Le rassemblement de Bkerké, une lueur d'espoir pour un Liban souverain?

Le cardinal libanais Mar Bechara Boutros al-Raï prononce un discours devant ses partisans le 27 février 2021 au Patriarcat maronite dans le village de montagne de Bkerké, au nord-est de Beyrouth (Photo, AFP).
Le cardinal libanais Mar Bechara Boutros al-Raï prononce un discours devant ses partisans le 27 février 2021 au Patriarcat maronite dans le village de montagne de Bkerké, au nord-est de Beyrouth (Photo, AFP).
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Publié le Lundi 01 mars 2021

Le rassemblement de Bkerké, une lueur d'espoir pour un Liban souverain?

  • Le Liban connaît depuis plus d’un an la plus importante crise économique de son histoire moderne
  • Des milliers de personnes se sont rassemblées samedi après-midi, à Bkerké, siège du patriarcat maronite, pour soutenir l’appel du patriarche maronite le cardinal Béchara al-Raï à la tenue d’une conférence internationale sur le Liban

BEYROUTH: Des milliers de personnes se sont rassemblées samedi après-midi, à Bkerké, siège du patriarcat maronite, pour soutenir l’appel du patriarche maronite le cardinal Béchara al-Raï à la tenue d’une conférence internationale sur le Liban. Ce message a donné de l’espoir à des milliers de Libanais de tout bord dans un pays au bord de la faillite et où la mainmise de l’Iran, à travers le Hezbollah, est devenue quasi totale.

Cette proposition a été formulée le 7 février dernier à l’occasion de l’homélie dominicale du chef de l’Église maronite. Ce dernier a estimé que «le stade final auquel est parvenue la crise institutionnelle, sociale et politique du Liban impose de recourir à des mesures drastiques et prises à temps comprenant la convocation d'une conférence internationale sous l'égide de l'ONU chargée de trouver des solutions urgentes pour éviter l'effondrement systémique du pays».

Cet appel à prendre en charge la crise libanaise adressé à la communauté internationale a été présenté par Mgr Raï comme la dernière carte à jouer face à l'absence d’initiatives proposées par les groupes politiques libanais dans ce cadre. Le prélat les juge également responsables de la situation qui sévit actuellement dans le pays.

Le Liban connaît depuis plus d’un an la plus importante crise économique de son histoire moderne, à laquelle sont venues s’ajouter l’explosion de Beyrouth le 4 août dernier et les répercussions de la pandémie du coronavirus.

Cette proposition d’internationaliser la crise libanaise a valu au patriarche maronite les foudres des autorités religieuses chiites et, bien sûr, celles du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, qui a entre autres qualifié de «blague» l’initiative de Bkerké.

Le patriarche maronite a été en outre vivement critiqué par la milice pro-iranienne l’été dernier lorsqu’il avait appelé à la neutralité du Liban afin que le pays préserve son rôle de pays message et qu’il ne soit plus la proie de tiraillements régionaux.

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Des manifestants libanais se rassemblent pour le discours du cardinal libanais Mar Bechara Boutros al-Rahi (ou Rai) le 27 février 2021 au Patriarcat maronite dans le village de montagne de Bkerki, au nord-est de Beyrouth (Photo, AFP).

 

«Hezbollah terroriste»

Samedi donc, des milliers de manifestants se sont rendus à Bkerké comme s’ils usaient d’un dernier recours pour sauver leur pays de l’effondrement économique et de la mainmise iranienne.

Parmi eux, il y avait de nombreux chrétiens appartenant aux partis traditionnels des Forces libanaises et des Kataëb (Phalanges libanaises), des indépendants, des proches des victimes du 4 août, des amis de l’intellectuel libanais Lokman Slim, tué le 4 février dernier et qui était menacé depuis de longs mois par le Hezbollah, ainsi que des partisans du Parti socialiste progressiste (PSP) du chef druze Walid Joumblatt.

Il y avait également, comme c’est la coutume au Liban, des religieux de toutes les communautés libanaises venus pour donner plus de poids à l’initiative de Bkerké.

