RAMALLAH: De Haïfa à Ramallah en passant par Gaza, les Palestiniens ont vécu ces dernières semaines au rythme de manifestations, mais aussi d'affrontements meurtriers avec des Israéliens, civils ou armés. Ces évènements ont ressoudé une identité palestinienne qui s'était fragmentée, soulignent des analystes.
Le 18 mai, administrations, commerces et écoles étaient fermés en Cisjordanie occupée à l'appel d'une grève générale, au plus fort d'un cycle de violences en Israël et dans les Territoires palestiniens. Fait inédit, cette «journée de la colère» ne s'est pas limitée à la Cisjordanie.
Les rideaux de fer étaient aussi baissés à Jérusalem-Est, secteur palestinien de la ville occupé et annexé par Israël, et dans des localités arabes en Israël, comme Nazareth ou Acre (nord).
En tous points, des drapeaux palestiniens flottaient à l'occasion de cette grève en réaction au pilonnage de Gaza par l'armée israélienne et à la colonisation israélienne rampante dans les Territoires palestiniens.
«Voir chaque communauté palestinienne se mobiliser ensemble, c'est très rare», note Salem Barahmeh, directeur du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD), qui explique que l'identité palestinienne était jusque-là comme «fragmentée».
«Mort aux Arabes»
Les Palestiniens de Cisjordanie (sous occupation israélienne), de Gaza (sous blocus israélien), de Jérusalem-Est (annexé par l'État hébreu), mais aussi les Arabes israéliens, descendants des Palestiniens restés sur leurs terres à la création d'Israël en 1948: chacun fait face à des réalités différentes en fonction des territoires, coupés les uns des autres.
«Cet état de fait empêche tout échange entre Palestiniens, géographiquement, socialement, politiquement», explique M. Barahmeh, à Ramallah.
Derrière ce morcellement, il y a aussi une certaine dépolitisation, encouragée par 15 ans sans élections palestiniennes, et une classe politique elle-même divisée. Sans compter «l'introduction de politiques libérales (...) ayant créé une classe moyenne» avide d'une vie loin de la politique et des conflits, souligne M. Barahmeh.
Mais ces dernières semaines, les événements se sont emballés.
Des heurts ont d'abord éclaté entre police israélienne et Palestiniens sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est, symbole structurant de l'identité palestinienne. Puis un conflit a éclaté entre groupes armés à Gaza et Israël, faisant plus de 250 morts.
Les violences se sont étendues à la Cisjordanie et à des villes mixtes israéliennes, où vivent Arabes et Juifs.
Pour Mariam Barghouti, chercheuse et militante palestinienne, il y a eu un tournant avec les violences dans ces villes, parfois présentées comme exemples de coexistence.
Le 11 mai, un Arabe israélien, Moussa Hassouna, a été tué lors d'une confrontation entre des juifs nationalistes et des jeunes arabes à Lod, dans le centre d'Israël.
«Chaque Palestinien a une expérience différente de l'État d'Israël, cela empêche de se sentir connectés les uns aux autres, de partager une expérience commune», relève Mme Barghouti. «Mais là on a vu que (la violence) n'était pas un problème exclusif à la Cisjordanie ou à Gaza», «mais qu'elle était aussi à Tel-Aviv, à Lyd (Lod), à Jaffa, avec des gens qui criaient "Mort aux Arabes", et attaquaient des Palestiniens avec des armes».
«Même identité»
Au cours des derniers mois, Human Rights Watch (HRW) et l'ONG israélienne B'Tselem ont qualifié d'«apartheid» la politique d'Israël à l'égard des Arabes sur son sol et des Palestiniens dans les Territoires occupés, assignés aux mêmes conditions de la mer Méditerranée au fleuve Jourdain.
«La violence qui a eu lieu, la brutalité israélienne, a rappelé à tous combien ils se sentaient Palestiniens», décrypte Amal Jamal, professeur de science politique à l'université de Tel-Aviv.
«Mais il y a une grande différence entre le sentiment (identitaire) et le projet politique», s'empresse-t-il d'ajouter car selon lui, tous les Palestiniens ne s'accordent pas sur la façon de traiter avec Israël, ce qui fissure leur identité commune.
D'un côté, «les Palestiniens en Israël sont réalistes, ils ont vécu avec des Juifs pendant des décennies, ils comprennent la psyché israélienne, parlent hébreu couramment. Ce qu'ils veulent c'est faire partie du système politique (israélien), gagner en légitimité, pour résoudre le problème des Palestiniens», note-t-il.
En face, certaines factions palestiniennes comme le Hamas au pouvoir à Gaza ne reconnaissent pas l'État d'Israël et ont dernièrement lancé plus de 4 300 roquettes vers le territoire israélien.
«On se rend compte qu'on parle la même langue, on partage la même histoire, on se révolte contre le même système, on se réclame de la même identité», insiste Salem Barahmeh. «Cette unité est-elle pleine et entière? Non. Est-elle assez structurée? Pas encore. Mais c'est le début de quelque chose».