PORTO-VECCHIO: C’est le 5 juin que s’est achevé le festival itinérant corse du court métrage «Les Nuits Med». Un festival qui se revendique trait d’union entre divers pays de la rive méditerranéenne. Cette 14e édition, son président, Alix Ferraris, l’a voulue en présentiel en dépit des conditions sanitaires, car selon lui, rien ne remplace une salle de cinéma. C’est donc la cinémathèque corse de Porto-Vecchio qui a projeté 36 courts-métrages, un véritable cru de qualité qui confirme les talents émergents de la région, en particulier ceux du Maghreb et du Moyen-Orient, particulièrement récompensés cette année.
Trois jurys ont délibéré pour attribuer sept prix au total. Un jury professionnel, un jury presse et un jury talents qui ont longtemps délibéré tant la sélection était riche. Parmi le florilège de films présentés, ce sont les films égyptiens, tunisiens et turcs qui ont suscité le plus d’échanges animés, de par leur audace et l’angle qu’ils ont privilégié pour aborder des thématiques qui tournaient beaucoup autour de l’émigration, l’émancipation, des liens familiaux, de la condition de la femme et sa récente capacité dans le monde arabe à faire évoluer les diktats.
Ce festival, placé cette année sous le thème de l’insularité, est non seulement une ouverture sur la Méditerranée, mais aussi l’occasion de bâtir des ponts autour de ce qui reste le dernier espace de liberté au cinéma: le court-métrage. Pour Dominique Landron, ponte de la critique cinématographique, membre du syndicat de la critique française du cinéma, chroniqueur à RCFM et Corse-Matin, «le cinéma maghrébin a défié la censure et donné la chance aux femmes d’accéder au cinéma et de s’exporter».
Ce cinéma, à la base qualifié de «tiers-mondiste», a fait ses armes depuis les années 1970 pour rivaliser aujourd’hui avec les plus grands du secteur et s’exporter. «Il a défié la censure, s’est positionné comme un cinéma militant et a beaucoup mûri pour devenir beaucoup plus abouti, que ce soit au niveau du son ou de l’image», souligne-t-il à Arab News en français. Le court-métrage, la petite porte pour accéder à la cour des grands, se voit par ailleurs propulsé par l’avènement du numérique.
Pour leur édition 2021, Les Nuits Med ont donné à voir un univers méditerranéen plutôt sombre, témoin des temps tumultueux et des grands changements que traverse la région.
Grand favori et au final lauréat du jury presse, le film du jeune algérien Abdenoure Ziane, Jeûne d’été, apporte un brin de fraîcheur tout en traitant une thématique des plus sensibles avec une légèreté inédite. Deux jeunes adolescents, Kader et Rudy, observent le ramadan pour la première fois. Le jeune Abdenoure y évoque la religion à travers le personnage de Kader et son passage à l’âge adulte, sorte de distanciation indispensable pour embrasser sa religion l’islam. Une religion qu’il pratique totalement par choix, sans qu’elle aliène, d’où la curiosité de son ami Rudy qui finit par observer le ramadan par solidarité. Très intéressante est la posture du père de Kader, pratiquant, qui projette l’image d’un islam choisi.
«Il m’importait d’explorer ce rapport aux modèles sans les conspuer, questionner ce que l’on considère sacré, avoir une réflexion sur le positif et le rapport au temps, aux époques et aux genres d’où ce récit initiatique sur l’enfance sur fond de musique et décor western», déclare le jeune cinéaste, un des rares à se trouver sur place, Covid-19 oblige, qui ajoute que ce film est plus ou moins autobiographique.
Autre film à sortir du lot, celui de l’Égyptien Morad Mostafa, un court-métrage coup-de-poing sur la condition féminine. Dans un Moyen-Orient encore mû par les tabous et les interdits, What We Don’t Know About Mariam bouscule tous les codes dans une démarche de désinhibition totale, rarement vue dans le cinéma égyptien voire de la région.
Hors-jeu flagrant, du Tunisien Sami Tlili, dresse lui avec humour et tendresse le portrait d’une société tunisienne à travers les personnages de deux membres de l’autorité obsédés par un match de foot, et le Marocain Yazid el-Kadiri rend un bel hommage à l’art de la calligraphie arabe dans Encre ultime, quand Les Criminels du Turc Serhat Karaaslan dénonce ouvertement des mœurs répressives. Tous les pays participants avaient dépêché des ambassadeurs dont ils peuvent être fiers, preuve que la région abonde en talents créatifs qui n’attendent que les moyens de s’exprimer.
Quant à la soirée de clôture, elle s’est déroulée sous la houlette du cinéaste libanais Wissam Charaf, invité d’honneur, venu proposer une master class et la projection de son long-métrage et d’un de ses courts-métrages.