Dans un discours d’une dizaine de minutes, le patriarche maronite a invité les personnes présentes à Bkerké à ne pas «se taire face à la pluralité des allégeances, face à la corruption, face aux violations aériennes, à l'échec de la classe politique, aux mauvais choix, à l'alignement, à la dilapidation de votre argent, au désordre dans l'enquête sur l'explosion du port, à la politisation de la justice, aux armes illégales et non libanaises, à la détention des innocents et la libération des coupables». Il a clamé: «Vive le Liban uni et unifié, activement et positivement neutre, souverain et indépendant, libre et fort, prônant la coexistence et la tolérance», avant d’appeler à «l’instauration d’un État laïque».

Le chef de l’Église maronite a été interrompu durant de longues minutes par les milliers de personnes rassemblées à Bkerké qui scandaient: «Terroriste, le Hezbollah est terroriste», «L’Iran dehors», «Michel Aoun [le chef de l’État libanais], va-t’en».

 

Les principaux points du discours

  • «Ne vous taisez pas face à l'implantation des Palestiniens et l'intégration des déplacés syriens, face au coup d'État, à la non-formation d'un gouvernement, à la confiscation de la décision et l'absence de réformes.»
  • «Nous avons libéré le territoire, libérons maintenant l'État de tous ceux qui paralysent ses institutions.»
  • «Il n'existe pas d'État avec deux pouvoirs en son sein, ni avec deux armées ou deux peuples.»
  • «La conférence internationale vise à affirmer la stabilité et l'identité du Liban, la souveraineté de ses frontières, et son attachement à la liberté, à l'égalité et sa neutralité.»
  • «Cette conférence n’a pas pour objectif le déploiement de soldats et de militaires, ni une atteinte au pouvoir décisionnel libanais.»
  • «Le non-respect de la neutralité est la cause unique de toutes les crises et guerres que le pays a traversées. À chaque fois que le Liban a suivi un axe régional ou international, le peuple s'est divisé et les guerres se sont déclenchées.»
  • «Le Liban est aujourd’hui confronté à un coup d'État en bonne et due forme, contre son peuple, contre la Constitution et l’accord de Taëf.»
  • «Nous voulons appliquer toutes les décisions qui n'ont pas pu l'être auparavant, afin que le Liban puisse imposer sa légitimité sur l'ensemble de son territoire».
  • «Nous voulons soutenir l'armée libanaise, qui est la seule à même de défendre le Liban.»
  • «Nous appelons à la mise en place d’un État laïque.»

Bkerké et l’occupation syrienne

Ce n’est pas la première fois dans son histoire que Bkerké, siège du patriarcat maronite, se fait le porte-parole d’une partie non négligeable des Libanais quand toute option politique est paralysée et quand le pays du Cèdre est menacé de perdre son identité.

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Le patriarche Nasrallah Sfeir, décédé au mois de mai 2019, prédécesseur de Béchara Raï, est connu pour être le père de la deuxième indépendance.(AFP).

 

Le patriarche Nasrallah Sfeir, décédé au mois de mai 2019, prédécesseur de Béchara Raï, est connu pour être le père de la deuxième indépendance.

«[Il] est temps que l’État libanais étende sa souveraineté effective pour que les Libanais sentent qu’ils se trouvent sous sa protection. Maintenant qu’Israël s’est retiré [du Liban-Sud, depuis mai 2000], n’est-il pas temps que l’armée syrienne considère son redéploiement, en prélude à un retrait définitif, conformément à l’accord de Taëf?»

Le patriarche maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir (15 mai 1920 – 12 mai 2019)

Après la fin de la guerre civile qui a eu lieu de 1975 à 1990, alors que le Liban ployait sous le joug de l’occupation syrienne, Nasrallah Sfeir avait pris position pour le départ du pays des troupes de Damas, que ce soit lors de ses visites officielles auprès des capitales occidentales, notamment à Washington, ou à travers le premier appel des évêques maronites assemblés à Bkerké, au mois de septembre 2000. Il avait alors déclaré: «[Il] est temps que l’État libanais étende sa souveraineté effective pour que les Libanais sentent qu’ils se trouvent sous sa protection. Maintenant qu’Israël s’est retiré [du Liban-Sud, depuis mai 2000], n’est-il pas temps que l’armée syrienne considère son redéploiement, en prélude à un retrait définitif, conformément à l’accord de Taëf?»

