Avec la canicule qui fait fondre l'ouest du Canada et le nord-ouest des États-Unis et les températures record enregistrées dans l'Arctique, les négateurs du changement climatique devraient prendre leur retraite. Les preuves scientifiques sont irréfutables: on assiste à un changement climatique provoqué par l'homme et ses conséquences sont lourdes et généralisées. En effet, la température moyenne mondiale a augmenté de plus d’1°C depuis que la révolution industrielle a été amorcée.
Mais que dire du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord? Cette région, elle aussi, a affiché des températures record ces dernières années, ce qui a rendu certaines zones quasiment inhabitables. Cette année, le mercure a atteint 49°C à une période plus précoce que jamais. L'Iran et l'Irak, quant à eux, subissent des coupures de courant sous cette chaleur estivale.
Les enjeux qui sont associés au changement climatique et à la dégradation de l'environnement sont immenses: le niveau des mers s'élève, les eaux côtières se salinisent, la désertification, les tempêtes de poussière, la pollution de l'eau et de l'air se répandent. Le monde arabe abrite à lui seul un tiers des déserts du globe et ces surfaces continuent à s'étendre. Ainsi, la dégradation des sols menace gravement un grand nombre de pays qui vivent de l'agriculture.
Les questions liées à l'environnement marquent les mouvements de protestation, notamment en Irak et au Liban. L'eau de la ville de Bassora présente une pollution et une toxicité dangereuses au point que 118 000 personnes ont été intoxiquées au mois de septembre 2018. On compte parmi les agents polluants les munitions à base d'uranium héritées des guerres antérieures ainsi que des polluants de nature industrielle et pétrolière. Nous nous souvenons tous de la crise des ordures au Liban qui a éclaté en 2015. À ce jour, les ordures sont régulièrement brûlées à l'air libre, libérant davantage de toxines dangereuses.
Le Moyen-Orient est la région du monde où le stress hydrique est le plus fort. Outre le problème du changement climatique, l'extraction incontrôlée des eaux souterraines entraîne un stress hydrique massif. Chacun des pays de la région enregistre une baisse des réserves d'eau souterraine, en particulier l'Irak, le Koweït, la Syrie et le Liban, pour ne citer que ceux-là. La Turquie, quant à elle, traverse la sécheresse la plus marquée depuis dix ans. Tous ces facteurs sont aggravés par la forte croissance démographique, qui est sans doute une problématique plus significative en matière de stress hydrique que le changement climatique en lui-même.
Par ailleurs, les barrages ont réduit massivement le débit des principaux fleuves tels que le Nil, le Tigre et l'Euphrate. Ils ont altéré la carte hydrologique de ces grands bassins fluviaux. Aussi bien le régime syrien que les Forces démocratiques syriennes imputent à la Turquie la responsabilité de la baisse considérable du débit de l'Euphrate, qui a entraîné des coupures de courant, des niveaux accrus de salinité et de polluants ainsi que des stocks halieutiques restreints.
Cela fait des années que les chercheurs évoquent le risque de guerres de l'eau. En réalité, si le stress hydrique et le changement climatique n'ont pas encore déclenché de conflits, ils les ont néanmoins exacerbés. Nombreux sont ceux qui attribuent le soulèvement de 2011 à la sécheresse qui a sévi en Syrie, mais elle n'a été qu'un catalyseur. Ce sont les agissements du régime syrien, notamment sa brutalité et sa corruption, qui en portent la responsabilité.
Mais qu'adviendra-t-il dans le delta du Nil, qui héberge les deux tiers de la population de l'Égypte? Alors que la ville d'Alexandrie coule, le delta du Nil, lui, rétrécit. Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) considère que cette région figure parmi les trois zones du globe les plus susceptibles de subir une élévation du niveau de la mer.
Il existe par ailleurs des incidences plus modestes qui pèsent sur certaines régions. Au Liban, un insecte issu des graines des conifères de l'Ouest, qui provient des États-Unis, a proliféré en raison du changement climatique et a ravagé l’activité des pins.
Les énergies renouvelables sont donc indispensables. L'énergie solaire ouvre de vastes perspectives à un pays comme la Jordanie, qui importe environ 97% de sa consommation d'énergie. Malheureusement, le Moyen-Orient, sans doute trop confiant dans ses richesses en hydrocarbures, a omis d'investir dans l'énergie solaire dans les années 1990 alors qu'il aurait pu occuper une place de premier plan dans ce domaine; les dividendes de ces investissements auraient été immenses. Toutefois, on constate actuellement une avancée dans le domaine des énergies renouvelables. De nombreux pays producteurs de pétrole souhaitent y recourir pour répondre à la consommation nationale d'électricité, ce qui leur permettrait d'exporter une plus grande quantité de pétrole et de gaz.
Selon une étude réalisée en Finlande, il est possible que l'Arabie saoudite se dirige vers une alimentation énergétique exclusivement basée sur les énergies renouvelables à partir de 2040. Le Maroc, pays qui importe 90% de sa consommation d'énergie, a lui aussi investi dans la technologie éolienne. D'ici à 2030, plus de 30% de sa production d'électricité devrait être produite à partir d'énergies renouvelables. Il faudra pour cela franchir un obstacle de taille: le stockage de l'énergie.
Comme pour la plupart des régions du monde, les autorités régionales et nationales sont accusées d'avoir tardé à passer à l’action. En effet, certains États ont agi à titre individuel sans s'inscrire dans une démarche collective. Tout comme pour la lutte contre la pandémie, c'est par une action concertée qu’il est possible de gérer efficacement cette crise – car il s'agit bien d'une crise, voire d’une situation d'urgence.
C'est par une action concertée qu’il est possible de gérer efficacement cette crise – car il s'agit bien d'une crise, voire d’une situation d'urgence.
Chris Doyle
Les pays du Moyen-Orient doivent redoubler d'efforts afin d’investir dans leurs propres technologies. Ils doivent travailler main dans la main s'ils souhaitent obtenir des résultats concrets, dans la mesure où le changement climatique ne s'arrête pas aux frontières. À ce jour, les pays du Moyen-Orient ont agi chacun pour soi sans s'inscrire dans un projet régional, bien qu'ils en aient exprimé l’intention. Pour commencer, il est nécessaire qu’ils renforcent la coopération scientifique et technique et qu’ils favorisent les échanges d'informations.
En outre, il est essentiel qu’ils améliorent la gestion de leur eau et qu’ils suppriment les pratiques de gaspillage qui font grimper la facture d'eau. Ils doivent s'attaquer au surpâturage et à la déforestation excessive, qui accélèrent la désertification.
Prévoir et atténuer le changement climatique revêt également une importance capitale. Que faire lorsque ce dernier entraînera des déplacements massifs de population, loin des régions côtières menacées, par exemple? Faute de mesures de prévention, on assistera à des perturbations sociales, à un chaos et à des effusions de sang.
Comme dans le cas de la pandémie, les pays du Moyen-Orient doivent s'attendre à une aide considérable de la part des pays riches qui ont causé le plus de tort au climat. Le financement et l'expertise technologique devront être partagés. Il faut espérer que la conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP26) prévue à Glasgow au mois de novembre suscitera un esprit d'action collective et déterminée qui apportera une réponse globale. Le Moyen-Orient doit être à l'avant-garde de ces actions, et non à la traîne.
Chris Doyle est le directeur du Council for Arab-British Understanding, situé à Londres. Twitter : @Doylech
NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com