Au milieu des sables mouvants géopolitiques du Moyen-Orient, trois pays arabes réagissent en se serrant les coudes et en cherchant à coordonner leurs positions. La Jordanie, l'Égypte et l'Irak ont souligné l'importance de faire face conjointement à des défis politiques et économiques communs à un moment où la région traverse des bouleversements majeurs. Le roi Abdullah a organisé un sommet trilatéral d'une journée à Amman le 25 août, le troisième du genre en moins de 18 mois. Le président égyptien Abdel Fattah El-Sissi et le Premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi y ont également participé.
Dans un communiqué conjoint, les trois dirigeants ont insisté sur le besoin de traduire les relations stratégiques étroites entre leurs pays en coopération dans les secteurs vitaux, comme l’interconnexion électrique, les projets relatifs à l’énergie, et une zone économique commune. Ils veulent également tirer parti du potentiel de chaque pays pour parvenir à une intégration des ressources, en particulier pour faire face aux implications de la pandémie de coronavirus sur les soins de santé et la sécurité alimentaire et économique. Les discussions au sommet ont porté sur l'institutionnalisation d’un mécanisme trilatéral en établissant un secrétariat exécutif avec un siège tournant chaque année, selon le communiqué.
Dans son allocution d’ouverture, le roi Abdullah a affirmé que la réunion était très importante « à la lumière des circonstances extraordinaires actuelles dans la région et dans le monde ». Il a également souligné l’importance d’une coordination étroite et d’une action conjointe pour faire face aux développements rapides dans la région et aux tentatives d’ingérence étrangère. Le roi a poursuivi en déclarant que la cause palestinienne restait la question centrale dans la région et que la Jordanie continuait d'appeler à une solution à deux États mettant fin à l'occupation israélienne et conduisant à l'établissement d'un État palestinien indépendant fondé dans les frontières définies en 1967.
L’intégration économique est vitale et possible compte tenu des énormes ressources dont disposent les trois pays.
Pour sa part, Mustafa Al-Kadhimi a souligné le soutien de l’Irak à la cause palestinienne et au droit du peuple palestinien à un État, ajoutant que Bagdad œuvrait pour éviter les conflits et recherchait la coopération économique et l’intégration avec la Jordanie et l’Égypte. Enfin, le maréchal El-Sissi a déclaré qu’il était sur la même ligne que le roi sur la cause palestinienne et sur l'importance de parvenir à une solution basée sur deux États, notant que cela aurait un impact positif sur toute la région.
Faire bloc par rapport à d’autres Etats de la région
La mention par le roi Abdullah des ingérences étrangères fait référence aux préoccupations des trois dirigeants concernant les interventions turques et iraniennes dans la région, qui est perturbée par un certain nombre de conflits. Pour l'Irak, les incursions turques au Kurdistan irakien — en violation des accords précédents passés entre Ankara et Bagdad — ont tendu les relations et fait pression sur Al-Kadhimi pour qu'il réagisse. Plus grave encore, le Premier ministre, qui avait achevé une visite cruciale à Washington une semaine auparavant, doit faire face aux tentatives iraniennes de déstabilisation en Irak. Sa tâche immédiate est de désarmer les milices pro-iraniennes qui menacent de transformer le pays en une arène pour une confrontation américano-iranienne.
La Jordanie, l’Égypte et l’Irak jugent nécessaire de serrer les rangs et de travailler ensemble pour mener une action arabe commune. Il existe actuellement trois entités non arabes qui cherchent à s'implanter dans le monde arabe : Israël, l'Iran et la Turquie.
L’Égypte, en revanche, considère l’appui de la Turquie au Gouvernement d’union nationale (GNA) en Lybie comme une menace à sa sécurité nationale. Ankara a envoyé des mercenaires, des conseillers politiques et des équipements pour soutenir le GNA dans sa lutte contre les forces dissidentes, dirigées par le maréchal Khalifa Haftar, qui contrôlent l'est de la Libye, en particulier des champs pétroliers stratégiquement importants. En outre, le président égyptien s'inquiète des tentatives de la Turquie d'empiéter sur les eaux territoriales de la Méditerranée orientale. L’incapacité de parvenir à un accord avec l’Éthiopie sur le remplissage du Grand barrage de la Renaissance éthiopien s’ajoute aux inquiétudes du Caire.
Pour la Jordanie, le besoin de réaffirmer que la solution à deux États est la seule voie vers une paix juste et durable entre Israël et les Palestiniens. C’est une nécessité d’autant plus urgente dans un contexte de pression américaine croissante sur les États arabes pour la normalisation des relations avec Israël en violation de l’initiative de paix arabe de 2002. La Jordanie a des préoccupations existentielles légitimes liées à l'échec de la solution à deux États, compte tenu de ses relations uniques avec les Palestiniens de Cisjordanie. Elle considère également l'instabilité dans la Syrie voisine comme un défi pour sa propre sécurité.
La Jordanie, l’Égypte et l’Irak jugent nécessaire de serrer les rangs et de travailler ensemble pour mener une action arabe commune. Il existe actuellement trois entités non arabes qui cherchent à s'implanter dans le monde arabe : Israël, l'Iran et la Turquie.
Mais cette nouvelle alliance tripartite pourra-t-elle survivre aux défis géopolitiques qui s’annoncent ? L’intégration économique est vitale et possible compte tenu des énormes ressources dont disposent les trois pays. Les tentatives précédentes de coopérer ensemble — la dernière s’étant déroulée lors du Conseil de coopération arabe à la fin des années 1980 — ont jusqu’ici échoué.
Les trois pays sont des alliés proches des États-Unis, mais politiquement, leurs priorités pourraient différer. Pour l’instant, cette alliance est une réponse naturelle à une nouvelle ère où l’effondrement de l'ordre arabe a laissé un vide crucial. Aucun des trois pays n'est en mesure de mener seul le leadership face aux défis politiques, économiques et sanitaires nationaux croissants. Mais, à mesure que ces défis s'accumulent, l'unité devient une nécessité plutôt qu'un luxe.
Osama Al-Sharif est journaliste et commentateur politique, basé à Amman.
Twitter : @plato010
NDLR: Les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com