Comme quoi en géopolitique on n’est jamais à l’abris des changements de donne qui font qu’aucune situation ne perdure. Il y a, et il y aura toujours, de nouveaux défis à surmonter. Telle est la situation à laquelle devrait faire face l’Iran dans les prochains mois, voire les prochaines années en ce qui concerne les grands changements qui se dessinent en Afghanistan.
L’annonce du président américain Joe Biden du retrait total des forces américaines déployées en Afghanistan depuis plus de vingt ans, et qui devrait se terminer à la fin du mois d’août, pose un grand problème aux pays voisins, surtout à l’Iran qui partage avec l’Afghanistan des frontières qui s’étendent sur plus de 700 km et qui reçoit sur son territoire depuis plus de trois décennies environ 2,5 millions de réfugiés afghans. l’Iran, comme le Pakistan et le Tadjikistan, se trouve directement concerné par tout développement stratégique en Afghanistan, surtout quand il s’agit d’un retrait américain définitif, étant donné que la présence militaire de Washington à la suite des attaques du 11 septembre 2001 avait instauré un statu quo sur le territoire afghan qui semblait faire l’affaire de tous les voisins: la Russie préoccupée par la stabilité des républiques de l’ex-URSS; le Pakistan puissant, «partenaire» du mouvement des taliban; et l’Iran voisin ayant profité de l’invasion américaine de l’Afghanistan qui a permis, en évinçant les talibans du pouvoir, de renverser la situation sur le terrain et d’écarter un danger stratégique venant de l’Est.
On se rappelle bien que lors de l’invasion américaine en 2001, les autorités iraniennes avaient autorisé le survol du territoire vers ses objectifs en Afghanistan, des bombardiers stratégiques B-52 en provenance des bases britanniques et moyen-orientales. Après la chute des talibans, la nouvelle équation aurait permis aux Iraniens de renforcer leurs liens avec la minorité chiite des Hazara, de quoi faire de Téhéran un acteur principal dans les affaires internes afghanes.
Pendant presque trente ans, Iraniens et Américains feront bon ménage en Afghanistan, leurs intérêts convergeant sur un point central: empêcher le retour des talibans.
Après la chute des talibans, la nouvelle équation aurait permis aux Iraniens de renforcer leurs liens avec la minorité chiite des Hazara, de quoi faire de Téhéran un acteur principal dans les affaires internes afghanes
Ali Hamadé
Lorsque le président américain Joe Biden a repris à son compte la promesse de son prédécesseur Donald Trump de retirer l’ensemble des troupes américaines de l’Afghanistan, il a choisi la date symbolique du 11 septembre 2021 pour le retrait du dernier soldat américain. Mais il s’avère que le retrait se terminera avant le 1er septembre, prenant de court les voisins préoccupés par l’avancée hyper rapide des forces talibanes sur plusieurs fronts. Les talibans seraient en passe de contrôler plus de 85% du territoire, encore mieux, ils prennent d’assaut, l’un après l’autre, les postes frontaliers afghans avec les pays voisins. Cette stratégie les positionne dès aujourd’hui comme principal interlocuteur avec ces pays voisins et ne fait que marginaliser encore plus le gouvernent du président Ashraf Ghani qui voit se rétrécir l’étendue de son pouvoir assiégé dans les grandes villes et leurs environs. Les talibans avancent à grand pas dans toutes les directions, surtout le long des régions frontalières avec l’Iran. De quoi poser un défi de taille pour Téhéran qui n’a pas tardé à inviter des représentants du mouvement pour des pourparlers soi-disant pour lancer une initiative politique visant à créer un consensus politique interafghan pour gérer l’après-retrait américain. Cette initiative iranienne menée par le ministre des Affaires étrangères, Mohammed Jawad Zarif, aurait pour but annoncé de trouver une formule de cohabitation entre les talibans et le gouvernement du président Ashraf Ghani à Kaboul. De quoi éloigner le spectre d’une prise de pouvoir totale par les talibans, ou même d’une guerre civile qui déferlerait au-delà des frontières iraniennes. Cela pose un sérieux problème au régime iranien qui peine à bien tenir en main les régions frontalières avec l’Afghanistan, terrain ouvert à toute sorte de contrebande (drogue, armes) et de quoi rendre 700 km de frontières poreuses propices à toute activité d’espionnage contre le régime.
Contrairement au Pakistan qui possède historiquement de fortes relations avec les talibans, l’Iran s’en méfie, pour différentes raisons, la première étant l’idéologie talibane ultra fondamentaliste qui n’a pas épargné les Hazara chiites afghans de la violence excessive exercée contre eux. Téhéran voudrait bien se poser en médiateur dans les affaires intérieures afghanes afin d’éloigner le danger taliban de ses frontières et d’assurer la préservation des Hazara. Les talibans, en contrepartie, jouent le jeu des pourparlers et se présentent en tant que force politique et militaire plutôt pragmatique, qui chercherait une voie autre que militaire pour accéder d’une manière ou l’autre au pouvoir à Kaboul. Mais est-ce la vraie face du mouvement ultra fondamentaliste?
Plusieurs scénarios se profilent à l’horizon. Le premier serait que les Talibans foncent tout droit sur Kaboul et s’emparent de la capitale par la force. À ce jour, cette éventualité serait peu probable, car les forces gouvernementales ne sont pas assez affaiblies et les autres protagonistes afghans pas assez dispersés. Cela pourrait se terminer par une guerre civile qui éclaterait bien avant que les talibans ne renforcent leur mainmise sur plus de territoires et surtout de villes.
Seconde éventualité, les talibans continueraient à étendre leur pouvoir dans les campagnes, de quoi les conforter dans leur position de force, tout en entamant des négociations avec le gouvernement de Kaboul par le biais des Iraniens, des Russes et des Pakistanais pour un partage du pouvoir en leur faveur, étant donné leur avantage sur le terrain. Ce serait une solution possible, mais qui ferait gagner peu de temps au gouvernement Ghani déjà condamné. L’Afghanistan finirait par tomber aux mains des talibans (fondamentalistes sunnites) qui finalement seraient les nouveaux voisins de la République islamique (fondamentaliste chiite) en Iran!
C’est un vrai casse-tête que devra affronter l’Iran, qui a peu de cartes à jouer sur un terrain hyper glissant qu’est l’Afghanistan, que les troupes de la plus grande puissance mondiale quittent en ce moment même, en laissant un vide stratégique presque impossible à combler.