Pour la première fois depuis la création de la République islamique en 1979, la marine iranienne a envoyé ses navires vers l’océan Atlantique, à proximité des eaux territoriales des États-Unis. Le régime teste clairement l'administration Biden. La réponse américaine à l'escalade militaire de l'Iran aura un impact significatif sur les calculs politiques de Téhéran, et ses futurs contrats d'armement avec l'Amérique du Sud.
Sept vedettes lance-missiles ont été aperçues sur l'un des navires de la marine iranienne qui ont atteint l'Atlantique ce mois-ci. Au total, deux navires de guerre se dirigent très probablement vers le Venezuela, pays qui a déjà exprimé sa volonté de recevoir des armes iraniennes.
L'année dernière, lors d'une émission télévisée avec des membres du gouvernement, le président Nicolas Maduro a chargé le ministre de la Défense, Vladimir Padrino, d'assurer un suivi auprès de l'Iran concernant ses missiles. Il avait alors déclaré: «Padrino, quelle bonne idée de parler avec l'Iran pour voir quels missiles de courte, moyenne et longue portée ils ont, et s’il est possible de nous en faire livrer, étant donné les excellentes relations que nous entretenons avec l'Iran.»
Le régime iranien et le Venezuela ont déjà signé plusieurs accords militaires et industriels ces dernières années. Pour les autorités iraniennes, il y a des avantages militaires, stratégiques et économiques à coopérer avec Caracas.
D'un point de vue stratégique, pour le régime iranien, armer le Venezuela de missiles balistiques avancés peut constituer une menace et nuire aux intérêts nationaux de son principal rival, les États-Unis. La portée des missiles balistiques de l'Iran a augmenté à plus de 2 000 km, ce qui signifie qu'ils ne peuvent pas atteindre les États-Unis depuis le territoire iranien, mais peuvent menacer l'Europe de l'Est, ainsi que des pays comme la Turquie, l'Arabie saoudite, Israël et le Yémen.
En fournissant des missiles balistiques de longue portée aux pays d'Amérique du Sud, l'Iran pourra prétendre que ses missiles peuvent également frapper le territoire américain. Puisque le régime de Téhéran préfère s'engager dans une guerre asymétrique avec ses rivaux, plutôt que dans des affrontements directs, il peut également mettre sur pied des groupes miliciens en Amérique du Sud, et les fournir en armes et missiles.
Téhéran a déjà mis en place des schémas similaires dans d'autres pays, dont le Yémen. Les drones et missiles sophistiqués que la milice houthie utilise proviennent très probablement du régime iranien, qui a reconnu le groupe terroriste comme le gouvernement officiel du Yémen. Un rapport du groupe d’experts de l'ONU publié en janvier 2021 indique qu'il existe des preuves solides démontrant que le régime iranien fournit des armes aux Houthis. Le rapport souligne en effet qu’«un nombre croissant de preuves suggèrent que des individus ou des entités en Iran fournissent des quantités importantes d'armes et de composants aux Houthis».
Pour les autorités iraniennes, il y a des avantages militaires, stratégiques et économiques à coopérer avec Caracas.
– Dr Majid Rafizadeh
L'Arabie saoudite a été la principale cible des armes iraniennes fournies aux Houthis. La milice a envoyé plus de 40 drones et missiles sur le Royaume rien qu'en février. Auparavant, les Houthis avaient également revendiqué les attaques de 2019 contre deux usines d'Aramco au cœur de l'industrie pétrolière du Royaume – à Abqaiq, la plus grande installation de traitement de pétrole au monde, et à Khurais, le deuxième plus grand champ pétrolier du pays.
L'Iran avait prévu d'expédier des armes au Venezuela sous l'administration Trump. Mais après que l'administration précédente a menacé de détruire toute cargaison, Téhéran a apparemment attendu que le président Joe Biden prenne ses fonctions. Sous l'administration Trump, le représentant spécial pour l'Iran et le Venezuela de l'époque, Elliott Abrams, avait averti: «L'Iran a annoncé son intention de vendre des armes, et le Venezuela est une cible évidente, parce que ces deux régimes parias entretiennent déjà des relations. L’envoi de missiles iraniens au Venezuela ne sera ni toléré ni autorisé par les États-Unis. Nous ferons tout notre possible pour arrêter les expéditions de missiles de longue portée, et si d'une manière ou d'une autre ils arrivent au Venezuela, ils y seront éliminés.»
Si l'administration Biden ne réagit pas fermement, et n'arrête pas la livraison d'armes présumée de l'Iran au Venezuela, les dirigeants iraniens seront enhardis, et augmenteront encore leurs ventes d'armes à l'Amérique du Sud. Le sénateur Richard Blumenthal, membre de la Commission sénatoriale des forces armées, compare la situation actuelle à la crise des missiles cubains de 1962, «bien qu'à un niveau de menace très réduit». «Autoriser l’Iran à envoyer des armes à un adversaire dans cet hémisphère est un précédent assez alarmant», a-t-il affirmé.
D'un point de vue économique, l'Iran à court d'argent peut contourner les sanctions, et accéder à des revenus en vendant des armes aux pays d'Amérique du Sud. Des rapports de mai 2020 révèlent que Mahan Air, la compagnie d’aviation iranienne sous sanctions, qui a des liens avec le Corps des gardiens de la révolution islamique d'Iran (CGRI), avait effectué plusieurs vols vers la nation sud-américaine le mois précédent. Le régime iranien aurait fourni «des pièces, des techniciens et des additifs pour essence pour réparer une grande raffinerie au Venezuela», recevant en retour 9 tonnes de lingots d'or.
En somme, le régime iranien et le Venezuela testent l'administration Biden. Il incombe aux États-Unis de répondre avec force à cette nouvelle escalade de l'Iran.
Le Dr Majid Rafizadeh est un politologue irano-américain formé à Harvard. Twitter : @Dr_Rafizadeh
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