Safer: bombe à retardement pour le Yémen, «outil de négociation» pour les Houthis

Le FSO Safer, le pétrolier chargé de 1,1 million de barils de pétrole brut en mer Rouge au large du Yémen. (Photo, AP/Archives)
Le FSO Safer, le pétrolier chargé de 1,1 million de barils de pétrole brut en mer Rouge au large du Yémen. (Photo, AP/Archives)
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Publié le Lundi 29 mars 2021

Safer: bombe à retardement pour le Yémen, «outil de négociation» pour les Houthis

  • Les experts estiment qu'une fuite majeure pourrait gravement nuire à l’écosystème de la mer Rouge, dont dépendent environ 30 millions de personnes
  • Pour éviter une marée noire catastrophique, les responsables de l'ONU veulent que la milice soutenue par l'Iran autorise l'accès au navire en détresse

NEW YORK CITY: C'est le risque d’une catastrophe imminente qui plane sur toute discussion sur la paix au Yémen, les efforts humanitaires et les préoccupations écologiques.

Le pétrolier Safer est amarré dans la mer Rouge au large des côtes du Yémen, près du terminal pétrolier de Ras Isa, depuis plus de cinq ans.

Le navire est un terminal flottant de stockage et de déchargement (FSO) qui a été utilisé comme plate-forme offshore pour les navires chargeant du pétrole brut à partir du pipeline Marib-Ras Isa.

Il appartient à la compagnie pétrolière nationale du Yémen, la société d'opérations, d'exploration et de production, mais il est tombé aux mains des Houthis en 2015, au début de la guerre civile au Yémen. Depuis, aucun travail de maintenance n'a été effectué sur le pétrolier qui se dégrade de jour en jour.

Lorsque le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Faisal ben Farhan, a annoncé la dernière initiative saoudienne visant à instaurer la paix au Yémen, Arab News lui a demandé ce qui pouvait être fait pour désamorcer cette bombe à retardement.

«Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que les Houthis continuent de faire obstacle à ce que l'ONU fasse ce qu'elle doit faire pour prendre des mesures qui garantissent la protection de ce pétrolier qui représente une véritable catastrophe écologique d'une ampleur sans précédent en mer Rouge», a répondu le prince Faisal.

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Cette photo fournie par I.R. Consilium prise en 2019 montre le système de tuyauterie externe du FSO Safer et la défaillance du tuyau qui a conduit à un déversement. (Photo, AFP / Archives)

«C'est quelque chose d'extrêmement préoccupant. C’est très, très décourageant que les Houthis utilisent l’environnement et les moyens de subsistance de centaines, voire de milliers de pêcheurs comme outil de négociation.Et, par conséquent, nous appelons la communauté internationale à faire tout ce qui est en son pouvoir pour veiller à ce que cette situation soit résolue immédiatement, afin que ce problème ne soit pas utilisé par les Houthis comme moyen de chantage contre la communauté internationale».

La structure, l’équipement et les systèmes d’exploitation du FSO Safer se détériorent ; ce qui expose le pétrolier au risque de fuite, d’explosion ou de prendre feu.

Avec 48 millions de gallons de pétrole à bord, l'ONU prévient qu'une fuite potentielle serait quatre fois plus dangereuse que la catastrophe d'Exxon Valdez en 1989 au large des côtes de l'Alaska, considérée jusqu’à présent comme la pire marée noire du monde en termes de dommages environnementaux.

Les experts estiment qu'une fuite majeure pourrait gravement endommager l’écosystème de la mer Rouge, dont dépendent environ 30 millions de personnes, en particulier 1,6 million de Yéménites, selon l'ONU.

Un déversement dévastera sans aucun doute les pêcheries le long de la côte ouest du Yémen et détruira les moyens de subsistance des communautés de pêcheurs, dont beaucoup dépendent déjà de l’aide humanitaire pour survivre. En cas d'incendie, plus de 8,4 millions de personnes pourraient être exposées à des polluants toxiques.

