Faisal Abbas, le rédacteur en chef d’Arab News, a écrit cette semaine un article dans lequel il explique que le président français, Emmanuel Macron, a fait un « faux pas » sur le Liban malgré ses « bonnes intentions ».
Je pense que Macron n'a pas fait de faux pas, mais qu’il a plutôt fait le bon pas pour conduire le pays dans la mauvaise direction. Il savait exactement ce qu'il faisait, et ses efforts n'étaient pas tant motivés par de bonnes intentions que par le désir de marquer des points politiques.
Sur le plan international, il espère que son rôle au Liban lui donnera l’opportunité de jouer un rôle plus important, notamment en tant que médiateur entre l'Iran et les États-Unis. Tandis que, au niveau national, cela l'aidera à augmenter sa popularité, en chute libre comme l’ont montré les résultats des récentes élections municipales.
Son deuxième voyage au Liban en tant que « sauveur » du pays cette semaine a débuté par une visite à Fairouz, la diva que les Libanais adorent et qui représente tout ce qu'ils aiment de leur pays.
Lors de sa visite, il a déclaré que le Hezbollah représente une partie du peuple libanais, mais il a néanmoins ajouté qu'il prévoyait « d’instruire » le groupe sur ses « responsabilités ».
Le Hezbollah n'a pas besoin d’instruction, Monsieur le Président, il sait exactement ce qu'il fait et est pleinement conscient des dangers dans lesquels il entraîne le pays.
L’initiative de Macron, enrobée de l’expression à la mode « gouvernement d’unité », est une manœuvre pour tendre la main au Hezbollah et lui donner une légitimité au niveau international.
Pour comprendre la position de Macron sur le Hezbollah, il est important d’analyser son attitude envers l’Iran. Si nous regardons ses antécédents, nous pouvons voir ses efforts incessants pour se rapprocher de Téhéran et jouer un rôle de médiateur entre ce dernier et les États-Unis. Il a tenté, lors du sommet de l'ONU en septembre de l'année dernière, de négocier une rencontre entre Donald Trump et Hassan Rohani. Ce dernier a refusé, insistant sur la condition préalable que les Américains assouplissent leurs sanctions contre la République islamique. Un mois plus tôt, il avait tenté de mettre en relation Trump et le ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammed Javad Zarif, lors du sommet du G7 à Biarritz, en France.
Lorsque l'explosion du port de Beyrouth s'est produite le 4 août, il a été le premier dirigeant à se précipiter au Liban et à exprimer sa solidarité avec son peuple. Il a marché parmi les gens dans les zones gravement touchées. À la suite de son voyage, il a appelé Trump à alléger les sanctions contre le Hezbollah, en utilisant comme prétexte qu'il fait le jeu de l'Iran.
Cependant, le choix de l’ambassadeur de la France au Liban – Bruno Foucher, ancien ambassadeur de Paris à Téhéran – montre que, même avant l’explosion, sa politique à l’égard du Liban impliquait un engagement avec le Hezbollah dans le cadre d’une politique globale d’engagement avec l’Iran.
Les Libanais ne doivent pas accepter que la politique régionale de Macron soit élaborée à leurs dépens.
Dr Dania Koleilat Khatib
Bien que Macron ait exhorté les Libanais, d’un ton très condescendant, à créer un Sénat non confessionnel, sa politique pour le Liban est rédigée dans un prisme sectaire.
Il a dit à Saad Hariri d'oublier le poste de Premier ministre et lui a demandé, ainsi qu’à d'autres anciens Premiers ministres, de donner quelques noms qui pourraient être acceptés par l'autre côté.
Parmi les candidats figurait Mustapha Adib, le nouveau Premier ministre désigné. Alors que le président du Parlement, Nabih Berri, et le Hezbollah n'avaient aucune préférence, le Courant patriotique libre dirigé par Gebran Bassil a choisi Adib.
Adib est une personnalité obscure qui travaillait comme conseiller de l'ancien Premier ministre Najib Mikati et a été nommé ambassadeur en Allemagne sans succès majeur.
Fondamentalement, il est un clone de Hassan Diab – un Premier ministre sans saveur qui peut servir de couverture à l'élite corrompue actuelle.
Le pire dans cette nomination, c’est qu'elle illustre le fait que le Premier ministre est le candidat du clan sunnite, mettant essentiellement l'accent sur le sectarisme.
Macron n’a pas seulement permis au Hezbollah un nouveau front, il a également pu affilier le poste de Premier ministre au camp sunnite. Par conséquent, le Hezbollah sera acquitté de toutes les bévues que le prochain gouvernement est susceptible de commettre, car elles seront attribuées au camp de Hariri, contrairement au précédent, qui a été qualifié de « gouvernement du Hezbollah ».
La nomination d'un Premier ministre, qui devait avoir lieu avant l’arrivée de Macron au Liban, était un coup sans fondement. Elle n’était pas accompagnée d’un plan pour répondre aux demandes du peuple libanais, comme la tenue d’élections anticipées, la mise en place de mesures concrètes vers des réformes ou le renforcement de la transparence et de la responsabilité.
Lors de la dernière visite de Macron, sa démonstration de compassion à Gemmayzé s’est accompagnée d’une attitude condescendante envers les membres de la société civile libanaise, car il leur a dit qu’ils n’étaient pas encore prêts à remplacer les partis actuels.
Le résultat de sa manœuvre est un bon réveil pour les Libanais, qui ne devraient pas compter sur un pays étranger ou un « Superman » international pour sauver la situation ; ils doivent prendre leur destin en main.
Macron regarde le Liban sous l'angle de sa place dans le contexte régional. Pour lui, c'est une porte d'entrée pour atteindre l'Iran. Ses tentatives précédentes pour pousser les Iraniens à rencontrer les États-Unis ont été repoussées, car ils voulaient des concessions en échange. Donner une légitimité au Hezbollah au niveau international – sous le couvert d'un gouvernement d'unité – peut être la concession qui permettrait à Macron de pousser l'Iran à entamer un dialogue avec les États-Unis.
Maintenant que la France est impliquée dans une relation « d’affrontement » avec la Turquie, le Liban est un autre champ de bataille dans la compétition régionale de Macron, d’autant que le Hezbollah a propagé des informations sur une intervention turque dans le nord du Liban, comme une façon de se détourner de la situation actuelle.
Macron est libre de poursuivre sa propre politique régionale, mais les Libanais ne doivent pas accepter que cette politique soit élaborée à leurs dépens.
Espérons que les Libanais se rendent compte maintenant que la visite de Macron ne conduira à aucun progrès et que sa seule réussite a peut-être été de mettre un sourire sur le visage de Fairouz.
Le Dr. Dania Koleilat Khatib est spécialiste des relations américano-arabes, spécialisée dans le lobbying. Elle est titulaire d'un doctorat en politique de l'université d'Exeter. Elle est chercheuse affiliée à l'institut Issam-Fares pour les politiques publiques et les affaires internationales de l'université américaine de Beyrouth.
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com