheg est le Secrétaire général adjoint du Conseil de Coopération du Golfe pour les affaires politiques et les négociations, ainsi qu’éditorialiste de Arab News. Les opinions exprimées dans cet article sont personnelles et n’expriment pas nécessairement celles du CCG.
Twitter : @abuhamad1
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur www.ArabNews.com