Le plus inquiétant de tous pour l'ONU est qu'un déversement de pétrole entraînerait la fermeture du port de Hodeidah, ce qui ferait grimper les prix de la nourriture et du carburant et provoquerait un blocage de l'aide humanitaire à des millions de Yéménites.

Cela survient à un moment où le Yémen est confronté à la pire catastrophe humanitaire causée par les humains et pousse le pays au bord de la famine.

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Cette image satellite du document obtenue avec l'aimable autorisation de Maxar Technologies le 19 juillet 2020 montre le panorama du pétrolier FSO Safer le 19 juin 2020 au large du port de Ras Isa. (Photo, AFP / Archives)

Un déversement potentiel pourrait également perturber les routes de navigation commerciale sur la mer Rouge, l’une des voies navigables les plus fréquentées au monde, qui représente 10% du commerce mondial. Cela pourrait également avoir un impact négatif sur les pays du littoral, notamment l'Arabie saoudite, Djibouti et l'Érythrée.

Depuis 2019, l'ONU fait pression sur les Houthis pour déployer une équipe d'experts dans le but d’évaluer l'état du pétrolier et effectuer les premières réparations. La première mission, qui a été déployée à Djibouti en août de la même année, a été annulée à la dernière minute lorsque les Houthis ont brusquement retiré leur autorisation.

Des négociations sur une autre mission sont en cours depuis lors entre l'ONU et les Houthis. Ces pourparlers sont devenus une affaire urgente en mai 2020 lorsque de l’eau de mer a été signalée dans la salle des machines du Safer.

Même s'il s'agissait d'une fuite relativement petite, il a fallu plus de cinq jours aux plongeurs pour la maitriser. L'ONU affirme qu'il n'est pas clair combien de temps la réparation durera.

Antonio Guterres, le secrétaire général de l'ONU et le Conseil de sécurité ont plaidé auprès des Houthis pour permettre l'accès au pétrolier pour évaluation et réparation.

«C'est un peu comme un jeu de chat et de souris», a confié Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU, après qu'une nouvelle liste de requêtes des Houthis relatives aux «arrangements logistiques et sécuritaires» a provoqué de nouveaux retards le mois dernier.

«Nous espérons que ces discussions se termineront rapidement afin que nous puissions aller de l’avant avec la réservation des navires pour la mission».

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Cette image fournie par I.R. Consilium pris en 2019 montre le pont du FSO Safer, indiquant le manque d'entretien de base pendant plusieurs années, entraînant des déversements accidentels plus petits. (Photo, AFP / Archives)

«La catastrophe environnementale et humanitaire qui attend en cas de déversement d'hydrocarbures est tout à fait évitable. Nous faisons tout notre possible afin de déployer cette mission le plus tôt possible, ce qui constitue une étape importante qui nous fait éviter cette catastrophe.

Nous comprenons que de nombreux États membres, surtout les donateurs du projet, sont extrêmement préoccupés par ces nouveaux retards. Nous partageons bien entendu ces préoccupations».

Faisant référence aux demandes des Houthis, Dujarric a signalé: «Nous travaillons aussi assidûment que possible sur un terrain où parfois les règles du jeu semblent changer d’un moment à l’autre ».

«Par la grâce de Dieu, il n'y a pas eu de fuite majeure. Plus on attend, plus les chances d'une fuite importante augmentent. Le temps n’est du côté de personne. »

«La mission nous donnera l'évaluation dont nous avons besoin pour trouver une solution permanente. On a déjà deux ans de retard et cela ne peut plus être ajourné. Il ne s’agit pas simplement d’envoyer du personnel de l’ONU dans une région. Il s'agit de se procurer des équipements techniques très spécifiques et d'obtenir des personnes ayant une expérience très, très pointue qui sont capables et désireuses, d'une entreprise privée, de participer à cette première mission d'évaluation. »

