ANKARA: L’enlèvement de trois étudiants en université dans une rue animée d’Ankara suscite de nouvelles inquiétudes pour la sécurité des citoyens turcs à la suite d’une augmentation récente de cas similaires.
Les étudiants, tous connus pour leur tendance à gauche, ont reçu des menaces de mort de leurs ravisseurs, puis ont été abandonnés dans un parc isolé de la ville le 18 février.
Ces enlèvements sont des avertissements à ceux qui se joignent aux manifestations étudiantes à travers le pays pour s’opposer à la nomination d’une personnalité politique en tant que recteur de la prestigieuse université turque de Bogazici.
Plusieurs personnes ont été enlevées récemment par des individus qui se présentent comme des «fonctionnaires» et effectuent des vérifications de casier judiciaire.
Certaines des victimes, après avoir été maltraitées et torturées, auraient été invitées à espionner pour le compte des services de renseignement, puis auraient été prévenues qu’elles seraient automatiquement arrêtées si elles continuaient à assister aux manifestations.
L’expression «Où que vous alliez, nous vous suivrons» figure parmi les avertissements les plus fréquemment entendus.
L’année dernière, Human Rights Watch, ONG basée à New York, a attiré l’attention sur les enlèvements avec un rapport qui reprend les témoignages de seize personnes enlevées par des agents des renseignements.
«L’enlèvement est un crime grave au regard du droit international et strictement interdit. Il fait l’objet d’enquêtes sur les allégations de disparition forcée et de poursuites des responsables», indique le rapport.
Le Centre des droits de l’homme de l’Association du barreau d’Ankara a également publié un rapport l’année dernière sur la disparition forcée de sept personnes et déposé une plainte pénale auprès du procureur.
Human Rights Association (IHD) suit le problème des enlèvements depuis des années et publie de fréquents rapports depuis 2018.
«Les cas d’enlèvements sont en hausse, en particulier depuis la tentative de coup d’État ratée en 2016. Nous avons tenu plusieurs réunions avec le ministère de l’Intérieur et les commissions parlementaires au sujet de nos conclusions, et nous nous attendons à ce qu’une enquête efficace soit ouverte», explique à Arab News Ozturk Turkdogan, président de l’IHD.
Certains fonctionnaires qui ont été démis de leurs fonctions juste après l’échec de la tentative de coup d’État ont également été kidnappés ces dernières années, et leurs familles sont toujours sans nouvelles.
Selon Ozturk Turkdogan, les disparitions forcées – une pratique courante dans les années 1990 des agents du renseignement contre des civils kurdes et des gauchistes en Turquie – sont très probablement orchestrées par une structure illégale au sein de l’appareil d’État afin de réprimer les voix dissidentes.
«Cela montre que l’État a perdu le contrôle de cette structure. Plusieurs victimes préfèrent garder le silence sur leur expérience pendant la période d’enlèvement, et aucun procès ne s’est encore tenu pour elles qui ont déposé plainte», poursuit-il.
La Cour européenne des droits de l’homme a déclaré que l’État turc était responsable de plusieurs enlèvements dans le passé.
Ozgur Ozel, vice-président du Parti républicain du peuple (CHP), principal parti d’opposition, a récemment exhorté le parlement turc à ouvrir une commission d’enquête sur les disparitions forcées dans le pays.
«Les allégations de torture, de menaces de viol et d’agressions devraient faire l’objet d’une enquête très sérieuse. Si ceux qui les commettent sont des fonctionnaires, ils doivent être identifiés et tenus pour responsables de ces crimes. Cependant, aucun progrès n’a été réalisé jusqu’à présent», explique-t-il à Arab News.
Ozgur Ozel rencontrera les étudiants universitaires qui ont été récemment enlevés à Ankara. «Il est indispensable de mettre ces affaires en lumière pour éviter qu’elles ne se reproduisent», ajoute-t-il.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur arabnews.com