ANKARA: Que la Russie se dise prête à négocier avec Ankara au sujet de la livraison des avions de combat Su-35 et Su-57 le cas échéant, pourrait créer de nouvelles tensions entre les États-Unis et la Turquie, selon des experts.
La Turquie a retenu le mois dernier les services d’un cabinet d'avocats à Washington afin de faire pression dans le dossier de sa réadmission au programme américain d'avions de combat F-35, suspendue après l'achat du système de défense aérienne russe. Washington insiste que l’usage système russe S-400 en Turquie est incompatible avec les systèmes de l'OTAN, et qu’il exposerait les F-35 à d'éventuelles manipulations russes.
La commande turque, qui comprenait une centaine de F-35, a d’ailleurs été annulée par les États-Unis. Ankara se trouve donc contrainte de magasiner des alternatives auprès d’autres fournisseurs, et de se concentrer sur la construction de son propre avion de combat.
Le 12 mars dernier, Valeria Reshetnikova, porte-parole du Service fédéral russe pour la coopération militaire et technique (FSMTC), s’est exprimée au sujet des «potentiels projets d'Ankara d'acheter des combattants russes Su-35 et Su-57». Elle a déclaré que «le camp turc a été entièrement informé des spécifications techniques. S'il y a une demande de la Turquie pour ces avions, nous sommes prêts pour négocier».
«Le camp turc a fait part il y a longtemps de son intention de développer son propre chasseur TF-X de cinquième génération. La Russie s’est déjà dite prête à envisager la possibilité d'une coopération dans le cadre de ce programme. Cependant, nous n'avons pas encore reçu une demande d'Ankara à ce sujet», poursuit Reshetnikova.
Ce rappel de la Russie à l’intention d’Ankara la semaine dernière sur les Su-57 a pour objectif d’éloigner davantage la Turquie de Washington, ainsi que d’éviter une «réinitialisation» de leur relation, selon les analystes.
Aydin Sezer, un expert des relations Turquie-Russie, estime que cet appel pour négocier l'achat d'avions russes est une tactique pour garder l’attention de l’Occident sur la coopération militaire entre Moscou Ankara.
CONTEXTE
- La Turquie a retenu le mois dernier les services d’un cabinet d'avocats à Washington afin de faire pression dans le dossier de sa réadmission au programme américain d'avions de combat F-35, suspendue après l'achat du système de défense aérienne russe
- Washington insiste que l’usage système russe S-400 en Turquie est incompatible avec les systèmes de l'OTAN, et qu’il exposerait les F-35 à d'éventuelles manipulations russes.
- La commande turque, qui comprenait une centaine de F-35, a d’ailleurs été annulée par les États-Unis. Ankara se trouve donc contrainte de magasiner des alternatives auprès d’autres fournisseurs, et de se concentrer sur la construction de son propre avion de combat
«Le Kremlin sait pertinemment que la Turquie ne va pas acheter un avion russe», affirme Sezer à Arab News. «Même si elle décide de le faire, elle ne le recevrait pas avant dix ans, au plus tôt. La Russie voulait rappeler à la Turquie ses engagements non tenus tout en essayant de rompre les liens entre la Turquie et l'administration Biden depuis le tout début », a-t-il déclaré.
FSMTC intensifie ses invitations à Ankara depuis le mois de février afin qu'elle poursuive les négociations sur les Su-35 et Su-37.
La Russie propose à ses partenaires stratégiques la version d'exportation de l'avion de combat Su-57, considéré comme la dernière génération d'avions de combat furtifs polyvalents russes.
La Turquie s’est tournée vers les Su-35 russes et les Su-57 de cinquième génération après avoir été exclue du programme de chasseurs américains en 2019. Le président turc Recep Tayyip Erdogan a inspecté les Su-57 avec son homologue russe Vladimir Poutine en 2019 à Moscou, lors d'une foire internationale de l'aviation.
Le ministre turc de l’industrie et de la technologie, Mustafa Varank, a récemment déclaré que la Turquie n’hésiterait pas à discuter avec la Russie de l’achat de Su-35 et Su-57 le cas échéant.
«Nous sommes contre l’avion du pays X, et nous sommes contre l’avion du pays Y. S'il y a un avion en Russie qui réponde à nos besoins actuels et qui ne serait pas difficile à intégrer dans notre système et à exploiter, nous pourrions bien sûr l’acheter à la Russie, ou à un autre pays d'Europe», a-t-il déclaré à Sputnik News le 11 mars.
«C'est le même discours tenu par les responsables turcs à la fin de 2016 et au début de 2017, lorsque le problème de l’achat du S-400 s’est posé», rappelle Caglar Kurc, chercheur sur la défense et les forces armées, à Arab News.
«Bien que Varank n'ait aucun rôle officiel dans les décisions d'achat, je pense que la Turquie tente à nouveau de jouer la carte russe contre les États-Unis. Il se pourrait que la Russie pour sa part recherche tout simplement un acheteur», a-t-il déclaré. Cependant, il estime que cette fois, la position américaine est sans ambiguïté.
«Il n'y a pas de messages contradictoires comme on en voyait avec l'administration Trump. D’ailleurs, l'administration Biden a déjà signalé que les relations turco-américaines seraient plus transactionnelles dorénavant. Ceci signifie que les États-Unis ne vont pas hésiter pas à monter la pression si la Turquie continue d'avoir une coopération militaro-industrielle significative avec la Russie», a-t-il déclaré.
Selon Sezer, les récentes mesures de politique étrangère de la Turquie ont perturbé les décideurs politiques russes.
«Ankara s'est engagé à acheter le deuxième lot de S-400 l'année dernière. Mais en deux mois, il n'y a eu aucune tentative de la part d’Ankara de le négocier, comme si elle a tout d’un coup oublié tous ses engagements antérieurs», affirme Kurc.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com