FRANCFORT : "On ne m'a demandé ni de parler l'arabe, ni de détailler mon récit": un officier allemand, jugé pour avoir préparé un attentat, a raconté mardi au tribunal comment il s'est fait passer pour un réfugié syrien et a dupé les services de l'immigration.
Pour se faire sa "propre idée" et tester le système, Franco Albrecht, 32 ans, s'est présenté à l'hiver 2015, au plus fort de l'afflux de réfugiés syriens en Allemagne, à un centre d'accueil de migrants près de Francfort, sous le nom David Benjamin.
"Je me suis habillé comme j'imaginais quelqu'un qui venait de faire des milliers de kilomètres pour venir en Allemagne", a-t-il détaillé devant le tribunal de Francfort qui le juge depuis jeudi.
"J'avais encore dix jours de congés et rien de prévu", a-t-il raconté lors d'une déclaration mêlant récit et revendications politiques, allant jusqu'à accuser la chancelière Angela Merkel d'avoir failli à protéger le "peuple allemand" contre les dangers de l'immigration massive.
Porté par une idéologie "nationale-socialiste", selon l'acte d'accusation, ce lieutenant stationné dans la base franco-allemande d'Illkirch, dans l'Est de la France, est notamment soupçonné d'avoir voulu préparer en 2017 "un acte de violence grave portant atteinte à la sécurité de l'Etat".
L'homme, qui n'a jamais caché ses opinions extrémistes, s'était constitué un véritable arsenal.
S'il nie la préparation d'attentats visant, selon le parquet, des responsables politiques et personnalités publiques, il s'est dit mardi "désolé" d'avoir enfreint la loi en dupant le système d'immigration.
Sac à dos
D'abord pris en charge par des policiers en patrouille puis emmené au poste, il a été invité à se présenter "sous deux jours" au centre d'accueil régional de Giessen.
C'est à ce moment, dit-il, qu'il a "commencé à faire des recherches" pour présenter "une histoire crédible": chrétien et syrien de Damas aux origines françaises, David Benjamin n'aurait jamais bien appris l'arabe car il fréquentait un collège français.
Mais finalement, "on ne m'a demandé ni de savoir parler l'arabe, ni de détailler mon récit en profondeur", s'est-il étonné.
Parti de Giessen dans un bus avec d'autres migrants, il passe ensuite plusieurs nuits dans des foyers d'accueil.
Sa supercherie a failli être découverte quand il a, par réflexe, répondu en allemand à un employé du centre d'accueil, s'est-il rappelé.
"J'ai remarqué qu'il n'y avait aucun contrôle, aucun protocole pour savoir qui était où et à quel moment".
Il a ainsi pu aller et venir à volonté sur le territoire et mener sa double vie, entre caserne et hébergement d'urgence, a raconté M. Albrecht aux juges.
Il gardait contact avec d'autres migrants grâce à un smartphone rudimentaire et une carte prépayée mais "le bataillon était la priorité".
Sa "vie de réfugié" tenait dans un sac à dos dont il se munissait pour les rendez-vous réguliers de suivi du dossier.
Le principal entretien pour sa demande d'asile, réalisé en français et avec une interprète, s'était déroulé sans qu'il soit vraiment questionné sur son histoire.
Au bout d'un an de procédure, il avait obtenu le statut de protection subsidiaire, une forme du droit d'asile.
L'arrestation de Franco Albrecht est survenue début 2017 alors qu'il tentait de récupérer un pistolet qu'il avait caché dans des toilettes de l'aéroport de Vienne, en Autriche.
Ses empreintes ont alors révélé leur similitude avec celles du réfugié syrien David Benjamin.
Selon l'accusation, il souhaitait faire porter la responsabilité de ses actes aux migrants dans le but de fracturer un peu plus la société allemande, profondément divisée lors de l'accueil des réfugiés organisé par le gouvernement d'Angela Merkel.
Barbe brune finement taillée, cheveux attachés en catogan, Franco Albrecht a aujourd'hui l'allure d'un trentenaire à la mode.
Cette histoire rocambolesque a notamment mis en lumière des failles dans la gestion de l'accueil des réfugiés en Allemagne alors que les autorités affirmaient contrôler strictement les procédures de demandes d'asile.
Le procès, à l'issue duquel il encourt dix ans de prison, doit durer au moins jusqu'en août.