L'ancien ministre des affaires étrangères saoudien feu le prince Saoud Al-Faysal s'est plaint en 2011 du " vide stratégique " dont souffre l'ordre politique arabe, en proie à des luttes âpres d'influence entre les forces régionales non arabes.
L'ordre arabe évoqué ici est le résultat de la vaste recomposition du Moyen-Orient entreprise par l'ingénierie coloniale européenne à l'issue de la dislocation de l'empire ottoman avant un siècle.
Cette recomposition s'est effectuée dans le cadre du débat fécond et intense sur le statut des provinces arabes de l'empire démoli.
Trois approches ont émergé à cette période :
- Le projet d'une Arabie unifiée qui a pour centre la péninsule arabe dans ses contours fixés par le golfe arabique qui est la frontière naturelle avec l'Iran et la Mer Rouge dans sa double façade africaine et asiatique.
- Le projet d'un Moyen-Orient axé sur son pivot méditerranéen, qui rattache la rive méditerranéenne arabe à l'espace européen méridional, incluant ainsi les pays maghrébins qui relevaient traditionnellement de l'aire stratégique africaine dans la vision coloniale.
- Le projet d'un monde arabe oriental, qui constitue l'une des trois composantes du vaste monde oriental, à côté de deux mondes sino- japonais, et indo- persan .
Si la première approche a été conçue et défendue par les élites tribales et religieuses autochtones et réalisée – partiellement – par le roi Abdel Aziz qui a fondé l'état saoudien contemporain, les deux autres projets portaient la marque des démarches coloniales européennes dans leur taxinomie conceptuelle et leurs visées stratégiques.
Le projet méditerranéen, à l'origine le fruit de la politique arabe napoléonienne à la faveur de son expansion en Egypte, s'est estompé longuement avant de resurgir dans le cadre des accords de paix arabo- israélien (1993 - 1994). L'idéologie panarabiste a, de tous temps, combattu cette approche méditerranéenne, qui lui paraissait une survivance des vieux schèmes coloniaux.
L'approche orientale, en revanche, remonte à la littérature orientaliste du dix-neuvième siècle qui a épousé le paradigme civilisationnel dans sa distinction sommaire entre une raison gréco-romaine occidentale et une raison orientale de nature magico-enchantée (Ernest Renan , Arnold Toynbee...).
Si une frange de la pensée gauchiste arabe a entériné le label oriental dans une posture tiers-mondiste suscitée par la dynamique de Bandung (conférence des pays non-alignés), les pionniers du mouvement nationaliste arabe ont plutôt mis l'accent sur l'unité culturelle et civilisationnelle arabe au-delà même des différences confessionnelles (Michel Aflaq, Salaheddine Bitar, Contantin Zureik...).
Le philosophe marocain Mohamed Abed Jabiri disait autrefois à propos du nationalisme arabe, que ce qu'on doit retenir de l'idée panarabiste est non ce qu'elle a déjà accompli, mais ce qui lui reste à accomplir.
Seyid ould Abah
L'idéologie panarabiste s'est inspirée du modèle prussien dans sa conception d'identification entre la conception culturo- linguistique de la nation et la demande politique d'un état central fort incarnant l'esprit de la patrie imaginée. Les précurseurs du mouvement nationaliste arabe (Sateh Al Hussery notamment) ont conditionné l'intégration arabe à la double exigence de " l'état- pivot " (la grande Syrie ou l'Égypte) et du " leader visionnaire " (le Bismarck arabe ).
La crise actuelle de l'ordre politique arabe (formulée par la notion de vide stratégique) est à la fois une crise d'approche conceptuelle et une consécration de l'état de défaillance et d'ébranlement dont souffrent aujourd'hui les structures institutionnelles de gouvernance internes et régionales dans le monde arabe.
Le nationalisme panarabiste qui fut, à l'ère des indépendances, le catalyseur principal de la dynamique de libération et de modernisation des sociétés arabes est aujourd'hui dans une impasse totale, les structures de base de l'intégration interarabe ne sont plus opérantes. Le champ politique arabe se pose des questions cruciales quant au modèle à suivre pour résoudre le dilemme de l'érosion de l'ordre régional, aggravée par les contextes de transitions difficiles après une décennie de secousses lourdes (les printemps arabes).
L'idéologie panarabiste qui a connu des révisions profondes ces dernières années a perdu une grande part de son éclat et de sa force mobilisatrice, elle n'en reste pas moins une idée régulatrice efficiente pour appréhender et régir la vie publique, et pour orienter la décision stratégique du monde arabe.
Le philosophe marocain Mohamed Abed Jabiri disait autrefois à propos du nationalisme arabe, que ce qu'on doit retenir de l'idée panarabiste est non ce qu'elle a déjà accompli, mais ce qui lui reste à accomplir.
Seyid ould Bah est professeur de philosophie et sciences sociales à l'université de Nouakchott, Mauritanie et chroniqueur dans plusieurs médias. Il est l'auteur de plusieurs livres en philosophie et pensée politique et stratégique.
Twitter: @seyidbah
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