PARIS: La question sensible de la laïcité est à nouveau au centre d'enjeux politiques : Matignon doit trancher dans les prochaines semaines sur le devenir de l'Observatoire de la laïcité, sous le feu des critiques de certains politiques qui lui reprochent de ne pas faire assez contre l'islamisme.
Le Premier ministre l'avait laissé entendre à l'automne. Marlène Schiappa, la ministre chargée de la Citoyenneté l'a confirmé ces derniers jours devant le Sénat : le gouvernement veut faire « évoluer le portage de la laïcité ».
Et cela ne passera « pas nécessairement par le maintien de l'Observatoire », dont le mandat du président et ex-ministre socialiste Jean-Louis Bianco vient d'expirer, a-t-elle précisé.
Cette instance consultative installée en 2013 est chargée, sur le terrain (école, entreprises, administrations), de faire de la pédagogie sur les principes de la laïcité (neutralité de l'Etat, liberté de conscience et de religion dans le respect des lois de la République...) ou de conseiller le gouvernement à travers avis et rapports.
La ministre a plaidé pour un nouveau système, à double étage : « une instance de type ‘haut conseil à la laïcité’ » et « un renfort au niveau de l'administration ».
Depuis plusieurs années, l'Observatoire - une vingtaine d'experts et parlementaires - a été accusé par certains responsables politiques, ou des membres du Printemps républicain, mouvement proche de l'ancien Premier ministre Manuel Valls, d'être trop laxiste et de ne pas en faire assez contre l'islamisme.
« Le problème », c'est « sa complaisance invraisemblable envers des mouvements qui (...) mettent en danger » la loi de 1905 séparant les Eglises et l'Etat, affirme ainsi l'essayiste Caroline Fourest dans Le Point vendredi.
Des accusations que l'Observatoire n'a cessé de réfuter, plusieurs acteurs de terrain venant ces derniers jours saluer son action.
« Outil répressif »
Le clivage n'est pas nouveau, mais il ressurgit, opposant deux camps aux conceptions différentes de la laïcité à la française ; les tenants d'une limitation plus poussée de la liberté religieuse notamment du port de signes religieux comme le voile, d'un côté. Et les partisans du respect de la liberté religieuse tant qu'elle ne trouble pas l'ordre public, de l'autre.
Craignant une politisation du sujet, un collectif de 119 universitaires a mis en garde, dans une tribune dans Le Monde mercredi, contre la tendance à vouloir « élargir, sous prétexte de laïcité, le domaine d'application de la neutralité du seul Etat à la société en son entier ».
Cela reviendrait à faire de la laïcité « un outil répressif, de contrôle et d'interdiction, en contradiction totale (...) avec la loi de 1905 », selon ces chercheurs et sociologues, dont Olivier Roy, Philippe Portier, ou encore Jean Baubérot.
Vendredi, dans Libération, un autre collectif de professeurs d'universités américaines, canadiennes ou européennes avertissent qu'avec l'éventuel non-renouvellement de l'Observatoire, « la peur prend le pas sur le respect des principes essentiels des droits humains ».
Querelles de territoire
A quoi ressemblera ce processus de refonte de la laïcité ? A Matignon, on espère aboutir d'ici à la fin du mois. Mais la question est « complexe, source d'embarras, pour ne pas dire de division », indique une source proche du dossier.
Il y a notamment des « querelles de territoires entre plusieurs ministres », affirme une autre source préférant garder l'anonymat. D'un côté, Marlène Schiappa, qui aspire à être ‘Mme Laïcité’ et s'active en « mobilisant » des « référents laïcité » dans les départements. De l'autre, Gérald Darmanin, qui est depuis l'automne, très à l'offensive dans la lutte contre le « séparatisme » islamique.
Et enfin Jean-Michel Blanquer, qui, entre son Conseil des sages de la laïcité (côté Education nationale), et le lancement d'un think tank sur la laïcité, « entend montrer que c'est son pré-carré », ajoute cette source.
Quelle ligne défendrait un futur haut conseil ? « Si on se contente de changer des noms, ce sera cosmétique. Il faut tout revoir de fond en comble », observe Amine El Khatmi, cofondateur du Printemps républicain. « Notamment la question des moyens, 60 000 euros (budget de fonctionnement annuel de l'Observatoire, ndlr) étant bien insuffisants ».
En attendant, Bianco et son rapporteur général Nicolas Cadène défendent leur bilan : 350 000 fonctionnaires, associatifs, ou entreprises formés en huit ans et des demandes d'intervention « qui n'ont jamais été aussi importantes ».