LE CAIRE: Le ministre égyptien des Ressources hydriques et de l'Irrigation, Mohamed Abdel-Aty, a récemment tenu responsable l'Éthiopie du manque de progrès, dans la dernière série de négociations sur le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne (Gerd).
L'Éthiopie espère que le mégaprojet de 4.8 milliards de dollars sur le Nil Bleu, qui devrait générer 6,000 mégawatts une fois terminé, lui permettra de devenir le plus grand exportateur d'électricité d'Afrique. De leur côté, le Soudan et l'Égypte sont tous deux très préoccupés par les effets négatifs que le barrage pourrait potentiellement avoir sur leurs propres espaces du Nil.
S'exprimant après une réunion des ministres de l'Eau de l’Égypte, du Soudan et de l'Éthiopie, Abdel-Aty a déclaré que l'Éthiopie avait rejeté une proposition selon laquelle les trois pays devraient parvenir à un accord contraignant, conformément au droit international. Il a affirmé que la position de l'Éthiopie consistait uniquement à s’entendre sur des lignes directrices, qui pourraient être modifiées unilatéralement plus tard par Addis-Abeba. Les négociations relatives au Gerd ont commencé il y a près de dix ans.
« L'Éthiopie a cherché à obtenir le droit absolu d'établir des projets dans la partie supérieure du Nil Bleu, a expliqué Abdel-Aty. Elle a également refusé d'accepter que l'accord sur le Gerd inclue un mécanisme juridiquement contraignant pour régler les différends. L'Éthiopie a rejeté aussi une proposition selon laquelle l'accord comporterait des mesures efficaces pour réagir face aux sécheresses. ».
Et Abdel-Aty d’ajouter : « L'Égypte a participé de bonne foi aux récentes séries de négociations demandées par la nation sœur du Soudan. Il s’agissait d'épuiser et d'explorer toutes les méthodes disponibles pour parvenir à un accord juste et équilibré au sujet du Gerd, de manière à préserver les droits de l'Éthiopie au développement de ce projet, tout en minimisant les effets négatifs et les dommages causés par le Gerd aux deux pays en aval. L'Éthiopie a malheureusement maintenu ses positions intransigeantes. »
L'inflexibilité de l'Éthiopie dans les négociations à propos du Gerd est aussi la cause de préoccupations du côté du Soudan. Le ministère soudanais de l'Irrigation a en effet publié une déclaration, dans laquelle il estime que « malgré les progrès réalisés sur les questions techniques relatives au remplissage et à l'exploitation du barrage, les désaccords concernant les aspects juridiques ont révélé de réelles différences conceptuelles entre les trois parties sur un certain nombre de questions ». « Il s’agit notamment, selon le ministère, du caractère contraignant de l'accord, du mécanisme de règlement des différends, et de la séparation de l'accord en question de tout autre accord, étant donné que l'accord actuel est censé porter sur le remplissage et l'exploitation du barrage, et non sur la répartition des parts d'eau entre les trois pays ».
« À la lumière de ces développements, la délégation soudanaise a demandé que les dossiers litigieux soient transmis aux Premiers ministres des trois pays, afin de parvenir à un consensus politique sur ces dossiers, de façon à susciter la volonté politique nécessaire pour reprendre les négociations dès que possible, après les consultations entre les ministres de l’Irrigation des trois pays », poursuit la déclaration.
Lors d'un séminaire organisé par le ministre soudanais de l'Irrigation Yasser Abbas, Siddiq Youssef, – un dirigeant de l'Alliance pour la liberté et le changement (ALC) et du Parti communiste soudanais – a demandé au gouvernement du Soudan de veiller à ce qu'une clause de compensation pour tout dommage écologique ou social résultant du projet Gerd soit incluse dans tout accord.
L'ancien ministre égyptien de l'Irrigation Mohamed Nasr Allam a déclaré pour sa part à la presse que l'échec des négociations sur le Gerd indiquait que l'Éthiopie avait atteint « un niveau élevé d'intimidation ». Il a précisé qu'il était important que l'Égypte et le Soudan aient accès aux comptes rendus des sessions.
M. Allam a ajouté que le Caire et Khartoum devraient harmoniser leur approche des négociations. Il a appelé les deux parties à recourir au Conseil de sécurité de l'ONU et à utiliser d'autres moyens pour « internationaliser » la question.
L'Éthiopie, a-t-il indiqué, n'a pas une réelle volonté politique de faire aboutir les négociations. « Elle visait la communauté internationale et essayait de prouver aux observateurs qu'elle était sérieuse dans les négociations. Cependant, même cet objectif n'a pas été atteint », a déploré M. Allam.
L'analyste politique soudanais Mohamed Adam Isaaq a quant à lui déclaré que toute tentative de supprimer le droit légitime du Soudan à un partenariat dans le cadre du projet Gerd serait inacceptable. Le Soudan est « un acteur principal, pas un médiateur », a-t-il insisté, soulignant que le pays pourrait être exposé aux effets négatifs – ainsi qu'aux bénéfices – du projet, notamment la baisse du niveau des eaux du Nil et une baisse du limon qui priverait le Soudan de l'agriculture naturelle sur les rives du fleuve. « Les ressources halieutiques seraient également épuisées », a-t-il affirmé.
L'Égypte, qui dépend presque entièrement du Nil pour son approvisionnement en eau douce, craint que le barrage ne réduise ses réserves d'eau, déjà dangereusement basses. Environ 85 % de l'eau du Nil qui atteint l'Égypte provient des hauts plateaux éthiopiens.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur ArabNews.com le 19 juin 2020.