BEYROUTH : Les habitants de Beyrouth sont exhortés à ne pas vendre leurs maisons ou leurs biens immobiliers à la suite de l'explosion dévastatrice qui a détruit des pans entiers de Beyrouth, alors que des courtiers se précipitent pour acheter des bâtiments détruits.
L’explosion de la semaine dernière au port de Beyrouth a fait 171 décès, plus de 6 500 blessés, et laissé des centaines de milliers de personnes sans abri. Des dizaines de personnes restent portées disparues. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) a estimé que 50 % des hôpitaux de Beyrouth sont « hors service » en raison de l'explosion.
L'explosion de mardi a vu des gens descendre dans la rue pour ramasser les morceaux et nettoyer le chaos, alors même que le Liban lutte pour faire face à la pandémie de coronavirus et à de graves difficultés économiques, financières et politiques.
De petites cartes ont été affichées sur les voitures endommagées dans les quartiers détruits par l'explosion : « Si la voiture est à vendre, appelez le numéro indiqué sur la carte. »
Ces cartes ont été repérées dans les zones de Gemmayzeh, Mar Mikhael, Al-Mdawar et Karantina, près de la zone portuaire. Les résidents se plaignent que les courtiers « visitent leurs immeubles pour faire des offres » d'achat de maisons et de biens immobiliers, en échange de grosses sommes d'argent en dollars.
Les zones dévastées comprennent des bâtiments patrimoniaux, et le président de l'Ordre des ingénieurs du Liban, Jad Tabet, estime que 50 à 60 bâtiments anciens sont menacés d'effondrement total ou partiel.
De nombreux habitants de ces bâtiments sont soit des locataires, soit des propriétaires qui ont peu ou pas de moyens. Ils ne sont pas en mesure de restaurer ce qui a été détruit, notamment du fait de la grave crise économique qui touche le Liban et de l’effondrement de la livre libanaise par rapport au dollar américain.
Le comportement des courtiers a également suscité de l'anxiété pour d'autres raisons.
Les zones détruites par l'explosion sont à majorité chrétienne.
Le port de Beyrouth a marqué le début de la Ligne verte de 1975 qui divisait la capitale entre l’est et l’ouest, une situation maintenue jusqu’en 1990, lorsque la guerre a pris fin. Bien que la Ligne verte ait été abolie, la division démographique créée par la guerre demeure la même, à quelques exceptions près.
Ces deux derniers jours, il a été rapporté que des éléments politiques ou des partisans du pays « profitaient de l'occasion pour s'infiltrer » dans ces zones.
« Les informations sur la présence des courtiers sont largement diffusées dans les zones touchées, a déclaré le député George Okais à Arab News. Il y a des propriétaires riches, d'anciens propriétaires pauvres et d'autres dont les propriétés ont été cédées par leurs parents et grands-parents et ne peuvent pas être vendues en raison de la difficulté des héritiers à trouver un accord. Il semble que certaines personnes veuillent exploiter les sentiments de dégoût et de colère des gens ainsi que leurs intentions d’émigrer du Liban, en leur offrant des sommes intéressantes pour acheter ces propriétés, qu’il s’agisse de bâtiments patrimoniaux ou anciens. »
Le Rassemblement orthodoxe a appelé les propriétaires d'immeubles et de biens immobiliers des zones touchées à ne pas céder au désespoir ou à la frustration, même si ces sentiments sont justifiés face à une telle horreur. Il a exhorté les gens à s'abstenir de vendre leur propriété et à conserver « la terre et la pierre, symbole de leur existence ».
Walid Joumblatt, chef du Parti socialiste progressiste, a mis en garde contre toute destruction du patrimoine de Gemmayzeh, Mar Mikhael et Achrafieh de la part de la municipalité de Beyrouth pour le compte de courtiers. « La municipalité de Beyrouth possède les fonds nécessaires pour restaurer le patrimoine, abriter et aider les sinistrés », a-t-il déclaré.
Talal al-Doueihy, chef du mouvement Terre libanaise, notre terre, qui s’emploie depuis deux ans à empêcher la vente de terres appartenant aux Libanais, en particulier aux chrétiens, révèle : « Certaines personnes m’ont informé que des avocats et des agents immobiliers ont exprimé leur intérêt à acheter leurs propriétés endommagées ou détruites. »
Il parle des « montants irréalistes » offerts aux gens – 8 000 dollars le mètre carré.
« Le changement démographique dans ces régions peut être ou non envisageable, mais il est de notre devoir de proposer des solutions et de dire aux gens de ne pas vendre leurs propriétés et de ne pas quitter le Liban, quelle que soit la mouvance à laquelle ils appartiennent, poursuit Okais. L'objectif principal est de fournir aux gens un soutien financier. Ce sur quoi nous travaillons actuellement. »
Le ministère libanais de la Culture a décidé « d’interdire toute transaction d’achat, de cession ou d'assurance des biens immobiliers endommagés et d'empêcher toute modification apportée dans les registres du cadastre jusqu'à la fin de tous les travaux de réparation, et après l'approbation du ministère, conformément aux règles relatives à la protection des bâtiments traditionnels et patrimoniaux ».
L'Union maronite mondiale (UMM) a accusé « les riches, les détenteurs de l’argent de la mafia qui a saboté le Liban, les responsables de la contrebande et de l’argent de la drogue parrainé par le Hezbollah en plus de l’argent de l’Iran, d’essayer de changer l’aspect culturel et démographique de Beyrouth. »
L'Union craignait que les gens n'agissent « inconsciemment et signent des contrats et des accords qui les voleraient et les priveraient de leur histoire et de l'avenir de leurs enfants ».
Des rumeurs de nouvelles explosions dans la capitale libanaise suscitent également peur et confusion. Elles ont été attribuées à la Croix-Rouge libanaise, à l'ambassade de France et aux forces de l'ONU au Liban – tous trois ont nié immédiatement.
L'ambassade a rejeté le contenu d'un enregistrement audio affirmant que la mission diplomatique avait averti ses citoyens de se rendre à Beyrouth entre le 13 et le 15 août, soulignant que le message audio était ancien et circulait « dans le but de tromper les gens et de provoquer la panique ».
La Force intérimaire des nations unies au Liban (Finul) a également nié la véracité de l'enregistrement. Son porte-parole, Andrea Tenenti, a déclaré : « L'enregistrement audio affirmant que la Finul a mis en garde contre un acte terroriste dans les zones de Beyrouth est sans fondement. Il ne vise qu'à créer de la confusion dans ces circonstances exceptionnelles. »