PARIS: Procès filmés, enquêtes préliminaires mieux encadrées, fin des réductions de peine automatiques: l'Assemblée nationale s'attelle mardi après-midi au projet de loi pour la "confiance" dans la justice d'Eric Dupond-Moretti, très critiqué par les professionnels et sur lequel les oppositions sont mitigées.
"Depuis trop longtemps, le fossé entre nos concitoyens et la justice se creuse", répète le garde des Sceaux et ancien avocat.
Mais son projet mécontente dans le monde judiciaire, qui voit dans certaines dispositions des mesures de "défiance" envers les magistrats et s'alarme de la "réforme permanente".
Dans leur viseur notamment, la limitation de principe à deux ans des enquêtes préliminaires pour accélérer les procédures. Mais seules 3% dépassent cette durée, relève l'Union syndicale des magistrats, qui oppose un "manque de moyens de police judiciaire" et le temps nécessaire aux enquêtes politico-financières.
Objet de plus de 800 amendements, le texte d'une quarantaine d'articles, accompagné d'un volet organique, est débattu dans l'hémicycle jusqu'à vendredi. Parallèlement, le ministre mène campagne aux élections régionales dans les Hauts-de-France.
Parmi la palette de mesures à l'étude, figurent des sujets grand public comme l'enregistrement des audiences en vue de leur diffusion, ou le développement du travail en détention.
Mais aussi des dispositions plus techniques, trop tournées vers la justice pénale aux yeux de la gauche et de l'UDI, qui auraient souhaité s'atteler à "la justice du quotidien, la justice civile".
La confiance dans la justice? "Le titre" du projet de loi est "un peu plus ambitieux que son contenu", relève le patron de l'UDI Jean-Christophe Lagarde.
Socialistes et insoumis défendront chacun une motion de rejet, au coup d'envoi des échanges.
De leur côté, les députés LR veulent "durcir le texte", prévient leur chef de file Damien Abad, insatisfait notamment du volet sur l'exécution des peines.
Amendements de dernière minute
Dans les mesures les plus débattues figure la généralisation des cours criminelles départementales, sans attendre la fin de leur expérimentation prévue pour 2022.
Ces cours, composées de cinq magistrats professionnels, sans jury populaire, ont été mises en place pour désengorger les cours d'assises et jugent en première instance des crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion, majoritairement des viols.
Eric Dupond-Moretti, qui craignait jadis qu'elles ne remplacent les cours d'assises, a changé d'avis, ce qu'épinglent professionnels comme parlementaires. Il y a "une volonté plus ou moins affichée de disparition du système d'assises", ce qui "pose un véritable problème sur la manière dont on rend la justice dans notre pays", d'après les communistes.
Autre sujet sur lequel la gauche va monter au créneau: la suppression des crédits de réduction de peines automatiques. Eric Dupond-Moretti veut "des crédits de peine exclusivement à l'effort", en fonction de la "bonne conduite" en détention et des "efforts de réinsertion".
Le gouvernement veut raffermir ce volet pour les agresseurs de forces de l'ordre, après le meurtre d'un brigadier à Avignon lors d'une opération de contrôle sur un point de deal.
Des milliers de policiers doivent d'ailleurs se rassembler mercredi devant le Palais Bourbon à l'appel des syndicats pour réclamer plus de sévérité, alors qu'un projet de loi distinct est en préparation.
Les députés ont déjà complété le projet Dupond-Moretti en commission sur divers aspects, notamment "l'enregistrement sonore ou audiovisuel" des audiences en vue de leur diffusion, "pour un motif d'intérêt public" une fois le dossier définitivement jugé.
"On s'oriente vers la production d'une émission télévisée" par le gouvernement, grince Ugo Bernalicis (LFI). Mais selon M. Dupond-Moretti, "il ne s'agit surtout pas de faire du +trash+, du +live+".
Un amendement gouvernemental entend élargir l'enregistrement aux auditions et interrogatoires par le juge d'instruction.
Autre proposition phare du ministre pour la séance: la création d'un "pôle unique national" au sein de l'appareil judiciaire pour mieux élucider les crimes en série ou non résolus.
Mais pas de débat possible sur l'irresponsabilité pénale: des amendements de députés ont été jugés irrecevables. La question, qui a ressurgi après la confirmation qu'il n'y aurait pas de procès pour le meurtrier de Sarah Halimi, gros consommateur de cannabis, doit faire l'objet d'un projet de loi fin mai.