Cet appel avait permis d’édifier les bases d’une politique contre l’occupation syrienne et les troupes de Damas avaient fini par quitter le Liban au mois d’avril 2005 après l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafiq Hariri.

Il convient également de rappeler le rôle joué par le patriarcat maronite dans la création du Grand Liban. En 1919, le patriarche maronite Elias Howayek a représenté les habitants du Mont-Liban à la conférence de Versailles, qui réunissait les vainqueurs de la Première Guerre mondiale. Il avait réclamé lors de cette conférence un Liban indépendant, qui ne se limite pas à la superficie du Mont-Liban. Et c’est en sa présence, le 1er septembre 1920, que le général Henri Gouraud, représentant l’autorité française mandataire sur la Syrie, a déclaré à Beyrouth la création de l’État du Grand Liban.

« Les bases d'une troisième indépendance »

Invité par Arab News en français à commenter l’événement de samedi à Bkerké, l’ancien député et ancien secrétaire général du mouvement du 14-Mars, Farès Souaid, explique: «Chaque fois que les Libanais sont confrontés à un danger, Bkerké se présente comme une garantie nationale, et pas seulement pour les chrétiens. Depuis la création du Grand Liban, Bkerké soutient l’idée de l’édification d’État de droit. Dans son discours, le patriarche Raï a repris ce que Mgr Hoyek avait dit devant le président français Georges Clemenceau lors de la conférence de paix de Versailles en 1919: «Nous voulons un État auquel adhère l’individu en sa qualité de citoyen, et non de par son identité religieuse.»

«Samedi à Bkerké, le patriarche maronite a jeté les bases d’une troisième indépendance», ajoute M. Souaid, qui note que Mgr Raï «se présente comme étant le seul garant du projet libanais basé sur la convivialité islamo-chrétienne et sur l’édification d’un État de droit basé sur la Constitution libanaise, les accords de Taëf et les résolutions des Nations unies. Ce n’est pas un nouveau discours. Mgr Raï donne de l’espoir, car cette Église maronite fait partie de l’Église universelle de Rome; les doléances des Libanais seront donc entendues par Rome, qui pourrait aider les Libanais appelant à l’organisation d’une conférence internationale pour sauver le Liban».

Sachant qu’une telle conférence ne peut avoir lieu que si l’appel vient de divers courants libanais, et non seulement du patriarche Raï, M. Souaid indique que «plus cette initiative sort de son périmètre chrétien pour devenir une initiative nationale à laquelle adhèrent tous les partis et toutes les composantes du Liban, plus elle aura de chances de se frayer un chemin pour donner naissance à une conférence internationale de paix. Mais si elle demeure une initiative chrétienne sans le soutien de l’islam libanais, je doute de la tenue d’une telle conférence».

«Le patriarche maronite n’a pas mâché ses mots. Il a parlé d’un coup d’État contre la Constitution, les résolutions internationales et les accords de Taëf, qui stipulaient entre autres la centralisation des armes qui sont entre les mains de l’armée libanaise. Avec ses armes, le Hezbollah avait considéré que, à partir de son partenariat avec le chef de l’État, Michel Aoun, il avait le blanc-seing des chrétiens. Or, ce qu’il s’est passé hier à Bkerké est la “délégitimisation” de la présidence de Michel Aoun», estime-t-il, ajoutant: «Le retour de Bkerké sur la scène va avoir des répercussions sur le paysage politique libanais».

L'importance de Bkerké et  de son rôle symbolique

Le rassemblement de Bkerké et les propos de Béchara Raï ont été mal accueillis dans certains milieux militants de la gauche et de la société civile libanaise qui, depuis le 17 octobre 2019, tentent de constituer en vain une alternative au leadership libanais traditionnel, appelant à la laïcité.

