La stabilité de la Jordanie est vitale et le roi Abdallah est son plus grand garant

Le roi Abdallah de Jordanie. (AFP)
Le roi Abdallah de Jordanie. (AFP)
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Publié le Dimanche 18 avril 2021

La stabilité de la Jordanie est vitale et le roi Abdallah est son plus grand garant

La stabilité de la Jordanie est vitale et le roi Abdallah est son plus grand garant
  • L'observateur moyen penserait - naturellement - que les récents troubles ont pris fin en Jordanie avec la conclusion de la saga de la Cour royale qui a vu le prince Hamzah bin Hussein signer une lettre réitérant son allégeance
  • Il y a une raison sous-jacente plus profonde qui explique pourquoi cette fracture est remontée à la surface et pourquoi les médias sociaux critiquent le gouvernement jordanien - et cette raison, c’est la crise économique

La semaine dernière, la Jordanie a célébré son centenaire. Malgré des cérémonies réduites en raison de la pandémie - et malgré une récente discorde au sein de la Cour royale hachémite - la Jordanie a parfaitement le droit de célébrer et d'être fière.

En effet, marquer un centenaire est une réalisation notable pour un pays aux ressources limitées (y compris en eau potable), aux voisins gênants, à une économie vacillante et à un surplus de réfugiés. Malgré ces défis, la Jordanie est restée fidèle à ses valeurs, à l'avant-garde de la lutte contre le terrorisme et un allié indéfectible des États-Unis, partisan d'un islam tolérant et acteur crucial dans les pourparlers de paix régionaux.

Pour nous, Saoudiens, nos voisins jordaniens représentent une monarchie arabe stable avec qui nous partageons non seulement des liens historiques et familiaux, mais aussi une grande frontière nord et plusieurs autres intérêts mutuels. Les Saoudiens, comme beaucoup d’Arabes, apprécient également le statut de «zone tampon» de la Jordanie et admirent sa capacité unique à absorber les chocs causés par des troubles régionaux sans fin. C'est pourquoi la question à Riyad ces derniers jours n'a pas porté sur une rupture apparente au sein de la Cour royale jordanienne, mais plutôt sur la façon dont les experts occidentaux n'ont pas réussi à saisir la situation dans son ensemble.

Pour être juste, l'observateur moyen penserait - naturellement - que les récents troubles ont pris fin avec la conclusion de la saga de la Cour royale qui a vu le prince Hamzah bin Hussein signer une lettre réitérant son allégeance, et le roi Abdallah déclarer que le problème était désormais résolu. Les deux ont fait leur première apparition publique commune lors des cérémonies du centenaire.

Cependant, c'est le Moyen-Orient, et ici, il faut toujours lire entre les lignes. C’est pourquoi il est surprenant que des chroniqueurs célèbres - comme David Ignatius du Washington Post - et d’autres qui ont écrit pour des publications comme Foreign Policy, soient passés à côté de quelque chose à cette occasion.

Par exemple, aux yeux d'Ignatius, ce qui s'est passé à Amman n'était qu'un «épisode fascinant de la version jordanienne de« The Crown »- dans lequel les discordes de la politique familiale commune à la plupart des dynasties royales affectent les Hachémites», écrit-il le 6 avril.

Une comparaison plus précise entre une œuvre dramatique et les malheurs de la Jordanie serait "Apocalypse Now" - et non "The Crown".

 

Faisal J. Abbas

Sur la base de cette affirmation, il propose un diagnostic et un remède au problème: «L'aspect le plus inquiétant du revers jordanien est que (le roi) Abdallah a peut-être développé l'obsession des ennemis imaginaires des médias sociaux», écrit-il. Bien sûr, s'il n'y a pas d'objection à l’éditorial qui prône la liberté d'expression et la critique, son analyse souffre de manque de clairvoyance. C’est parce qu’il se concentre sur les effets plutôt que sur la cause des problèmes de la Jordanie, qui pourraient avoir d’énormes ramifications régionales.

Prenons l'analogie avec «The Crown», par exemple. Une comparaison plus précise entre une œuvre dramatique et la véritable ampleur des affres de la Jordanie et des défis potentiels futurs serait «Apocalypse Now».

