Erdogan a insulté l'UE bien avant «SofaGate»

 Le président turc Recep Tayyip Erdogan reçoit le président du Conseil européen Charles Michel, à gauche, et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen au Complexe présidentiel à Ankara. (Bureau de presse de la présidence turque via AFP)
Le président turc Recep Tayyip Erdogan reçoit le président du Conseil européen Charles Michel, à gauche, et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen au Complexe présidentiel à Ankara. (Bureau de presse de la présidence turque via AFP)
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Publié le Dimanche 11 avril 2021

Erdogan a insulté l'UE bien avant «SofaGate»

Erdogan a insulté l'UE bien avant «SofaGate»
  • Le manque de courtoisie à l'égard de Mme von der Leyen intervient à peine un mois après le retrait de la Turquie, décision prise par Erdogan, de l'une des principales conventions européennes pour la lutte contre la violence à l'égard des femmes
  • Entre le président turc Erdogan et le président du Conseil européen Charles Michel, la présidente de la Commission européenne Mme von der Leyen s'est retrouvée sans chaise

Le comportement jugé malveillant et insultant du président turc Recep Tayyip Erdogan à l'égard de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a soulevé un tollé généralisé.

Lors de la réunion organisée la semaine dernière à Ankara durant laquelle Erdogan devrait s’entretenir avec  Mme von der Leyen et le président du Conseil européen Charles Michel, la présidente de la Commission européenne s'est retrouvée sans chaise. Elle n'a pas pu refouler sa surprise en voyant les deux hommes s'asseoir sur les deux chaises disponibles, ce qui l’a contrainte à se placer en retrait sur un divan. La vidéo de cette scène a suscité des milliers de commentaires hostiles à Erdogan sur les médias sociaux ; un épisode surnommé « le Sofagate ».

Jamais une femme, et encore moins la première femme à présider la Commission européenne, ne devrait être confrontée à un comportement aussi irréfléchi, honteux et déshonorant.

Comment la Turquie se défend-elle ? Le ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a avancé que la répartition des places a été discutée et décidée en accord avec l'ambassadeur de l'Union européenne à Ankara - qui est allemand, tout comme Mme von der Leyen. Néanmoins, cet incident fait preuve d'un manque de respect pour les femmes, un manque de respect profondément ancré dans l'establishment turc, peu importe si les affirmations du ministre des Affaires étrangères sont vraies ou non.

Pour tout dire, ce qui m'a consterné, c'est surtout de voir que quelqu'un n’a pas été respecté. Sans vouloir manquer de respect aux féministes et aux défenseurs des droits de l'homme à Bruxelles et dans toute l'Europe, qu'espériez-vous du régime d'Erdogan ?

Le manque de courtoisie à l'égard de Mme von der Leyen intervient à peine un mois après le retrait de la Turquie, décision prise par Erdogan, de l'une des principales conventions européennes pour la lutte contre la violence à l'égard des femmes - le comble de l'ironie est que cette convention a été signée à Istanbul, et la Turquie a été la première à la ratifier en 2012. Que signifie donc ce retrait s’il n'est pas une indication claire de ce à quoi il faut s'attendre ?

De son côté, le Premier ministre italien Mario Draghi était livide face à l' « affront » infligé à Mme von der Leyen. Il est allé jusqu'à qualifier Erdogan de dictateur. « Avec ces dictateurs, appelons- les pour ce qu'ils sont... », a-t-il lancé. « Je ne suis absolument pas d'accord avec le comportement d'Erdogan envers la Présidente von der Leyen... Je pense que son comportement n'était guère approprié et je suis très navré par l’humiliation que la présidente de la Commission a dû subir ».

Toutefois, les propos du Premier ministre italien me semblent problématiques : est-ce seulement maintenant qu'il a découvert que le régime d'Erdogan a converti la Turquie en une dictature ? L'arrestation ou la mise à pied en 2016 de près de 45 000 militaires, juges, fonctionnaires et enseignants ne constitue-t-elle pas un indicateur suffisant ?

Le manque de courtoisie à l'égard de Mme von der Leyen intervient à peine un mois après le retrait de la Turquie, décision prise par Erdogan, de l'une des principales conventions européennes pour la lutte contre la violence à l'égard des femmes. Que signifie ce retrait s’il n'est pas une indication claire de ce à quoi il faut s'attendre ?

 

Faisal J. Abbas

Selon le ministère turc de la Justice, 128 872 enquêtes ont été lancées dans les six dernières années pour « insulte au président », dont 27 717 ont entraîné des poursuites pénales et 9 556 des peines de prison. Durant cette même période, quelque 903 jeunes, âgés de 12 à 17 ans, ont été traduits en justice pour la même « accusation ».

Par ailleurs, certains suggèrent que l'affront infligé à Mme von der Leyen constitue une « insulte à l'Europe ». Toutefois, je me demande si ces détracteurs sont conscients de l'intimidation continue que la Turquie exerce à l'égard de Chypre et de la Grèce en Méditerranée orientale.

Pas plus tard que samedi, Ankara accusait  Athènes de soutenir des cellules terroristes - comble de l'ironie. Cette accusation provient d'un pays qui est souvent accusé d'héberger, de soutenir et d'encourager des extrémistes de toutes tendances, pour les exploiter sur tous les théâtres de guerre, depuis la Libye jusqu'à la Somalie, en passant par la Syrie et l'Irak.

Vient ensuite la tactique d'Erdogan qui repose sur le chantage, une tactique qu'il maîtrise presque à la perfection. À chaque fois que l'Europe s'apprête à le rappeler à l'ordre pour une nouvelle indiscrétion, que ce soit une campagne électorale illégale auprès des expatriés turcs en Allemagne ou l'empiètement sur les eaux territoriales de la Grèce dans sa quête de gisements de pétrole et de gaz, le président turc menace d'ouvrir les barrières aux réfugiés vers l'Europe. Voilà un motif encore plus valable pour entreprendre des actions contre la Turquie. Les flots de réfugiés ne menacent pas uniquement la sécurité et la stabilité de l'Europe, et ne nuisent pas uniquement aux économies de ce continent. Ils compromettent d'autant plus les valeurs fondamentales de l'Union européenne.

L'affront subi par Mme Ursula von der Leyen ne sera pas le dernier de ces comportements irrespectueux, et l’humiliation que subissent l'opposition turque et tous ceux qui osent se démarquer d'Erdogan n'est que la pointe de l'iceberg. Cette situation perdurera à moins que l'Europe, voire le monde entier, ne se décide à dénoncer Erdogan pour ce qu'il est.

Quand vous invitez un monstre à table, une chaise en moins sera le cadet de vos soucis.

 

Faisal J. Abbas est le rédacteur en chef de Arab News.

Twitter: @FaisalJAbbas.

NDLR : L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com