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Cette image fournie par I.R. Consilium pris en 2019 montre la désintégration interne de l'intérieur du FSO Safer et l'absence d'un système de protection cathodique fonctionnel  (Photo, AFP / Archives)

À la question de savoir si des mesures coercitives pourraient être appropriées en vertu du chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, qui fournit un cadre permettant au Conseil de sécurité d'agir en réaction aux menaces à la paix et aux actes d'agression, ou pour empêcher l'aggravation d'une situation, Dujarric a affirmé que c’est aux États membres de décider de cette question.

La communauté internationale a clairement exprimé sa position. Lors de la dernière réunion du Conseil de sécurité sur le Yémen, le 16 mars, les 15 membres sont prononcés d'une seule voix contre les obstacles sans cesse des Houthis.

«Les Houthis menacent maintenant une catastrophe irréversible retardant l’évaluation de l’ONU et la réparation initiale du pétrolier Safer. Il est temps que les Houthis cessent de mettre des obstacles », a déclaré Linda Thomas-Greenfield, l'ambassadrice américaine auprès de l'ONU.

Son homologue britannique, Barbara Woodward, a souligné: «Les Houthis doivent mettre en œuvre de toute urgence les multiples appels du Conseil de sécurité leur demandant de faciliter la mission d'évaluation et de réparation de l'ONU relative au Safer».

La principale émissaire à l'ONU, l’Irlandaise Geraldine Byrne Nason, a soutenu: «Nous avons vu des explosions et des déversements d'hydrocarbures dans notre histoire récente causer d'énormes dévastations et un impact durable» - une allusion à la dévastation causée par l'explosion du port de Beyrouth en août 2020.

«Il serait tout simplement impardonnable que les Houthis permettent à cette catastrophe de se dérouler, alors qu’une aide leur est offerte ».

Pendant ce temps-là, les pourparlers de l'ONU avec les Houthis pour résoudre les arrangements «logistiques et sécuritaires» se poursuivent, selon Farhan Haq, porte-parole adjoint du chef de l'ONU.

«Nous espérons que ces discussions aboutiront bientôt à une conclusion afin que nous puissions obtenir un calendrier de déploiement ».

«Il y a également une réunion technique avec le gouvernement du Yémen pour les informer des efforts déployés  pour la mission dans les plus brefs délais».

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com

Le pétrolier FSO Safer, danger imminent pour la mer Rouge et le Yémen
Par Saeed Al-Batati -
Les Houthis se trompent en rejetant l’initiative saoudienne pour le Yémen
Par Hebshi AlShammari & Mohammed Al-Kinani -

Le Parlement libanais approuve un projet de loi sur le secret bancaire

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri. (AFP)
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  • La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise
  • Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière

BEYROUTH: Le Parlement libanais a approuvé jeudi un projet de loi sur la levée du secret bancaire, une réforme clé réclamée par le Fonds monétaire international (FMI), au moment où des responsables libanais rencontrent à Washington des représentants des institutions financières mondiales.

Le Parlement a adopté des amendements à "la loi relative au secret bancaire" et à la législation monétaire, selon le bureau de son président, Nabih Berri.

La communauté internationale exige depuis longtemps d'importantes réformes pour débloquer des milliards de dollars afin d'aider à la relance de l'économie libanaise, plongée depuis 2019 dans une profonde crise imputée à la mauvaise gestion et à la corruption.

La récente guerre entre Israël et le Hezbollah a aggravé la situation et le pays, à court d'argent, a désormais besoin de fonds pour la reconstruction.

Selon le groupe de défense des droits libanais Legal Agenda, les amendements autorisent "les organes de contrôle et de régulation bancaire (...) à demander l'accès à toutes les informations" sans fournir de raison particulière.

