PARIS: Dans la ville agricole de Siliana, située à 120 kilomètres de Tunis, un des fiefs de la révolte populaire depuis 2011, vit la famille Dridi dont l’un des membres, Mouna, architecte dessinatrice en bâtiment au chômage, souhaite, aujourd’hui, dénoncer les actes de violences que son jeune frère a subis lors d’une des nuits agitées de manifestations nocturnes des jeunes dans sa ville.
Il était 19 h 25, en cette soirée du 17 janvier 2021, lorsque Hassan Dridi, 28 ans, veilleur de nuit dans une des écoles de Siliana, a été arrêté par la police. «Mon frère a été interpellé avec une grande violence alors qu’il se rendait à son travail», explique Mouna Dridi à Arab News en français. «Alors qu’il marchait, il a été arrêté sans aucune raison valable, maltraité et abusé par des policiers.
Après s'être évanoui sous les coups de matraque, il a été abandonné sur le trottoir. Mon frère n’était pas dans la rue pour manifester, il se rendait, comme chaque soir, à son travail pour subvenir aux besoins de notre famille», ajoute-t-elle.
Injustice et douleur
Comme de nombreuses familles dans la région, les Dridi subissent chômage et précarité. Pourtant, malgré cette situation précaire, les membres de la famille ont décidé, depuis de nombreuses années, de ne plus manifester pour réclamer les droits élémentaires garantis par la Constitution du pays. Et pour cause, la famille est endeuillée, brisée depuis le décès de l’un des leurs lors des confrontations protestataires survenues, à Siliana, le 27 novembre 2012.
«Nous avons décidé de ne pas manifester et ne pas exprimer nos opinions pour éviter d’être confrontés à la police», confie Mouna Dridi à Arab News en français. L’interpellation brutale de son frère ravive une douleur, celle de la perte d’un autre membre de la famille. «Nous avons perdu mon autre frère, Adel Dridi, lors du soulèvement des habitants de Siliana en 2012», nous fait savoir la jeune femme. «Aujourd’hui, mon autre frère, Hassan, agressé récemment, fait des cauchemars, il est traumatisé, et nous avec», explique-t-elle.
Briser la loi du silence sur la brutalité policière
«Mon frère est asthmatique, il s’est éloigné de la zone des manifestations, car le gaz lacrymogène est très nocif pour lui, mais il a été interpellé par les forces de l’ordre», confie Mouna, qui a décidé de briser la loi du silence. «Mon frère a bien signalé aux policiers qu’il se rendait à son travail, qu’il est asthmatique, mais cela n’a servi à rien, il n’a pas été écouté, pire encore, il a été traîné sur plusieurs mètres, d’un bout à un autre de l’avenue, il a même perdu connaissance», nous explique Mouna. «Il a été abandonné dans la rue, inconscient», regrette-t-elle.
«Selon les témoignages que j’ai recueillis auprès des voisins, un des policiers aurait traité mon frère d’alouch («agneau» en tunisien). Il faisait référence à Abderrahmane al-Othmani, un berger, qui, le 14 janvier 2021, a été interpellé et frappé, et dont le troupeau a été confisqué dans notre gouvernorat». Elle ajoute: «Les voisins ont été témoins de ce qui s’est passé, ils ont demandé aux policiers de le relâcher. Ce sont eux qui ont filmé, pris des photos et appelé les secours. Grâce à eux, mon frère a été transporté à l’hôpital pour les premiers de secours.»
«Nous avons tous les documents qui prouvent que Hassan Dridi travaille de nuit et qu’il a donc transgressé le couvre-feu pour se rendre à son travail, indispensable à la survie financière de notre famille», poursuit-elle.
Mouna Dridi déplore l’injustice vécue par sa famille, qui, selon elle, témoigne encore une fois, «de l’abus de pouvoir et de la tyrannie de la police tunisienne. Il s’agit cette fois-ci d’un acte de barbarie infligé à l’encontre de mon frère Hassan Dridi», confie-t-elle à Arab News en français.
Un peuple en détresse
«Je dénonce les violences à l’encontre de mon frère qui, j’insiste, n’a pas participé aux manifestations nocturnes», proteste la sœur de la victime. «Par ce témoignage, je souhaite dire la vérité sur ce qui s’est passé, ici, dans la province affligée de Siliana, cette ville qui a mené la révolution du printemps arabe en 2011 pour la liberté et la dignité. Nous sommes un peuple en détresse qui souhaite faire écouter sa voix», ajoute Mouna Dridi à Arab News en français.