Il y a une raison sous-jacente plus profonde qui explique pourquoi cette fracture est remontée à la surface et pourquoi les médias sociaux critiquent le gouvernement jordanien - et cette raison, c’est la crise économique.

C'est ce sur quoi la communauté internationale et une nouvelle administration américaine doivent se concentrer.  Ne pas diagnostiquer des problèmes sociétaux plus profonds dans des pays comme la Jordanie, qui se traduisent finalement par une multitude de conséquences- qu’il s’agisse de divisions du leadership, d’aliénation massive ou de troubles civils, pourrait être l’une des erreurs les plus coûteuses de politique étrangère de la communauté internationale.

La Jordanie, après tout, est voisine des territoires problématiques d’Israël / Palestine, d’un Irak pris en otage, d’une Syrie sévèrement divisée et d’un Liban profondément instable. Le chaos en Jordanie entrainerait  potentiellement des vagues sans précédent de réfugiés traversant les frontières, et exacerberait facilement l'instabilité existante dans les régions voisines, créant un nouveau vide à exploiter pour des extrémistes comme Daech.

Tout cela peut sembler tiré par les cheveux, mais ne vous y trompez pas: la Jordanie traverse une crise grave. Contrairement aux États-Unis, à la plupart des pays d'Europe occidentale ou du Golfe voisin, la Jordanie n'a pas les moyens de compenser l'énorme facture économique causée par la pandémie.

Le projet de loi budgétaire 2021 a été récemment décrit par le ministre jordanien des Finances, Mohamad Al-Ississ, comme «le plus difficile de tous les temps pour la Jordanie. La pandémie de coronavirus et les circonstances régionales exceptionnelles ont minimisé la croissance. »

Riyad ne trouve aucun intérêt dans une Jordanie déstabilisée et ne bénéficie que du soutien de la capacité unique du roi Abdallah à traverser les tempêtes régionales.

Faisal J. Abbas

Ajoutez à cela le fait que la Jordanie accueille près de 1,3 million de Syriens, dont plus de la moitié sont des réfugiés. Au plus fort de la guerre civile syrienne, près de 13 000 Syriens par jour affluaient en Jordanie. À ce jour, la Jordanie, une nation de seulement 10 millions d'habitants, n’a pas été suffisamment indemnisée pour ses efforts monstres visant à contenir une crise mondiale des réfugiés. N'oublions pas que la Jordanie a également accueilli dans le passé des réfugiés palestiniens et irakiens alors qu'elle n'avait pas les moyens de subvenir à leurs besoins.

C’est évident depuis longtemps. La solution à cette crise nécessitera plus qu'un simple appel téléphonique de la Maison Blanche. Le roi Abdallah mérite d'être écouté, plutôt que de sous-entendre qu'il devrait cesser de lire les critiques relatives à une crise nationale que son gouvernement annonce depuis des années.

Pour leur part, les puissances régionales ont été plus attentives aux besoins de la Jordanie (et par extension de la région). Constatant que la Jordanie était poussée à ses limites, l'Arabie saoudite a commandé de l’oxygène pour la Jordanie pour lutter contre le coronavirus et continue d'envoyer des quantités importantes d'aide via le King Salman Humanitarian Aid and Relief Centre (KSrelief). En 2018, l'Arabie saoudite a lancé une initiative économique pour aider la Jordanie. Appelé le Sommet de La Mecque, il a réuni le Koweït et les Émirats arabes unis et a abouti à un programme d'aide de 2,5 milliards de dollars.

La vérité est que, contrairement aux croyances des adeptes de la théorie du complot, Riyad n'a aucun intérêt dans une Jordanie déstabilisée et ne bénéficiera que du soutien de la capacité unique du roi Abdallah à diriger son peuple à travers les tempêtes régionales.

Cependant, il en faut beaucoup plus. Et il est impératif que la nouvelle administration américaine ne se fasse aucune illusion : les derniers remous en Jordanie ne découlent pas exclusivement d’une saga familiale. Les facteurs économiques qui l’ont provoquée, même indirectement, se renforcent de jour en jour - et nous tous devons aux Jordaniens de les soutenir de toutes les manières possibles.

 

Faisal J. Abbas est rédacteur en chef de Arab News.
Twitter: @FaisalJAbbas

NDLR: les opinions exprimées par les rédacteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News