À la fin des années 1960 et au début des années 1970, il n'était pas rare de voir les journaux libanais faire l'éloge du dirigeant suprême nord-coréen Kim Il Sung. À l'époque, les médias levantins l'avaient même baptisé «le dirigeant aimé par 100 millions de personnes». Ce sont évidemment surtout les médias de gauche ou socialistes qui publiaient des articles louant les réalisations du dirigeant nord-coréen, tout en mettant toujours l'accent sur le thème de la résistance.
La Corée du Nord s'est positionnée comme un pilier du mouvement des non-alignés. Elle soutient l'Organisation de libération de la Palestine et d'autres causes. Pyongyang considère ces groupes comme des alliés dans la lutte internationale contre l'impérialisme. Il a développé une véritable stratégie de soft power pendant la période de la guerre froide, en exportant son idéologie révolutionnaire. Les thèmes récurrents étaient l'anticolonialisme, l'anti-impérialisme et le soutien aux mouvements socialistes au Moyen-Orient. C'était très clair au Liban, qui était l'épicentre de la lutte palestinienne à l'époque.
Il ne faut pas oublier non plus que la Corée du Nord ne s'est pas contentée de diffuser ses messages idéologiques, elle a également fourni un entraînement militaire, des armes et une aide financière aux militants palestiniens. En outre, pendant la guerre civile libanaise, Pyongyang a apporté son soutien militaire et son expertise aux factions communistes et de gauche. Le parti communiste libanais a été l'un des bénéficiaires de ce soutien. Il convient de noter que ce groupe est aujourd'hui totalement pro-Hezbollah.
Cette période a également été différente pour la Corée du Nord. Je ne reviendrai pas sur les guerres de Corée, mais Pyongyang a pu trouver un équilibre entre la Russie et la Chine et, d'une certaine manière, faire entendre sa voix. Cet équilibre a renforcé sa capacité à envoyer son message idéologique au Moyen-Orient.
Les thèmes récurrents étaient l'anticolonialisme, l'anti-impérialisme et le soutien aux mouvements socialistes dans tout le Moyen-Orient.
Khaled Abou Zahr
Après la fin de la guerre froide et l'effondrement de l'Union soviétique, ce n'est plus le cas. La Corée du Nord est devenue de plus en plus dépendante de Pékin. Il suffit de regarder les importations de la Corée du Nord. Elle a conservé un certain degré de liberté, mais celui-ci est beaucoup plus limité que pendant la guerre froide. En outre, son influence politique et son intérêt pour le Moyen-Orient ont également disparu.
Dans les années 1980, la Corée du Nord s'est surtout fait connaître dans la région par des transactions secrètes, plutôt que par un message anti-impérialiste très clair au Moyen-Orient.
Il convient également de noter que Pyongyang a conclu des accords avec Mouammar Kadhafi. Cela correspondait à son objectif de rechercher des partenaires pour contourner les sanctions internationales et soutenir son économie en difficulté. De même, Pyongyang entretient de bonnes relations avec la Syrie et, à ce jour, des liens étroits avec l'Algérie, qui continue de célébrer la visite historique de Kim en 1975.
La Corée du Nord est-elle sur le point de s'engager à nouveau au Moyen-Orient sur le plan idéologique? La nouvelle du mois dernier selon laquelle des soldats nord-coréens ont aidé la Russie dans sa guerre contre l'Ukraine pourrait être un signe de changement. Les visites mutuelles et les liens d'amitié croissants entre le président Vladimir Poutine et Kim Jong Un sont susceptibles de modifier l'équation relative à la dépendance de Pyongyang à l'égard de la Chine. Avec des échanges et des ressources croissants de la part de Moscou, la Corée du Nord sera probablement en mesure de rééquilibrer ou d'atténuer l'influence de Pékin. Il est également évident que la Chine est mal à l'aise avec les derniers développements, car ils rendent plus difficile le maintien de sa neutralité dans la guerre en Ukraine.
Cela pourrait être une nouvelle occasion pour la Corée du Nord de rétablir sa communication et son rayonnement dans la région.
Khaled Abou Zahr
Malgré ces tensions, le front entre la Chine et la Russie est plus uni que dans les années 1970. Cela s'explique en partie par le fait que la doctrine Nixon est désormais caduque. L'ouverture de l'ancien président américain à la Chine a réussi à diviser les deux pays communistes. Aujourd'hui, la Chine, la Russie et la Corée du Nord entretiennent des relations dynamiques, mais regardent l'Occident de la même manière.
Par conséquent, à un moment de grande volatilité au Levant, cela pourrait s'avérer être une nouvelle opportunité pour la Corée du Nord de rétablir ses communications et son rayonnement dans la région afin de mettre fin à son isolement. Exactement comme elle l'a fait dans les années 1970. Si l'on examine le positionnement idéologique de la Corée du Nord à l'époque, le principal message qui résonnait était sa solidarité avec les peuples opprimés. Cela implique également un effort de communication sur le thème de l'anti-impérialisme, ainsi que sur un autre thème récurrent et important pour la Corée du Nord: l'autosuffisance et la base de ce que l'on appelle l'idéologie Juche.
Dans les années 1960, cette idéologie a été mise en avant par le biais de livres et de publications basés sur les traductions des œuvres de Kim Il Sung. Cette littérature était diffusée par des groupes gauchistes au Liban et dans l'ensemble du Moyen-Orient. Aujourd'hui, TikTok et Instagram feront probablement l'affaire. De plus, ces thèmes trouvent une forte résonance auprès de la jeunesse bourgeoise du Moyen-Orient, plus encore auprès de ceux qui vivent ou étudient à l'étranger. Nous vivons également à une époque où les gens rejettent la concurrence des grandes puissances. Ainsi, alors que les conflits dans la région font écho aux années 1970, sommes-nous sur le point d'assister à une nouvelle politique de communication de la part de la Corée du Nord? On en a vu d'autres.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme de financement axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d’Al-Watan Al-Arabi.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com