PARIS : Deux anciens militants de l'extrême gauche italienne, condamnés pour terrorisme en Italie, se sont rendus jeudi à la justice en France, où sept autres Italiens ont été arrêtés mercredi, après le feu vert historique de Paris au lancement de leurs procédures d'extradition.
Luigi Bergamin, un ex-membre des Prolétaires armés pour le communisme, âgé de 72 ans, et Raffaele Ventura, un ancien membre des Formations communistes combattantes, 71 ans, se sont présentés successivement, jeudi matin, à la cour d'appel de Paris, accompagnés de leurs avocats, selon des sources judiciaire et proches du dossier.
Un dixième Italien, également réclamé par l'Italie, Maurizio Di Marzio, restait en fuite jeudi.
Jeudi, neuf de ces anciens activistes, désormais sexagénaires ou septuagénaires, se sont vus notifier les mandats d'arrêt italiens par des magistrats de la cour d'appel de Paris.
Parmi eux se trouve l'ex-brigadiste Marina Petrella, 66 ans, dont le président Nicolas Sarkozy avait refusé en 2008 l'extradition autorisée par la justice française.
Tous ont été relâchés sous contrôle judiciaire, avec « interdiction de quitter » la France, a annoncé le parquet de Paris.
« Aucun n'a consenti » aux demandes d'extradition italiennes, sur lesquelles la cour d'appel commencera à se pencher au cours d'une première audience mercredi. Cette procédure devrait prendre plusieurs mois.
Leur arrestation intervient après la décision d'Emmanuel Macron, dans un virage historique plus de 30 ans après, de régler ce litige en favorisant la mise à exécution des demandes d'extradition récemment réitérées par l'Italie.
Cette décision est le fruit de mois de tractations avec Rome, qui a réduit ses demandes d'extradition de 200 personnes à dix.
Ces anciens militants, dont des anciens membres des Brigades rouges, se sont réfugiés en France dans les années 1980, où ils ont refait leur vie tandis que l'Italie les condamnait pour des crimes de sang commis dans les années 1970-80, dites « les années de plomb ».
Plusieurs contestent être impliqués dans les meurtres d'un policier, d'un industriel ou d'un officier de gendarmerie pour lesquels ils ont été condamnés.
La « doctrine Mitterrand »
Leur arrestation a été saluée à l'unisson par la presse et les autorités italiennes, mais dénoncé en France par les avocats des interpellés et par la Ligue des droits de l'Homme.
Pour la LDH, « s’en prendre à des femmes et des hommes qui vivent dans notre pays depuis plus de 40 ans pour des faits encore plus anciens, jugés en Italie dans des conditions dictées par les contingences de l’époque, ce n’est pas faire acte de justice, c'est raviver des plaies que le temps avait commencé de refermer ».
Des avocats des interpellés ont fustigé « un reniement de la parole d'Etat », affirmant que leurs clients relevaient de l'engagement pris en 1985 par François Mitterrand (l'ancien président français de 1981 à 1995) de ne pas extrader les anciens activistes ayant rompu avec leur passé.
La présidence française affirme au contraire que cette décision peut « s'inscrire strictement » dans la « doctrine Mitterrand » consistant à n'extrader des anciens militants que pour des crimes de sang.
« Personne ne conteste qu'ils aient refait leur vie, mais il y a des règles de droit qui s'appliquent pour tout le monde », a estimé l'avocat de l'Etat italien dans cette affaire.
Pour Me William Julié, « la France et l'Italie sont des Etats de droit, qui respectent les conventions internationales » et notamment les conditions fixées par le traité de Dublin, récemment ratifié par l'Italie pour permettre ces extraditions.
Depuis 1981, seuls deux décrets d'extradition d'activistes d'extrême gauche italiens ont été signés, sous la présidence de Jacques Chirac: celui de Paolo Persichetti, extradé en 2002, et celui de Cesare Battisti en 2004, qui vivait en France depuis 1990 mais avait pris la fuite avant sa remise.
« Je n'ai strictement aucun état d'âme », a réagi mercredi le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti. « Je suis fier de participer à cette décision qui, je l'espère, permettra à l'Italie, après 40 ans, de tourner une page de son histoire maculée de sang et de larmes ».
Entre 1969 et 1980, « 362 personnes ont été tuées par ces terroristes et 4 490 blessées », a souligné le Garde des Sceaux.