TOULOUSE : Des hommes et femmes affaiblis, parfois handicapés, aux carrefours de la ville: derrière ces mendiants du bitume, un modus operandi bien rôdé, piloté par cinq familles Roms bulgares dont 18 membres sont jugés à Toulouse pour traite d'être humains.
A l'audience, comme depuis leur arrestation en 2018, les prévenus - dont 17 en détention provisoire - nient avoir exploité la mendicité de quiconque, disant être eux-même des misérables ayant quitté la Bulgarie pour pratiquer la mendicité en France.
Une version contredite mardi à la barre par le commissaire Arnaud Durand, cité par le ministère public, qui a dirigé l'enquête dans cette affaire.
Les prévenus, comme les 33 victimes, vivaient dans un camp du nord-est de Toulouse «où pullulaient des rats», «mais avec une claire hiérarchisation entre les habitations», affirme le commissaire. «Les mendiants dormaient parfois sur des bâches à même le sol, certains ne s'étaient pas lavés depuis des mois», relate-t-il, décrivant par ailleurs des «baraquements avec plus de confort» où vivaient les prévenus, équipés de réfrigérateurs ou de télévisions, comme on peut le voir sur des photos prises lors des interpellations.
Et l'enquêteur est catégorique: les prévenus «ne pratiquaient pas la mendicité», mais contrôlaient depuis le camp les mendiants qui, privés de leurs pièces d'identité, étaient envoyés aux différents carrefours de la Ville rose.
Supplices
«Tout commence début 2016, lors d'une plainte d'un mendiant bulgare qui déclarait pratiquer la mendicité pour le compte d'un dénommé "Tsetso", qu'il accuse de l'avoir dénudé, attaché à un poteau et fouetté avec un câble électrique, à cause d'un différend sur la somme rapportée de la mendicité», raconte M. Durand.
Au cours de l'été 2017, d'autres plaintes sont déposées par des mendiants. «Un homme de 47 ans expliquait être +esclave+ et +prisonnier+ de la famille de Ivan Vasilev Ivanov, et n'avoir aucun moyen de s'en soustraire», poursuit le chef des enquêteurs.
Et début 2018, «un informateur» le contacte, indique-t-il, sans donner de détails sur l'identité de ce dernier.
Une image plus précise se dessine alors sur le modus operandi ayant conduit les victimes en France.
Le mystérieux informateur «explique qu'elles étaient recrutées en Bulgarie, souvent sur critère de leur handicap, avec la promesse d'un travail ou du partage des gains de la mendicité». Mais une fois sur place, les cinq familles géraient chacune un certain nombre de mendiants et leur retiraient leurs pièces d'identité.
«Afficher la réussite»
La région de Pleven dans le nord de la Bulgarie, d'où sont originaires à la fois les prévenus et les victimes, est l'une des plus démunies dans ce pays, le plus pauvre de l'Union européenne.
Privées des gains du jour rapportés de la mendicité, «les victimes étaient maintenues sous contrôle avec de l'alcool bon marché qu'on leur faisait boire. Et s'ils ne ramenaient pas assez d'argent, ils ne mangeaient pas».
Les pièces récoltées étaient échangées en billets auprès de commerçants locaux puis acheminées en Bulgarie à travers d'organismes de transfert d'argent. Les prévenus, également soupçonnés de blanchiment d'argent, «avaient un train de vie assez luxueux dans leur pays, avec notamment des berlines de luxe», explique l'enquêteur, soulignant s'être notamment basé sur des photos postées sur Facebook «où il est coutume chez eux d'afficher leur réussite».
La surveillance physique du camp et la mise en place d'écoutes téléphoniques ont permis «de mettre en exergue la réalité de ces réseaux, la violence, les menaces. Elles ont été assez importantes pour déterminer le rôle de chacun et vérifier les déclarations de l'informateur», indique M. Durand.
En juin 2018, 11 personnes sont interpellées sur le camp où sont retrouvés d'importantes sommes d'argent et des papiers d'identité. Les autres, notamment les «têtes de réseau» qui ne se trouvaient pas au camp ce jour-là, seront arrêtés plus tard.
«Certaines victimes pleuraient au commissariat, de soulagement d'avoir été "libérées"», se souvient l'enquêteur.
Retournées depuis en Bulgarie dans le cadre d'un départ volontaire, aucune confrontation n'a pu avoir lieu avec les prévenus, qui la réclament pourtant. Une situation «problématique», estiment les avocats de la défense.
Le procès, qui a débuté lundi, doit s'achever le 10 février.