PARIS: MC ou Maître de Cérémonie: ce terme du hip-hop va comme un gant à Fred Musa, animateur depuis plus de 20 ans de Planète Rap, émission phare de Skyrock, dans un studio en ébullition.
C'est donc dans moins de 20m2, au premier étage de la radio dans le IIe arrondissement parisien, qu'un rappeur se lance en freestyle -- billet d'humeur/improvisation, en rap -- entouré d'une bande pléthorique.
« Dès la première, dans cette configuration, avec Busta Flex en 1998, on a eu du monde, on a dit +venez avec qui vous voulez, du moment que ça se passe bien+. Et, ce n'est pas une légende, avec le 113 (collectif rap) on était plus de 100, voire 113 (rires) », raconte Fred Musa. « Bon, avec la crise sanitaire, c'est pas plus de six, séparés par des trucs en plexiglas... ».
Le quadragénaire, à la barbe plus sel que poivre, a tout entendu au sujet du drôle de vaisseau qu'il pilote. « On nous a dit +le rap est un phénomène de mode, vous n'allez pas durer longtemps+; et quand l'audience est montée, des concurrents sont allés voir les annonceurs en disant +ils jouent de la musique pour les noirs et les arabes, n'investissez pas sur cette radio+... ».
Le concept a résisté au temps, la diffusion en vidéo cartonne sur le net. Soolking qui entonne « Guérilla », c'est aujourd'hui près de 280 millions de vues. Musa a même joué son propre rôle dans la série « Validé ». « Que le rap devienne la musique dominante, qu'il soit dans des séries, à aucun moment je n'aurais pu imaginer ça dans les années 90 ».
Tabatha Cash, Jacques Toubon
Celui qui a grandi à La Courneuve (région parisienne) est un des grands témoins de l'histoire du rap français. Avec, parfois, des tuteurs inattendus. « Je dis toujours, +sur Skyrock, on a une marraine, Tabatha Cash+ -- (l'ancienne star porno) avait une émission et ne voulait que du rap -- et +un parrain, Jacques Toubon+ ». Dans les années 1990, ce dernier, ministre de la Culture, impulse des quotas francophones à la radio et le rap en profite.
Au rayon ministre, Musa a même reçu un jour Rachida Dati, à l'époque garde des Sceaux. « Une émission très particulière, autour du thème de la prison, initiée par les Nèg' Marrons, elle s'était engagée sur des choses concrètes ».
En dehors de ce cas particulier, l'émission est toujours libre, avec ambiance enflammée ou... embrumée.
« J'apprécie à moitié »
« Pas tout le temps, heureusement pour mon foie », s'amuse l'animateur. Qui ne rit pas toujours. Comme quand « un gars un peu +pété+ a insulté la grand-mère du directeur des programmes ». Visage fermé, Musa recadre d'une formule baroque : « j'apprécie à moitié ». « Je ne sais pas pourquoi je n'ai pas dit +je n'apprécie pas du tout+ (rires) ». L'expression est devenue un gimmick de l'émission.
Dans ce cadre « remuant », comme il le dit, Musa est dans son élément. Olivier Cachin, journaliste spécialiste du rap, salue son sens de la « répartie face à des gens qui ne sont pas des nazes en punchline ». « C'est un passionné et un journaliste-freestyler », décrit Emma Soriano, attachée de presse dans le hip-hop.
Rançon de la gloire, Musa est « clashé » sur les réseaux par Booba. Ce qui ne l'émeut guère: « il radote ». Les meilleurs souvenirs de Musa sont ses émissions délocalisées, à Moscou ou à Bogotá. Horizons insensés pour le jeune adulte qu'il fut, viré de multiples jobs alimentaires, alors qu'il toquait aux portes des radios, son eldorado. « Ado, mercredi et week-end, j'étais devant la radio Voltage; un jour, il pleuvait, une animatrice m'a fait entrer: j'y mettais un pied ! Aujourd'hui, je suis toujours dans mon rêve de gamin ».