PARIS: «On ne touche pas aux enfants»: l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité dans la nuit de lundi à mardi, en première lecture, un texte renforçant la protection des mineurs face aux violences sexuelles.
Les députés ont notamment fixé à 15 ans l'âge en dessous duquel un enfant est considéré non-consentant pour un acte sexuel avec un adulte, un seuil porté à 18 ans en cas d'inceste.
Le vote a été acquis peu après minuit par 67 voix pour et aucune contre. Malgré quelque 300 amendements, l'adoption de ce texte, dont l'objectif était largement partagé sur tous les bancs, a été plus rapide que prévu par l'agenda de l'Assemblée, qui l'avait à son ordre du jour jusqu'à mercredi.
La proposition de loi, largement réécrite par voie d'amendements du gouvernement et de sa majorité au Palais-Bourbon, va maintenant repasser au Sénat, dont elle émane à l'origine.
«Ainsi aucun adulte ne pourra se prévaloir du consentement d'un mineur» en dessous de cet âge de non-consentement, a déclaré le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti. Selon lui le message est «clair»: «on ne touche pas aux enfants».
La peine prévue est de 20 ans de réclusion criminelle pour les viols, incestueux ou non.
Tous les groupes politiques avaient à l'avance exprimé leur volonté d'avancer sur ce sujet sensible, déjà abordé dans la loi «Schiappa» de 2018.
Emmanuel Macron avait déjà promis en début d'année «d'agir», dans un contexte de fort retentissement dans l'opinion d'affaires d'abus ou viols sur des mineurs.
Les témoignages qui affluent sous le mot-dièse «#Metooinceste» traduisent la libération de la parole sur un sujet longtemps considéré comme tabou.
Des actes aussi dénoncés par Camille Kouchner dans son livre «La familia grande», mettant en cause son beau-père, le politologue Olivier Duhamel, pour des agressions sexuelles sur son jumeau, «Victor».
Outre les crimes sexuels comme le viol, la proposition de loi concerne les agressions et atteintes sexuelles sur mineurs, de manière à couvrir l'ensemble de ces actes.
La prostitution visée
Mais le texte veut aussi éviter d'incriminer des liaisons légitimes nouées entre l'adolescence et le début de la vie adulte.
Une clause, surnommée «Roméo et Juliette», prévoit ainsi que les sanctions ne s'appliquent que si «la différence d'âge entre le majeur et le mineur (de moins de 15 ans, ndlr) est d'au moins cinq ans».
La criminalisation des «amours adolescentes» légitimes «serait une folie», a estimé la rapporteure du texte, Alexandra Louis (LREM). Cette clause ne joue toutefois pas si un viol ou une agression est effectivement commis.
Le débat a malgré tout été vif sur ce point. «Je ne pense pas que quand on a treize ans et qu'on se fait racoler par des plus âgés on a tout le discernement nécessaire», a estimé Florence Provendier (LREM).
M. Dupond-Moretti a répondu par un autre exemple: «je ne veux pas renvoyer devant les Assises un gamin de 18 ans et un jour parce qu'il a une relation consentie avec une gamine de 14 ans et demi».
Le texte propose aussi que le délai de prescription de trente ans pour un viol sur un mineur soit prolongé si la même personne viole par la suite un autre enfant.
La prostitution des mineurs est également dans le viseur des députés, qui ont adopté par voie d'amendement un alourdissement des sanctions tant pour les proxénètes que pour les personnes ayant une relation sexuelle rémunérée avec un enfant.
Des dispositions nouvelles concernent aussi la lutte contre la «sextorsion», qui consiste à inciter des mineurs à se livrer à des pratiques sexuelles sur internet.
L'objectif de renforcer le dispositif de protection des mineurs était largement acquis. La socialiste Isabelle Santiago a appelé, à «tirer les conséquences des insuffisances de notre législation».
Le groupe LR «soutiendra bien évidemment ce texte», avait indiqué le député Antoine Savignat, même s'il souhaitait en «clarifier» certains points.
Le secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance Adrien Taquet a rappelé qu'en parallèle à la loi des actions de dépistage et de prévention seront intensifiées au travers notamment de l'école, afin de «mieux repérer et accompagner» les jeunes victimes.
La proposition de loi, initiée au Sénat par la centriste Annick Billon, a été adoptée en janvier à l'unanimité par la chambre haute en première lecture, puis remaniée en profondeur par les députés en commission, sur la base notamment d'amendements du gouvernement.
Son adoption définitive est prévue au printemps, le gouvernement ayant indiqué sa volonté de voir ses dispositions devenir opérationnelles dans les meilleurs délais.