Interrogé sur ce point par Arab News en français, Ayman Mhanna, membre actif de la société civile et directeur exécutif de l’ONG Skeyes, qui défend la liberté de la presse dans le monde arabe, s’exprime ainsi: «Il faut rester loin des amalgames et faire la différence entre la société civile des militants associatifs qui défendent les libertés et les droits au Liban et qui vont, dans leur discours, plus loin que Bkerké en ce qui concerne les libertés et les droits – l’Église est bien en-deçà de leurs revendications – et la société civile au sens de groupes politiques indépendants. Les groupes politiques indépendants, bien sûr, n’ont pas pu s’organiser, essentiellement à cause des points soulevés par le patriarche. Il y a au sein de ces groupes des personnes qui ont la fibre souverainiste très forte et qui se retrouvent dans le discours du patriarche maronite; ce qui prime pour d’autres est la bonne gestion économique et financière.»

Le directeur exécutif de Skeys note en outre que «les groupes indépendants ont gaspillé énormément de temps en essayant de s’unifier. Aujourd’hui, abstraction faite de l’unité, il est important d’avoir un discours clair qui exige une réforme. Cette perte de temps a créé un vide que le patriarche maronite, qui représente les groupes traditionnels, a pu remplir», poursuit-il.

Il explique encore que «ces groupes indépendants sont très diversifiés; il y a des personnes qui appartenaient au mouvement du 14-Mars, donc très souverainistes et d’autres qui viennent d’un background d’extrême gauche et s’opposent au discours d’un religieux sans écouter le contenu».

Il conclut: «Certes, le discours de Bkerké et son rôle symbolique sont très importants. Mais il importe aussi, pour effectuer des réformes, d’avoir un discours cohérent. Pour ma part, je ne peux pas accepter la corruption de personnes souverainistes, parce que le discours souverainiste est important. Je refuse également toute arme hors du contrôle de l’État, et je dis non à l’assassinat politique; or, très souvent, l’assassinat politique provient du Hezbollah. Je suis pour la justice et la fin de l’impunité contre tous les crimes commis au Liban, qu’ils soient des assassinats politiques ou des crimes économiques.»

Dimanche en soirée, des manifestations qui regroupent des supporters du Hezbollah et du mouvement Amal (la deuxième faction chiite du Liban) ont été organisées dans de nombreux quartiers de la banlieue sud de Beyrouth. Des centaines d’hommes en voiture, à moto et à pied ont brandi les drapeaux des deux partis chiites et des drapeaux iraniens. Ils ont scandé des slogans qui rendent hommage au secrétaire général de la milice pro-iranienne, ont revendiqué le droit de porter des armes et ont prêté allégeance à l’Iran.


Le procureur de la CPI demande des mandats d'arrêts contre Netanyahu et des dirigeants du Hamas

Une activiste musulmane tient un écriteau représentant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation contre Israël et en soutien aux Palestiniens à Gaza, devant l'ambassade des États-Unis à Jakarta, en Indonésie, le 17 mai 2024. (REUTERS)
Une activiste musulmane tient un écriteau représentant le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu lors d'une manifestation contre Israël et en soutien aux Palestiniens à Gaza, devant l'ambassade des États-Unis à Jakarta, en Indonésie, le 17 mai 2024. (REUTERS)
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  • Karim Khan a déclaré dans un communiqué qu'il demandait des mandats d'arrêt contre M. Netanyahu et le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant
  • Pour des crimes tels que « le fait d’affamer délibérément des civils », «homicide intentionnel » et «extermination et/ou meurtre »

LA HAYE : Le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a demandé lundi des mandats d'arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et des dirigeants du Hamas pour des crimes de guerre et crimes contre l'humanité présumés commis dans la bande de Gaza.

Karim Khan a déclaré dans un communiqué qu'il demandait des mandats d'arrêt contre M. Netanyahu et le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant pour des crimes tels que "le fait d’affamer délibérément des civils", "homicide intentionnel" et "extermination et/ou meurtre".

"Nous affirmons que les crimes contre l'humanité visés dans les requêtes s'inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile palestinienne dans la poursuite de la politique d’une organisation. D’après nos constatations, certains de ces crimes continuent d’être commis", a affirmé M. Khan en référence à MM. Netanyahu et Gallant.

Les accusations portées contre les dirigeants du Hamas, dont Yahya Sinwar, le chef du mouvement, incluent "l'extermination", "le viol et d'autres formes de violence sexuelle" et "la prise d'otages en tant que crime de guerre".

