BAGDAD: Un expresso et une guitare, c'est la recette du vendredi soir dans un café pour Mohammed. "Il y a peu d'espaces pour les jeunes", soupire ce Bagdadi qui embrasse la renaissance de la vie nocturne mais craint l'avenir, le virus et la politique irakienne.
Mohammed a 23 ans, une mèche qui lui balaye le front, une moustache en guidon et des chansons que ses proches adorent. Sous d'autres cieux, la parfaite combinaison du hipster. Mais Mohammed se sent à l'étroit dans la société irakienne "conservatrice".
La Covid-19 ? A l'instar de 95% des 40 millions d'Irakiens, il n'est pas vacciné dans ce pays où les contaminations quotidiennes tournent autour de 10 000 par jour.
S'il ne porte pas de masque et ne respecte aucun geste barrière, comme la plupart des Irakiens dans l'espace public, Mohammed dit avoir "peur du virus". "Mais là, je suis avec mes amis qui sont vaccinés, donc ça va", se justifie-t-il.
"Pas d'avenir"
La conversation glisse sur la politique, cette politique honnie de ceux qui ont participé au soulèvement inédit d'octobre 2019 contre la corruption et la gabegie.
Officiellement près de 600 personnes ont été tuées et 30 000 blessées dans les manifestations, dont Mohammed. Il soulève son t-shirt et montre une énorme cicatrice au niveau de la clavicule. "J'ai reçu trois balles", tirées, selon lui, par les forces anti-émeutes.
Depuis le début du mouvement, au moins 70 militants ont été victimes d'assassinat ou de tentatives d'assassinat et des dizaines kidnappés, parfois brièvement.
Personne n'a revendiqué ces attaques mais pour les militants, il s'agit de "milices" chiites dans un pays où les groupes armés financés par l'Iran n'ont cessé de gagner en influence.
Alors, les élections législatives anticipées du 10 octobre, pensez donc ! Hors de question que Mohammed se déplace. "Il n'y a pas d'avenir en Irak", souffle cet employé du Croissant-Rouge qui dit gagner 600.000 dinars, environ 400 dollars par mois.
- Instagram, TikTok, "Face" -
"Pas d'avenir en Irak" - l'antienne est reprise par Ahmed, 19 ans. Sous le pont de Jadriya à Bagdad, lui et d'autres aficionados enchaînent les roues arrières sur leur scooter. C'est "tous les vendredis" à la fraîche. Enfin, façon de parler puisqu'il fait plus de 40 degrés à 19h00.
Outre le scooter, Ahmed fait partie des adorateurs de la trinité Instagram, TikTok, "al-Face", comprendre Facebook, et ne réfléchit pas trop à l'avenir.
Il se verrait bien fonctionnaire, "mais c'est difficile parce que tout passe par le wasta", les relations, énonce-t-il.
La différence, Amer Talib, 26 ans, et ses amis en connaissent un rayon. Ils sont "sapeurs", adeptes du dandysme et des vêtements "vintage". Costumes de lin blanc ou chemises à col jabot, ils se réunissent le week-end et se prennent en photo.
"On aimerait avoir un peu de soutien, donc ce serait bien que la télévision irakienne fasse un reportage sur nous", explique Amer. Et de prendre la pose devant une maison décatie de la rue Haïfa. Ironie de l'histoire, cette même rue était en 2007, en pleine guerre civile, l'une des principales lignes de front de l'insurrection sunnite à Bagdad.
"Mais, grâce à Dieu, c'est le passé", se réjouit Amer.