Plus que dix jours nous séparent de la treizième élection présidentielle iranienne. Un scrutin aux résultats connus d’avance, semble-t-il, car jusqu’à présent toutes les mesures électorales convergent avec la précision d’une horloge en un boulevard vers la victoire du candidat ultraconservateur Ebrahim Raïssi, le chef du système judiciaire, fortement pressenti pour accéder à la présidence de la République le 18 juin.
Cette trajectoire est fermement balisée par le Conseil des gardiens de la Constitution, chargé de déterminer l’éligibilité des candidats à la présidence, et par conséquent d’exclure ou de retenir les candidatures.
Et dans le cadre des dispositions établies, le régime a rejeté à ce jour plus de 582 candidats hommes et femmes. Parmi eux, des poids lourds tels Ali Larijani, conseiller du Guide suprême et ancien chef du Parlement ou Conseil de la Choura, l’actuel vice-président de la République, Eshaq Djahanguiri, ainsi que l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad.
Mais le tollé suscité par cette hécatombe électorale n’a pas abouti à une révision du processus, ce qui incite les observateurs à affirmer que cette présidentielle n’est qu’une occasion de couronner le poulain du Guide suprême, Ali Khamenei, en l’occurrence Ebrahim Raïssi, ultraconservateur pur jus. En effet, son bilan judiciaire à l’époque du tristement célèbre Comité de la mort, responsable de l’exécution de centaines d’opposants entre 1988 et 1990, le classe parmi les extrémistes du régime.
La candidature de Raïssi annonce un changement capital dans l’approche du Guide suprême en ce qui concerne la direction du régime dans la prochaine période. La présidentielle est un maillon de plus dans la chaîne qui ancre la scène iranienne dans l’extrémisme, tout comme le furent les élections du Conseil de la Choura en février dernier. Le Conseil des gardiens s’était alors livré au même exercice, excluant un grand nombre de candidats issus du camp réformiste; et le mouvement ultraconservateur a fini par remporter la majorité des sièges, une victoire qui ne laisse aucune équivoque sur l’identité du pouvoir législatif.
À présent, c’est au tour de l’identité du pouvoir exécutif d’être recadrée pour s’harmoniser avec le système judiciaire dirigé par Ebrahim Raïssi, sous l’autorité du Guide suprême. Quatre décennies après la naissance du régime théocratique de la République islamique, au lieu de prendre le virage du libéralisme et de la diversité, l’Iran va dans le sens inverse, signe d’une militarisation croissante du régime. Mais cette position indique aussi que le mouvement ultraconservateur ne veut plus maintenir l’équilibre dichotomique au sein de l’État, et ne compte plus poursuivre le jeu politique de la concurrence entre les deux mouvements, réformiste et conservateurs, dans le système théocratique présidé par le Guide suprême.
Nous assistons donc à la fin de partie en ce qui concerne le débat politique. Le régime iranien ne veut plus conserver l’apparence d’un quelconque dualisme. Il veut ôter le gant de velours désormais superflu et montrer un même visage, à l’intérieur comme à l’extérieur, conséquence de la conviction des conservateurs que cette schizophrénie date de l’époque de l’ancien président Mohammad Khatami, qui aurait ouvert la porte à des éléments «ennemis du régime» parmi les réformistes, leur permettant de s’infiltrer, cause première de l’affaiblissement passé ou futur du régime.
En Iran, le président de la République, qui fait en réalité office de Premier ministre, est considéré comme un «simple coordinateur» entre les institutions exécutives du système dans le secteur social ou culturel. Le Guide, quant à lui, tient les rênes de la religion, de la politique et de la sécurité, et tous les ministres ne font qu’exécuter ses ordres.
D’ailleurs, les pôles religieux extrémistes du courant conservateur, proches du Guide suprême, ne cachent pas leur point de vue au sujet des élections. Cheikh Mohsen Araki, figure emblématique du courant et représentant personnel du Guide en Grande-Bretagne, affirme par exemple que le «vrai sens des élections est d’aviser le peuple de son devoir d’obéissance et de soumission à un régime qui le représente au nom de l’imam al-Mahdi (le douzième imam dans le chiisme duodécimain) aujourd’hui en tant que Wali al-Faqih».
Cheikh Araki ajoute que la «mission à présent consiste à assister notre Chef et Gardien, le Wali al-Faqih, à travers l’élection d’un bras exécutif adéquat qui puisse l’assister dans la gestion» du pays. Dans cette optique, l’élection présidentielle en Iran n’est pas une occasion pour le peuple de choisir un pouvoir exécutif, mais plutôt une occasion de confirmer les choix des dirigeants, sans plus.
La trajectoire actuelle présage davantage de durcissement en Iran, d’autant plus que l’identité du prochain président, quasi certaine, confirme l’intransigeance fondamentale d’un régime qui ne voit dans les élections qu’une «déclaration populaire d’obéissance».
Ces développements s’inscrivent parallèlement à l’âge aujourd’hui avancé du Guide. Le choix d’Ebrahim Raïssi pour la présidence s’inscrit clairement dans le cadre d’une préparation pour la prochaine étape, quand viendra le temps de nommer un nouveau Guide suprême. De plus, la volonté de créer un État plus homogène découle de celle de maintenir l’alliance actuelle entre turbans et militaires. L’intention sur le plan local est d’entretenir et de renforcer l’équilibre sur le front interne afin d’empêcher l’émergence d’une atmosphère libérale dans le pays, et sur le plan international de poursuivre la politique interventionniste au Moyen-Orient sous prétexte de vouloir «exporter la révolution» vers les pays voisins.
C’est dire que l’Iran, quatre décennies après la naissance du régime des «mollahs», régresse aujourd’hui plus que jamais.