"Nous affirmons que les crimes contre l'humanité visés dans les requêtes s'inscrivaient dans le prolongement d’une attaque généralisée et systématique menée par le Hamas ainsi que d’autres groupes armés dans la poursuite de la politique d'une organisation", est-il écrit dans le communiqué.

 


L'Iran en deuil après la mort du président Raïssi dans un accident d'hélicoptère

Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
Des membres de l'équipe de secours travaillent sur le site du crash d'un hélicoptère transportant le président iranien Ebrahim Raisi à Varzaghan, dans le nord-ouest de l'Iran, le 20 mai 2024. (Agence de presse du MOJ/AFP)
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  • Le décès de M. Raïssi à 63 ans ouvre une période d'incertitude politique en Iran
  • En attendant, c'est le premier vice-président Mohammad Mokhber, un homme de l'ombre de 68 ans, qui assumera les fonctions de président par intérim

TEHERAN: L'Iran a décrété lundi cinq jours de deuil pour rendre hommage à son président, Ebrahim Raïssi, décédé dans un accident d'hélicoptère trois ans après l'arrivée au pouvoir de cet ultraconservateur qui était considéré comme l'un des favoris pour succéder au Guide suprême, Ali Khamenei.

Le décès de M. Raïssi à 63 ans ouvre une période d'incertitude politique en Iran, au moment où le Moyen-Orient est secoué par la guerre dans la bande de Gaza entre Israël et le Hamas palestinien, un allié de la République islamique.

Sa mort brutale va entraîner une élection présidentielle au suffrage universel qui devra être organisée "dans les 50 jours", soit d'ici au 1er juillet.

Mohammad Mokhber

En attendant, c'est le premier vice-président Mohammad Mokhber, un homme de l'ombre de 68 ans, qui assumera les fonctions de président par intérim.

A ce stade, aucun nom ne se dégage comme prétendant pour la présidentielle, qui se déroulera quatre mois avant le scrutin présidentiel aux Etats-Unis, principal ennemi de la République islamique avec Israël.

Elu président en 2021, Ebrahim Raïssi était, lui, considéré comme l'un des favoris pour succéder au Guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans.

"La nation iranienne a perdu un serviteur sincère et précieux", a déclaré le chef de l'Etat dans une déclaration. En soulignant que "ses ennuis dus à l'ingratitude et aux railleries de certains méchants ne l'empêchaient pas de travailler jour et nuit".

Le gouvernement a rendu hommage au "président du peuple iranien, travailleur et infatigable" qui "a sacrifié sa vie pour la nation".

L'annonce de son décès avait été faite en début de matinée par les agences de presse et les sites d'information après la découverte de l'épave de l'hélicoptère à l'aube. La télévision d'Etat a parallèlement diffusé des chants religieux en montrant des photos du président.

L'hélicoptère du président avait disparu dimanche en début d'après-midi alors qu'il survolait une région de l'Iran escarpée et boisée dans des conditions météorologiques difficiles, avec de la pluie et un épais brouillard.

«grande perte»

La perspective de découvrir vivants le président et les huit autres passagers, avait progressivement diminué durant la nuit.

Parmi eux figurait Hossein Amir-Abdollahian, 60 ans, nommé à la tête de la diplomatie par M. Raïssi en juillet 2021. Etaient également présents le gouverneur de la province d'Azerbaïdjan oriental, le principal imam de la région, ainsi que le chef de la sécurité du président et trois membres d'équipage.

Les secours ont récupéré lundi matin les dépouilles des neuf passagers éparpillés au milieu des débris de l'appareil, un Bell 212. Elles ont été transportées à  Tabriz, la grande ville du nord-ouest, où débuteront mardi les cérémonies de funérailles.

L'épave de l'hélicoptère a été découverte à l'aube sur le flanc d'une montagne qu'il aurait heurté pour une raison encore inconnue, selon des médias. Il s'était envolé dans des conditions météorologiques difficiles, avec des pluies et un épais brouillard.

De nombreux dirigeants, dont certains de pays entretenant des relations tièdes avec Téhéran, ont envoyé des messages de condoléances.