Ces organismes pourront avoir accès à des informations telles que les noms des clients et les détails de leurs dépôts, et enquêter sur d'éventuelles activités suspectes, selon Legal Agenda.

Le Liban applique depuis longtemps des règles strictes en matière de confidentialité des comptes bancaires, ce qui, selon les critiques, rend le pays vulnérable au blanchiment d'argent.

En adoptant ce texte, le gouvernement avait précisé qu'il s'appliquerait de manière rétroactive pendant 10 ans. Il couvrira donc le début de la crise économique, lorsque les banquiers ont été accusés d'aider certaines personnalités à transférer d'importantes sommes à l'étranger.

Le feu vert du Parlement coïncide avec une visite à Washington des ministres des Finances, Yassine Jaber, et de l'Economie, Amer Bisat, ainsi que du nouveau gouverneur de la Banque centrale, Karim Souaid, pour des réunions avec la Banque mondiale et le FMI.

M. Jaber a estimé cette semaine que l'adoption des amendements donnerait un "coup de pouce" à la délégation libanaise.

En avril 2022, le Liban et le FMI ont conclu un accord sous conditions pour un programme de prêt sur 46 mois de trois milliards de dollars, mais les réformes alors exigées n'ont pour la plupart pas été entreprises.

En février, le FMI s'est dit ouvert à un nouvel accord avec Beyrouth après des discussions avec M. Jaber. Le nouveau gouvernement libanais s'est engagé à mettre en oeuvre d'autres réformes et a également approuvé le 12 avril un projet de loi pour restructurer le secteur bancaire.


Syrie: Londres lève ses sanctions contre les ministères de la Défense et de l'Intérieur

Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
Abdallah Al Dardari, chef régional pour les Etats arabes au Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), lors d'une interview avec l'AFP à Damas le 19 avril 2025. (AFP)
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  • "Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor
  • Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier

LONDRES: Le Royaume-Uni a annoncé jeudi avoir levé ses sanctions contre les ministères syriens de l'Intérieur et de la Défense ainsi que contre des agences de renseignement, qui avaient été imposées sous le régime de Bachar al-Assad.

"Les entités suivantes ont été retirées de la liste et ne sont plus soumises à un gel des avoirs: ministère de l'Intérieur, ministère de la Défense", indique notamment le communiqué du département du Trésor.

Des agences de renseignement sont également retirées de la liste. La totalité d'entre elles ont été dissoutes par les nouvelles autorités en janvier.

Ces autorités, issues de groupes rebelles islamistes, ont pris le pouvoir le 8 décembre.

Le Royaume-Uni avait début mars déjà levé des sanctions à l'égard de 24 entités syriennes ou liées à la Syrie, dont la Banque centrale.

Plus de trois cents individus restent toutefois soumis à des gels d'avoirs dans ce cadre, ainsi qu'une quarantaine d'entités, selon le communiqué du Trésor.

Les nouvelles autorités syriennes appellent depuis la chute d'Assad en décembre dernier à une levée totale des sanctions pour relancer l'économie et reconstruire le pays, ravagé après 14 années de guerre civile.


1983 – L'attaque contre les Marines américains à Beyrouth

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  • Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines
  • Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang

BEYROUTH: Le 23 octobre 1983, aux alentours de 6h25, une violente déflagration secoue Beyrouth et sa banlieue, jusque dans les hauteurs montagneuses. Le souffle, sourd et diffus, fait d’abord penser à un tremblement de terre.

Mais sept minutes plus tard, une seconde explosion, bien plus puissante, déchire la ville et ses environs, dissipant toute confusion: Beyrouth venait de vivre l’un des attentats les plus meurtriers de son histoire.

Je travaillais alors pour le journal libanais As-Safir en tant que correspondant de guerre. Beyrouth était assiégée, dans sa banlieue sud, dans les montagnes et dans la région du Kharoub, par des affrontements entre le Parti socialiste progressiste et ses alliés d'une part, et les Forces libanaises d'autre part, dans ce que l'on appelait la «guerre des montagnes».

