PARIS: Signe de la normalisation et de la pacification que connaît le pays après une décennie de guerre civile et de division, la France et la Libye ouvrent une nouvelle page du chapitre de leurs relations avec la visite à Paris du président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed el-Menfi, accompagné de son vice-président, Moussa al-Koni.
C’est là le premier déplacement à l’étranger du nouveau chef de l’État libyen, avec lequel le président français, Emmanuel Macron, s’était déjà entretenu au téléphone juste après son élection.
Cette rencontre constitue également une occasion pour la France d’affirmer son soutien indéfectible au processus d’unification entamé après l’accord signé à Genève au mois d’octobre dernier sous l’égide de l’ONU.
Soulignant l’importance de ce soutien, Macron a annoncé après cette rencontre la réouverture, dès lundi prochain, de l’ambassade de France à Tripoli, fermée depuis 2014. Il a en outre fait savoir que l’ambassadrice de France Béatrice Le Fraper du Hellen, qui assumait jusqu’alors ses fonctions à Tunis, le fera désormais de Tripoli.
Un autre signe indique que l’horizon est dorénavant dégagé entre les deux pays: le regret exprimé par Emmanuel Macron. En effet, ce dernier a déclaré: «Nous avons une dette à l’égard de la Libye et des Libyens, très claire, qui est une décennie de désordre» – conséquence de la chute de l’ancien président Mouammar Kadhafi.
Cette chute est survenue après une intervention militaire occidentale mise en place sous l’impulsion de la France en 2011 et qui a donné lieu à une période de chaos et de guerre.
Selon une source diplomatique française proche du dossier, le gouvernement français «a une part de responsabilité dans la situation qui s’est développée dans la mesure où il a influencé le cours de l’histoire de la Libye».
Au-delà de ce mea-culpa, cette visite est pour Paris «une manière de marquer notre sollicitude à accompagner les nouvelles autorités libyennes dans le processus de transition qui a pour finalité des élections législatives» prévues le 24 décembre.
Pour la première fois depuis longtemps, ces autorités disposent d’une véritable légitimité, puisque le gouvernement, investi par le Parlement, est représentatif et légitime aux yeux de l’ensemble du peuple libyen.
«Nous soutenons la transition sur le plan politique, en recevant [les responsables exécutifs libyens] et en rouvrant l’ambassade à Tripoli», ce qui montre «qu’on est bel et bien derrière eux et qu’on est sur place», affirme la source.
Par ailleurs, le gouvernement français insiste pour que le délai des élections législatives soit respecté, afin de «boucler la boucle de la légitimation des institutions et de la vie politique libyenne».
La diplomatie française attache par ailleurs une grande importance à deux paramètres fondamentaux: la mise en œuvre des accords de cessez-le-feu signés au mois d’octobre – respectés depuis par les belligérants – et l’ensemble des dispositions qui ont été agréées par les militaires libyens eux-mêmes.
La première de ces dispositions devait être la réhabilitation de l’accès côtier reliant Syrte à Misrata; cependant, cette route n’est pas rouverte à ce jour.
Sur ce point, la source diplomatique indique que les Nations unies ont effectué un déminage des abords de la route et que sa réouverture devrait intervenir rapidement.
L’autre disposition, la plus épineuse, concerne le départ des militaires et des combattants étrangers.
Ce départ est fondamental pour le gouvernement français. Il concerne les mercenaires africains et syriens qui ont été amenés par la Turquie ainsi que d’autres mercenaires, ceux du groupe Wagner, envoyés quant à eux par les Russes.
Il y a en outre, selon la source proche du dossier, la présence militaire russe et turque dont Paris demande «également le départ», estimant que la Russie et la Turquie «souhaitent s’implanter à long terme en Libye, ce qui représente une atteinte à la souveraineté nationale, mais également une menace pour les intérêts de l’Europe et de la France».
Toujours au sujet des paramètres agréés à Genève, il est nécessaire de procéder à un démantèlement des milices, notamment celles qui sont à l’Ouest, à Tripoli, Misrata – entre autres –, «parce qu’elles contrôlent des réseaux mafieux de trafics en tout genre, générant une importante criminalité».
Paris considère qu’il faut les démanteler, quitte à réintégrer les éléments qui en font partie au cas par cas dans les rangs des forces de sécurité libyennes.
Tous ces thèmes étaient au centre des discussions entre Macron et El-Menfi à l’Élysée, en présence d’Al-Koni.
Un autre point essentiel a été abordé: celui de l’économie et de la bonne gestion des ressources du pays. Il a été en particulier question des ressources pétrolières et de l’équité dans la répartition de ses revenus.
Il est fondamental, selon Paris, «que ces revenus bénéficient à l’ensemble de la population, ce qui n’est pas le cas actuellement».
Au regard de tous ces éléments qui constituent, en réalité, autant d’obstacles, il est naturel de se demander à partir de quand il sera possible d’affirmer que la page de la guerre et de la division est définitivement tournée.
Paris envisage la situation sous un angle plutôt optimiste.
La source diplomatique précitée souligne en effet «qu’il faut reconnaître qu’un grand pas a été effectué», puisqu’il y a désormais en Libye un Conseil présidentiel et un gouvernement «investi par le Parlement, et donc doté d’une légitimité aux yeux de tous les Libyens».
Les deux gouvernements qui existaient, celui de l’Est et celui de l’Ouest, ont disparus. Les grandes sphères du pouvoir ont été reconstituées et les passations de pouvoir ont eu lieu dans le cadre de cérémonies publiques, ce qui prouve que «l’unification des institutions politique est bien acquise».
Reste à «achever l’unification des institutions économiques et financières, ce qui va se faire sans vraies difficultés».
Un véritable défi, qui est au cœur même de l’accord de Genève, subsiste toutefois en ce qui concerne l’unification de l’armée et des appareils sécuritaires.
Selon Paris, il sera nécessaire, sur cette question, de miser «sur l’influence positive de certains acteurs étrangers, et sur la volonté des autorités libyennes, avec l’aide des Nations unies».
Le représentant spécial de l’ONU pour la Libye, Jan Kubis, organisera une réunion sur ce sujet au Conseil de sécurité. Le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, va présenter pour sa part un projet présentant des options pour le déploiement d’un mécanisme de surveillance du cessez-le-feu.
Tout cela débouchera en principe sur une nouvelle résolution du Conseil de sécurité, destinée à valider et à soutenir l’ensemble du processus politique ainsi que ses développements récents.
Le Conseil de sécurité devra également donner son accord au lancement de l’opération de déploiement de civils sur le terrain et veiller au bon déroulement de cette action.
Un autre signe confirme cette embellie naissante: le premier ministre libyen, Abdel Hamid Dbeibah, est attendu à Paris pour une visite officielle.