Nous nous souviendrons longtemps de 2020 comme de l'année de la pandémie de coronavirus. Mais les futurs historiens pourraient ajouter un autre événement marquant à cette année préoccupante: il s’agit de l'année la plus chaude jamais enregistrée sur la planète. Dans un monde où la politique climatique figure en tête de liste des priorités mondiales, la hausse des températures est là pour nous rappeler l’urgence et renforcer nos préoccupations.
Selon des chercheurs européens en lien avec le Copernicus Climate Change Service, l'année 2020 est avec 2016 l'année la plus chaude jamais enregistrée, provoquant des vagues de chaleur meurtrières en Europe, des incendies de forêt dans l'ouest des États-Unis, une fonte accélérée des glaces dans l'Arctique, et des températures record à travers le Moyen-Orient.
Les habitants de la région, de l'Irak à Israël, et du Liban à l'Arabie saoudite ont connu l'année dernière des températures estivales record, en particulier pendant les vacances de l'Aïd al-Adha. À Damas, Bagdad et Beyrouth, les climatiseurs ont été utilisés à plein régime et sont souvent tombés panne. Le Liban et l'Irak ont également connu de graves pénuries d'électricité au cours de l'année écoulée, exacerbant les tensions dans des situations politiques déjà précaires.
Il ne fait plus aucun doute que les températures mondiales augmentent. Ironiquement, le coupable souvent pointé du doigt — les combustibles fossiles — a été l’un des moteurs de la croissance du monde d’aujourd’hui et d’une prospérité inimaginable auparavant. La révolution industrielle a conduit à beaucoup de changements dans le monde, aussi bien négatifs que positifs, mais a clairement entraîné une amélioration du niveau de vie dans de nombreux pays occidentaux, amélioration que l’on constate également dans les pays en développement et émergents. Oui, d'énormes défis demeurent pour éliminer la pauvreté et promouvoir une croissance équitable dans le monde, mais ne nous y trompons pas: le monde se porte aujourd'hui bien mieux économiquement qu'il ne l'a jamais fait dans l'histoire de l'humanité.
Les combustibles fossiles tant décriés ont joué un rôle clé dans l'essor des pays en développement et des pays émergents. Ceux-ci ont été les consommateurs les plus gourmands d’énergies combustibles fossiles au cours de la dernière décennie. Alors qu'ils rattrapent le niveau de vie des économies occidentales et avancées, leurs industries, leurs systèmes de transport, leurs réseaux électriques et autres, dévorent de plus en plus de combustibles fossiles. La Chine, par exemple, est désormais le plus grand consommateur d’énergie au monde.
Quid des pays en pays en développement ?
Pour de nombreux pays en développement, l'arrêt brutal des combustibles fossiles exigé par certains militants en faveur du climat en Occident semble hypocrite: les militants occidentaux vivent dans des économies avancées précisément grâce à la révolution industrielle fondée sur les combustibles fossiles qui a profité à leurs pays, souvent au détriment des États colonisés d'Asie, d'Afrique, et d’ailleurs. Alors que les pays émergents tentent de rattraper leur retard, pourquoi devraient-ils ralentir leur progression ?
En réalité, la crise climatique finira par frapper tout le monde, il ne s’agit pas seulement d’une question soulevée par l’Occident. Pourtant, le processus sera lent. Le changement climatique est tout le contraire d'un virus à évolution rapide comme la Covid-19, et ses effets auront un impact plus grand encore sur le long terme. Nous entendons souvent parler d'un nombre considérable de «réfugiés climatiques» potentiels qui pourraient traverser les frontières internationales, mais dans les faits, les événements climatiques extrêmes conduisent principalement à des migrations internes, ces bouleversements étant particulièrement pénibles à vivre pour les familles et les enfants.