Le sud du pays a également été le théâtre de la résistance armée des combattants libanais contre l'occupation israélienne. Ces combattants étaient liés à des partis de gauche et, auparavant, à des factions palestiniennes.

Des forces multinationales, notamment américaines, françaises et italiennes, avaient été stationnées à Beyrouth après le retrait des dirigeants et des forces de l'Organisation de libération de la Palestine, à la suite de l'agression israélienne contre le Liban et de l'occupation de Beyrouth en 1982.

Quelques minutes après les explosions, la réalité s’impose avec brutalité: le quartier général des Marines américains, situé sur la route de l’aéroport de Beyrouth, ainsi que la base du contingent français dans le quartier de Jnah, ont été ciblés par deux attaques-suicides coordonnées.

Les assaillants, non identifiés, ont lancé des camions piégés – chargés de plusieurs tonnes d’explosifs – contre les deux sites pourtant fortement sécurisés, provoquant un carnage sans précédent.

Comment nous l'avons écrit

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Au lendemain des attentats, Arab News faisait état de 120 morts parmi les Marines et de 20 morts parmi les Français, un chiffre nettement inférieur au décompte final.

L'attaque de la base américaine a tué 241 militaires américains – 220 Marines, 18 marins et trois soldats – et en a blessé des dizaines. Le bombardement du site militaire français a tué 58 parachutistes français et plus de 25 Libanais.

Ces attentats étaient les deuxièmes du genre à Beyrouth; un kamikaze avait pris pour cible l'ambassade des États-Unis à Aïn el-Mreisseh six mois plus tôt, le 18 avril, tuant 63 personnes, dont 17 Américains et 35 Libanais.

Les dégâts sont énormes au quartier général des Marines. Quatre couches de ciment s'étaient effondrées pour former des tas de décombres, des incendies brûlaient et l'on entendait beaucoup de cris au milieu du sang, des morceaux de corps et de la confusion. Voici ce que nous, journalistes, avons pu voir au milieu du chaos qui régnait immédiatement après la catastrophe, et ce qui reste gravé dans ma mémoire plus de 40 ans plus tard.

La nuit précédente, un samedi, les Marines avaient fait la fête, divertis par un groupe de musique qui avait fait le voyage depuis les États-Unis pour se produire devant eux. La plupart dormaient encore lorsque la bombe a explosé.

Aucun groupe n'a revendiqué les attentats ce jour-là, mais quelques jours plus tard, As-Safir a publié une déclaration qu'il avait reçue et dans laquelle le «Mouvement de la révolution islamique» déclare en être responsable.

Environ 48 heures après l’attentat, les autorités américaines pointent du doigt le mouvement Amal, ainsi qu’une faction dissidente dirigée par Hussein al-Moussawi, connue sous le nom d’Amal islamique, comme étant à l’origine de l’attaque.

Selon la presse locale de l’époque, la planification de l’attentat aurait eu lieu à Baalbeck, dans la région de la Békaa, tandis que le camion utilisé aurait été aperçu garé devant l’un des bureaux du mouvement Amal.

Le vice-président américain, George H.W. Bush, s'est rendu au Liban le lendemain de l'attentat et a déclaré: «Nous ne permettrons pas au terrorisme de dicter ou de modifier notre politique étrangère.»

La Syrie, l'Iran et le mouvement Amal ont nié toute implication dans les deux attentats.

En riposte à l’attaque visant leurs soldats, les autorités françaises ont lancé une opération militaire d’envergure: huit avions de chasse ont bombardé la caserne Cheikh Abdallah à Baalbeck, que Paris considérait comme un bastion de présences iraniennes.

À l’époque, les autorités françaises ont affirmé que les frappes avaient fait environ 200 morts.

