Au cours des dernières décennies, les responsables politiques européens se sont souvent exprimés sur le sort des minorités religieuses au Moyen-Orient et, plus précisément, au Levant. La persécution et le traitement de ces minorités comme des citoyens de seconde zone, notamment en Irak et en Syrie, ont en effet suscité l'inquiétude et le désespoir. Leur nombre décroissant est inquiétant. L'histoire de l'Europe, qui a été marquée par d'horribles échecs dans le traitement des minorités, offre des leçons plus précieuses que les déclarations des hommes politiques d'aujourd'hui. La leçon est parfaitement claire: lorsque les minorités sont exclues ou perdues, les pays perdent leur dynamisme et leurs chances de prospérité et de croissance.
Il existe de nombreux cas dans l'histoire européenne, mais je voudrais me concentrer sur deux événements qui ont eu lieu en France: l'expulsion des juifs et la révocation de l'édit de Nantes. Il s'agit de deux épisodes importants de l'histoire de France qui ont entraîné de profondes pertes pour le pays.
Les juifs ont été expulsés de France à plusieurs reprises au Moyen Âge. Les principaux épisodes ont eu lieu en 1306 sous Philippe IV et en 1394 sous Charles VI, lorsque leurs biens ont été confisqués et leur rôle dans l'économie éliminé. Cependant, cela a privé la France de communautés dynamiques qui excellaient dans le commerce, la médecine et les sciences et dont les contributions auraient pu enrichir la société à long terme. L'économie française a souffert de leur disparition et la culture et le savoir du pays ont été appauvris par leur exclusion. Le retour des juifs a eu lieu pendant la Renaissance, qui a été un âge d'or pour l'Europe.
De même, la révocation de l'édit de Nantes en 1685 par Louis XIV a eu des conséquences désastreuses pour la France. Cet acte a contraint à l'exil des centaines de milliers de protestants, appelés huguenots, qui ont emporté avec eux leur savoir-faire artisanal, commercial et industriel. La France perd de véritables artisans, tels que des horlogers, des imprimeurs, des marchands et des scientifiques, qui ont contribué au développement économique du pays. Cette décision a contribué à affaiblir la compétitivité de la France à long terme.
Lorsque les minorités sont exclues ou perdues, les pays perdent leur dynamisme et leurs chances de prospérité et de croissance.
Khaled Abou Zahr
Ces deux événements montrent comment la perte d'une communauté importante qui contribue à la nation peut appauvrir un pays. Il convient de mentionner que l'exil des huguenots a grandement contribué à l'essor de l'industrie en Angleterre et aux Pays-Bas, au détriment de la France.
Bien que le contexte soit différent, la perte des musulmans en Espagne avec la Reconquista a entraîné un déclin des connaissances en médecine, en philosophie et en astronomie dans le pays. Dans cette optique, il convient de se méfier des voix qui, dans la région du Levant, présentent les minorités comme des étrangers. En réalité, elles font partie intégrante de l'ADN du Levant. De nombreuses familles originaires du Levant proviennent de plusieurs religions, ce qui souligne à quel point nous sommes tous profondément interconnectés.
En réalité, les conflits armés des dernières décennies sont la principale raison de cette perte. Les minorités religieuses sont souvent prises pour cible, comme nous l'avons vu avec le traitement réservé par Daech aux communautés yazidies et chrétiennes en Irak et en Syrie. En fin de compte, cibler une seule communauté plonge l'ensemble du pays et même de la région dans le désespoir et le chaos. Nous partageons le même ADN et sommes étroitement liés les uns aux autres. Pour cela, la division serait désastreuse pour tous. Pourtant, au-delà des conflits, pouvons-nous encore vivre ensemble?
Aujourd'hui, les pays du Golfe nous montrent que la diversité culturelle et religieuse peut être une force lorsqu'elle est bien gérée. Ces États ont accueilli des populations d'origines diverses qui coexistent aujourd'hui et contribuent à des économies dynamiques. Cette diversité a permis aux États du Golfe de devenir des centres mondiaux du commerce, de la finance et de la culture. Cependant, il existe un élément clé pour que cela réussisse: l'ordre et le respect de l'autre, alignés sur une vision. Les pays du Golfe ont préservé leur identité et leurs valeurs, tout en permettant aux autres de vivre en sécurité, en plaçant le respect mutuel et de la loi au-dessus de tout.
Les pays du Golfe nous montrent que la diversité culturelle et religieuse peut être une force lorsqu'elle est bien gérée.
Khaled Abou Zahr
Alors, comment changer la dynamique négative au Levant? Comment utiliser cet exemple pour mieux reconstruire? Malgré la situation instable, le Liban pourrait être le point de départ de cette réémergence. Le Liban a connu une ère de stabilité et de prospérité à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Comment et pourquoi? Je vois une réponse claire. Il ne fait aucun doute que le Liban ne serait pas le même sans les maronites. C'est leur amour et leur engagement envers le pays du Cèdre qui se sont étendus au reste de la population.
Le Liban a connu son âge d'or et son époque bénie lorsque les maronites représentaient la moitié de la population. Avec la guerre civile, les pressions économiques actuelles et l'enlèvement du pays par le Hezbollah, leur nombre a considérablement diminué, tout comme la prospérité du pays. Je dirai, une fois pour toutes, que la corrélation implique la causalité.
Une chose est claire, le Liban ne continuera pas sur sa lancée. C'est une certitude. Tout comme dans l'investissement, il y a une barrière de prix ou un point de résistance, après quoi une action augmente ou s'effondre. Si le Liban franchit la prochaine barrière, nous nous dirigeons vers un scénario à la somalienne, où les frontières avec la Syrie ne signifieront plus rien. Le réveil ne peut avoir lieu que si nous ramenons toutes les communautés perdues et que nous assurons leur protection.
Tout comme le slogan «tous, ça veut dire tous» durant les manifestations visait à débarrasser le pays de toute son élite politique, nous devrions faire pression pour l'appliquer afin de permettre à toutes les communautés minoritaires de revenir et de vivre en paix, sans crainte. Cela commence par une vision, en gardant le Liban à l'abri des conflits voisins et en protégeant les frontières. Nous savons tous ce qui est nécessaire et avons besoin de nous doter des moyens de l'exécuter.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme de financement axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d’Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com