ANKARA: Les frappes de missiles balistiques russes dans le nord de la Syrie lundi au mépris du cessez-le-feu avec la Turquie en mars 2020 pourraient avoir des répercussions plus larges, selon les experts.
L'attaque russe depuis la base de Kweyris à Alep, contrôlée par le régime, visait des raffineries de pétrole sous contrôle turc dans le nord-ouest de la Syrie. C’est la deuxième attaque de ce genre en neuf jours.
Alors que la Syrie est plongée dans une guerre civile depuis bientôt une décennie, cette région est considérée comme vitale pour l'approvisionnement en pétrole des ménages, des agriculteurs, des boulangeries et d'autres entreprises.
Les raffineries assurent le raffinage près de 40 % du pétrole brut provenant de la région contrôlée par les forces kurdes syriennes des Unités de protection du peuple (YPG). Ce dernier est principalement utilisé pour les générateurs, le chauffage ou le fonctionnement des machines.
Ankara a immédiatement envoyé une notification à la Fédération de Russie pour qu'elle cesse ses tirs et a mis en alerte ses troupes dans la région.
Certains experts estiment que la Russie cherche à consolider ses intérêts géopolitiques dans la région, tout en mettant en garde Ankara contre tout rapprochement potentiel avec les États-Unis.
Les attaques pourraient cependant inciter Ankara à rechercher des alliés en cas d’impasse avec la Russie.
«L'administration Biden doit tenir ses promesses et travailler avec nous pour mettre fin à la tragédie en Syrie et protéger la démocratie», a déclaré hier le président turc, Recep Tayyip Erdogan.
Emre Ersen, un expert des relations russo-turques à l'université de Marmara d’Istanbul, déclare que ce dernier incident montre une fois de plus la fragilité de l'équilibre géopolitique en Syrie, car il n'est intervenu que quelques jours après la réunion tenue entre les ministres des Affaires étrangères de la Turquie, de la Russie et du Qatar concernant la solution de la crise syrienne.
Le 11 mars, les trois pays ont initié un nouveau processus de consultation trilatérale pour contribuer à une solution politique durable en Syrie.
«Cela a également rappelé à tout le monde que malgré le développement d'une relation privilégiée entre Ankara et Moscou au cours des dernières années, leurs divergences concernant la solution des conflits régionaux pourraient facilement déclencher une nouvelle crise dans les relations bilatérales», poursuit Emre Ersen.
Selon cet expert, de telles tensions pourraient également affecter l’issue des négociations sur les avions russes Su-35, même si la Turquie a jusqu'à présent cherché à compartimenter ces questions dans ses relations avec la Russie.
«Les deux pays ont encore besoin l'un de l'autre pour réaliser leurs objectifs en Syrie. C'est pourquoi le prétendu «mariage de complaisance» turco-russe en Syrie va être maintenu au moins à court terme», déclare-t-il.
Navvar Saban, du Centre d'études stratégiques d’Omran basé à Istanbul, déclare que la Russie et la Turquie ont toujours des fronts communs à Idlib, dans le Bouclier de l'Euphrate et dans l'est de la Syrie, et que chaque front a ses propres caractéristiques et objectifs.
Il pense que la dernière attaque russe vise à tester la volonté de la partie turque d’avancer en ciblant ces raffineries.
«C'est un message direct pour démontrer sa capacité à viser des cibles stratégiques et pour évaluer la réponse turque», affirme-t-il. «C'est un accord fragile sur différents fronts. Les Russes ont le dessus pour le moment et la Turquie doit envoyer un message clair et direct pour maintenir l'équilibre des forces.»
«La Russie veut que la Turquie assure la sécurité de l'autoroute M4 et élimine les groupes extrémistes dans cette région. Sur le front oriental, la Russie veut un accord de cessez-le-feu pour empêcher la Turquie d'avancer davantage dans ce secteur», ajoute Navvar Saban.
Les experts ne s’accordent toutefois pas sur le fait que Damas puisse entreprendre une action militaire contre la Turquie indépendamment de la Russie.
Anton Mardasov, chercheur non résident au programme Syrie du Middle East Institute, ne pense pas que la nouvelle attaque de missiles soit liée à un quelconque avertissement de la part de la Russie.
«Les dernières frappes de missiles étaient une initiative indépendante de Damas», affirme-t-il. «Les observateurs extérieurs exagèrent grossièrement l’influence de la Russie sur l’armée syrienne.»
Selon Anton Mardasov, Moscou n’a pas d’intérêt à un nouveau scandale sur la Syrie.
«L'essentiel pour Moscou est de se débarrasser de son fardeau économique, elle préfère donc agir discrètement», déclare-t-il. «Damas a un intérêt dans les relations publiques avant les élections et à un nouveau scandale pour entraîner la Russie dans la reconstruction.»
«La Russie souhaite constamment tester la position de la Turquie en termes de force, mais pas pendant cette période.»
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com