Un responsable de l'Amal islamique a nié que l'Iran disposait d'un complexe dans la région de Baalbeck. Toutefois, il a reconnu le lien idéologique fort unissant son groupe à Téhéran, déclarant: «L’association de notre mouvement avec la révolution islamique en Iran est celle d’un peuple avec son guide. Et nous nous défendons.»

Le 23 novembre, le cabinet libanais a décidé de rompre les relations avec l'Iran et la Libye. Le ministre libanais des Affaires étrangères, Elie Salem, a déclaré que la décision «a été prise après que l'Iran et la Libye ont admis qu'ils avaient des forces dans la Békaa».

Un rapport d'As-Safir cite une source diplomatique: «Les relations avec l'Iran se sont détériorées en raison des interventions, pratiques et activités illégales qu'il a menées sur la scène libanaise, malgré de nombreux avertissements.»

Les attentats du 23 octobre étaient jusqu'alors le signe le plus évident de l'évolution de l'équilibre des forces régionales et internationales au Liban et de l'émergence d'un rôle iranien de plus en plus important dans la guerre civile.

Le chercheur Walid Noueihed m'a expliqué qu'avant 1982, Beyrouth avait accueilli toutes les formes d'opposition, y compris l'élite éduquée, appelée «opposition de velours», et l'opposition armée, dont les membres étaient formés dans des camps ou des centres d'entraînement palestiniens dans la vallée de la Békaa et au Liban-Sud.

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Vue aérienne de l'ambassade américaine à Beyrouth après l'explosion qui a fait 63 morts, dont 46 Libanais et 17 Américains. (AFP)

Il a indiqué que l'opposition iranienne au chah était présente parmi ces groupes et a décrit Beyrouth comme une oasis pour les mouvements d'opposition jusqu'en 1982. Toutefois, cette dynamique a changé lorsqu'Israël a envahi le Liban et assiégé Beyrouth, ce qui a entraîné le départ de l'OLP en vertu d'un accord international qui exigeait en échange qu'Israël s'abstienne de pénétrer dans Beyrouth.

Si les factions palestiniennes ont quitté le Liban, ce n'est pas le cas des combattants libanais associés à l'OLP, pour la plupart des chiites qui constituaient la base des partis de gauche libanais.

Les attaques contre les bases militaires américaines et françaises ont entraîné le retrait des forces internationales du Liban, explique M. Noueihed, laissant une fois de plus Beyrouth sans protection. Les opérations de résistance se sont multipliées, influencées par des idéologies distinctes de celles de la gauche traditionnelle, des groupes comme l'Amal islamique affichant ouvertement des slogans prônant la confrontation avec Israël.

En 1985, le Hezbollah est officiellement créé en tant qu'«organisation djihadiste menant une révolution pour une république islamique». Il s'est attiré le soutien des partis de gauche libanais et palestiniens, en particulier après l'effondrement de l'Union soviétique.

Selon M. Noueihed, l'émergence du Hezbollah a coïncidé avec le déclin des symboles existants de la résistance nationale, ce qui semble indiquer une intention d'exclure toutes les autres forces du pays du mouvement de résistance, laissant le Hezbollah comme parti dominant.

L'influence iranienne au Liban est devenue évidente lors des violents affrontements entre le Hezbollah et Amal, qui ont fait des dizaines de victimes et se sont terminés par la consolidation du contrôle du Hezbollah au milieu de la présence des forces militaires syriennes.

Beyrouth se vide peu à peu de son élite intellectuelle, a souligné M. Noueihed. Des centaines d’écrivains, d’intellectuels, de chercheurs et de professionnels des médias ont fui vers l’Europe, redoutant pour leur sécurité, laissant derrière eux une ville désertée par ceux qui faisaient autrefois vibrer sa vie culturelle et académique.

Najia Houssari est rédactrice pour Arab News, basée à Beyrouth. Elle était correspondante de guerre pour le journal libanais As-Safir au moment du bombardement de la caserne des Marines américains.

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com