Joe Biden a déclaré que les États-Unis réintégreraient l'Accord de Paris — un accord mondial sur le réchauffement climatique conclu en 2015 porteur de promesses ambitieuses de réduction des émissions de gaz à effet de serre — dès le premier jour de son mandat. Il a également promis une réunion des dirigeants mondiaux pour discuter des questions climatiques au cours de ses cent premiers jours au pouvoir. Ensuite, la COP26, la grande conférence des Nations unies sur le climat, se tiendra en novembre à Glasgow.
Plusieurs engagements ambitieux ont déjà été pris. La Chine s'est engagée à devenir neutre en carbone d'ici à 2060, tandis que l'UE a fait le même vœu pour 2050. La France a déclaré la fin de la vente de voitures à carburants fossiles d'ici à 2040 et la Californie s'est engagée à faire de même d'ici à 2035. Tous ces engagements constitueront une transition importante dans nos systèmes énergétiques.
Le mot critique ici est «transition». Oui, le monde devrait passer à une consommation énergétique plus durable au fil du temps, mais mettre subitement un frein aux combustibles fossiles toucherait particulièrement les pays pauvres à court et moyen terme. Cela entraînerait également une plus grande instabilité politique dans les économies avancées. N'oublions pas que le point de départ du mouvement des Gilets jaunes, qui a secoué la France en 2018, était une «taxe carbone», prise au nom de l’action climatique. Le Nigéria et l'Inde ont pour leur part connu des manifestations récentes liées à la hausse des prix du carburant.
Plusieurs des plus grandes sociétés énergétiques mondiales sont sur la bonne voie: elles ont pris des initiatives visant à la fois à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans leurs modes d’exploitation, tout en recherchant à développer des énergies alternatives. La plupart des grands noms mondiaux de l'énergie donnent une profonde impulsion aux énergies renouvelables.
L’Arabie saoudite donne l’exemple
Les principaux pays producteurs mondiaux de combustibles fossiles doivent également jouer un rôle déterminant dans la transition énergétique mondiale. L'annonce récente par Mohammed Ben Salmane d'un nouveau développement urbain ambitieux de ville zéro carbone à NEOM, au nord-ouest de l'Arabie saoudite, est précisément le genre de réflexion qui prend en compte les évolutions requises pour l’avenir. La nouvelle ville, dénommée The Line, permettra de faire germer toute une gamme d’initiatives, et pourrait servir de modèle de future ville durable pour d’autres métropoles à travers le monde.
Le modèle d’économie circulaire à faibles émissions de carbone mis en place par l’Arabie saoudite, approuvé par le G20, constitue également une feuille de route innovante et pragmatique vers la transition énergétique. La récente nomination aux Émirats arabes unis de Sultan al-Jaber, président d’Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) comme envoyé spécial pour le changement climatique dans le monde, est également une étape positive. Al-Jaber possède une vaste expérience dans le secteur des énergies renouvelables en tant que président de Masdar, l’un des principaux opérateurs mondiaux d'énergie renouvelable. Son rôle à l’ADNOC est peut-être plus important encore, dans la mesure où, pour réaliser cette transition, les leaders mondiaux des producteurs de pétrole et de gaz doivent être présents au sein des deux groupes.
Les périodes de transition sont difficiles et potentiellement perturbatrices. La transition de nos systèmes énergétiques exigera de l’habileté et des compétences, et pas seulement des slogans et des conférences. Les déclarations de bonne intention et les grands raouts mondiaux peuvent vous attirer des applaudissements sur les réseaux sociaux ou dans les colloques de l'ONU, mais nous devons faire très attention à ne pas nuire aux pauvres et aux pays en développement au nom de «l'action climatique», alors que nous sommes en pleine transition vers un monde utilisant davantage d’énergies renouvelables et de ressources énergétiques durables.
Afshin Molavi est chercheur principal au Foreign Policy Institute de la Johns Hopkins University School of Advanced International Studies, et rédacteur en chef et fondateur du New Silk Road Monitor. Twitter: @AfshinMolavi
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Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com