Le président russe, Vladimir Poutine, a rendu hommage à un  "politicien remarquable" et à un "véritable ami" de la Russie. Son décès est une "grande perte pour le peuple iranien", a salué le président chinois Xi Jinping.

«Pas de perturbations»

M. Raïssi, qui avait le titre d'ayatollah, présidait la République islamique depuis près de trois ans.

Considéré comme un ultraconservateur, il avait été élu le 18 juin 2021 dès le premier tour d'un scrutin marqué par une abstention record pour une présidentielle et l'absence de concurrents de poids.

Toujours coiffé de son turban noir et vêtu d'un long manteau de religieux, il avait succédé au modéré Hassan Rohani, qui l'avait battu à la présidentielle de 2017.

Il était soutenu par la principale autorité de la République islamique, l'ayatollah Ali Khamenei, qui a appelé dimanche "le peuple iranien" à "ne pas s'inquiéter" car "il n'y aura pas de perturbation dans l'administration du pays".

Dernier message pro-palestinien 

Raïssi s'était rendu dimanche dans la province d'Azerbaïdjan oriental, où il a notamment inauguré un barrage en compagnie du président d'Azerbaïdjan, Ilham Aliev, à la frontière entre les deux pays.

Au cours d'une conférence de presse commune, il a de nouveau apporté son soutien au Hamas face à Israël. "Nous pensons que la Palestine est la première question du monde musulman", a-t-il dit.

Dans un message de condoléances, le Hamas a salué un "soutien à la résistance palestinienne".

L'Iran avait lancé une attaque inédite le 13 avril contre Israël, avec 350 drones et missiles, dont la plupart ont été interceptés avec l'aide des Etats-Unis et de plusieurs autres pays alliés.

M. Raïssi était sorti renforcé des législatives qui se sont tenues en mars, premier scrutin national depuis le mouvement de contestation qui a secoué l'Iran fin 2022 à la suite du décès de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict de la République islamique.

Né en novembre 1960, Raïssi a effectué l'essentiel de sa carrière dans le système judiciaire, en étant notamment procureur général de Téhéran puis procureur général du pays, des postes où s'est construite sa réputation de fermeté envers les "ennemis" de la République islamique.

M. Raïssi figurait sur la liste noire américaine des responsables iraniens sanctionnés par Washington pour "complicité de graves violations des droits humains", des accusations balayées comme nulles et non avenues par Téhéran.


Dans le désert syrien, des milliers de déplacés oubliés

Dans un camp d'une région désertique aux confins de la Syrie, des milliers de déplacés fuyant la guerre dans leur pays sont "pris au piège" depuis des années, dépendant d'une aide qui ne leur parvient qu'au compte-gouttes. (AFP)
Dans un camp d'une région désertique aux confins de la Syrie, des milliers de déplacés fuyant la guerre dans leur pays sont "pris au piège" depuis des années, dépendant d'une aide qui ne leur parvient qu'au compte-gouttes. (AFP)
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  • "Nous sommes pris au piège", regrette Khaled, un policier de 50 ans ayant fait défection, qui refuse de donner son nom de famille pour des raisons de sécurité
  • Khaled a fui il y a huit ans sa région du centre de la Syrie, pour échapper aux exactions des jihadistes du groupe Etat islamique et aux forces du régime

BEYROUTH: Dans un camp d'une région désertique aux confins de la Syrie, des milliers de déplacés fuyant la guerre dans leur pays sont "pris au piège" depuis des années, dépendant d'une aide qui ne leur parvient qu'au compte-gouttes.

Au milieu d'un paysage lunaire balayé par les tempêtes du désert, le camp de Rokbane est situé dans un no man's land près de la frontière avec l'Irak et la Jordanie, qui ont tous deux fermé leurs frontières aux réfugiés syriens.

"Nous sommes pris au piège", regrette Khaled, un policier de 50 ans ayant fait défection, qui refuse de donner son nom de famille pour des raisons de sécurité.

"Nous ne pouvons pas nous rendre (dans les autres régions) de Syrie car nous sommes recherchés par le régime, et nous ne pouvons pas entrer en Jordanie ou en Irak", ajoute-t-il.

Khaled a fui il y a huit ans sa région du centre de la Syrie, pour échapper aux exactions des jihadistes du groupe Etat islamique et aux forces du régime.

Le conflit en Syrie s'est déclenché en 2011 par la répression de manifestations prodémocratie, et s'est complexifié au fil des ans avec l'implication d'acteurs régionaux, de puissances étrangères et de groupes jihadistes, sur un territoire de plus en plus morcelé.

Le camp de Rokbane est situé dans une enclave protégée par une base militaire de la coalition internationale antijihadiste dirigée par Washington.

Le régime syrien contrôle les zones tout autour et le passage de l'aide est tributaire de son bon vouloir.

Rokbane a été établi en 2014, au plus fort de la guerre et a compté à un moment plus de 100.000 résidents, mais il n'en reste plus que 8.000 aujourd'hui.

« De pain et de thé »

Poussés par la faim, la pauvreté et l'absence de soins, un grand nombre de déplacés sont partis, surtout depuis que la Jordanie a fermé sa frontière en 2016.

L'ONU qualifie la situation de "désespérée" dans le camp où aucun convoi d'aide humanitaire n'a pénétré depuis 2019. Les vivres y sont acheminées en contrebande et revendues à prix d'or.

Mais les habitants risquent de ne plus recevoir ces maigres réserves. Ils affirmant que les postes de contrôle du régime ont mis fin à tous les itinéraires de contrebande vers le camp il y a environ un mois.

"Mes filles vivent de pain et de thé. Les vivres commencent à manquer", déplore Khaled, joint au téléphone par l'AFP.

La plupart des familles subsistent grâce à l'envoi d'argent par leurs proches à l'étranger ou aux salaires de quelque 500 hommes qui travaillent dans la base américaine voisine pour 400 dollars par mois, explique Mohammad Derbas al-Khalidi.

Ce père de 14 enfants, qui dirige le conseil local du camp, indique être recherché par le régime pour avoir aidé des déserteurs au début de la guerre.

"Si je n'avais pas peur pour mes enfants et pour moi-même, je ne serais pas resté dans ce désert", assure-t-il.

Déportés de Jordanie

Les seuls nouveaux arrivants dans le camp sont chaque année quelques dizaines de Syriens déportés à leur sortie de prison par les autorités jordaniennes, selon le conseil local du camp et l'Observatoire syrien des droits de l'homme.

Depuis début 2024, 24 Syriens ont été déportés, dont Mohammed al-Khalidi, un mécanicien de 38 ans, qui était emprisonné en Jordanie pour trafic de drogue.

Il dit craindre d'être arrêté s'il revient dans la région de Homs dont il est originaire, sous contrôle des forces gouvernementales syriennes, et où il ne lui reste ni maison ni famille.

"Mes proches sont tous en Jordanie, et tous ceux qui étaient en Syrie ont été tués ou sont partis", affirme-t-il à l'AFP qui l'a contacté par téléphone.

Interrogé par l'AFP, un responsable jordanien a affirmé sous couvert de l'anonymat que le royaume "n’a pas forcé et ne forcera aucun réfugié syrien à retourner en Syrie".

« Comme une prison »

"Ce camp a les pires conditions de vie", affirme à l'AFP Mouaz Moustafa, de l'association Syrian Emergency Task Force, basée aux Etats-Unis, qui s'est rendu à Rokbane.

Son groupe a réussi à y acheminer de l'aide par avion, avec l'aide de la base américaine voisine.

"Mais ils ont besoin en premier, avant même la nourriture, de médecins", souligne Mouaz Moustafa, évoquant le cas d'un nouveau né souffrant de problèmes respiratoires ou d'accouchements compliqués.

Après un appel aux dons, Mohammed, 22 ans, a pu partir pour Homs dans le centre de la Syrie, pour subir une intervention chirurgicale au foie.

Quelques mois plus tard, il a échappé au service militaire en Syrie en fuyant au Liban. "N'importe quel endroit sur terre est mieux que Rokbane", dit-il à l'AFP, joint au téléphone.

Il n'a plus vu sa mère et ses deux frères depuis deux ans, ces derniers étant toujours bloqués à Rokbane. "Ma famille sait qu'elle ne sortira jamais (...) Ce camp est comme une prison."