L'affaiblissement de la France et de l'Allemagne entraîne un changement de pouvoir au sein de l'UE

Sous la direction de Mme von der Leyen notamment, la Commission européenne a joué un rôle plus affirmé (AFP)
Sous la direction de Mme von der Leyen notamment, la Commission européenne a joué un rôle plus affirmé (AFP)
Short Url
Publié le Vendredi 11 octobre 2024

L'affaiblissement de la France et de l'Allemagne entraîne un changement de pouvoir au sein de l'UE

L'affaiblissement de la France et de l'Allemagne entraîne un changement de pouvoir au sein de l'UE
  • Il est indéniable que l'économie allemande, la plus importante d'Europe, a fait de Berlin un faiseur de rois de facto en Europe
  • Bien que cela reste vrai, la position de Berlin a été ébranlée par un revirement de situation

Le duo franco-allemand est la pierre angulaire de l'Union européenne depuis de nombreuses décennies. C'est grâce à cette alliance solide que l'Union a maintenu son cap et poursuivi son essor avec une grande stabilité. À chaque crise européenne ou mondiale, ce partenariat a permis de trouver des solutions et de maintenir la confiance dans les institutions de l'UE. Cependant, le monde change et, à travers les crises géopolitiques et économiques, la position dominante de ce duo est en train de s'éroder.

Il est indéniable que l'économie allemande, la plus importante d'Europe, a fait de Berlin un faiseur de rois de facto en Europe. Bien que cela reste vrai, la position de Berlin a été ébranlée par un revirement de situation et, plus précisément, par une série de mauvaises décisions qui ont fait naître des doutes quant à sa capacité à assurer un avenir stable à l'Europe. Elle a fait preuve d'un manque de vision politique en s'appuyant sur l'énergie russe, ce qui a affaibli son autorité.

Cette situation est exacerbée parce que l'économie allemande devrait se contracter de 0,2% en 2024, marquant une période de stagnation après plusieurs années de lente reprise. Parmi les facteurs qui contribuent à cette évolution figurent des défis structurels tels que la transition énergétique mal gérée, ainsi que l'impact du vieillissement de la population. En outre, la concurrence croissante des exportations industrielles chinoises a exercé une pression supplémentaire sur le secteur manufacturier, l'un des fondements de l'économie allemande.

Compte tenu de cette situation particulière, la question suivante se pose: est-il temps d'accorder plus de pouvoir à la Commission européenne elle-même?

                                                             Khaled Abou Zahr

La France n'a pas fait l'erreur de la transition énergétique ou, plus exactement, elle a fait marche arrière au bon moment en abandonnant l'énergie nucléaire, contrairement à l'Allemagne. Pourtant, elle doit aujourd'hui faire face à un endettement plus important que jamais pour maintenir la croissance actuelle de son PIB. Pour la première fois dans l'histoire, la France emprunte à des taux plus élevés que l'Italie, la Grèce ou l'Espagne. En effet, la France ne peut pas respecter les lignes directrices de l'UE concernant les plafonds d'endettement et les déficits budgétaires. Cette situation compromet sa capacité à faire entendre sa voix, puisqu'elle ne respecte même pas les règles.

En effet, l'économie française est également en difficulté, avec une croissance du PIB prévue à environ 0,7 % en 2024. Cette faible performance est largement due aux effets persistants de la hausse des taux d'intérêt, de la crise énergétique et du retrait des mesures gouvernementales de soutien fiscal. En outre, des coupes budgétaires d'environ 10 milliards d'euros ont réduit son potentiel de croissance.

Si l'on ajoute à ces questions le chaos politique sur l'Ukraine et le Moyen-Orient, avec des positions contradictoires entre Paris et Berlin et des épisodes de tension qui, malgré les déclarations amicales, ne sont pas résolus, les deux pays se trouvent dans une situation difficile pour continuer à montrer la voie à suivre pour l'Europe. Compte tenu de cette situation particulière, la question suivante se pose: est-il temps d'accorder plus de pouvoir à la Commission européenne elle-même?

Il n'est donc pas surprenant que, lors des crises récentes et en particulier sous la direction d'Ursula von der Leyen, la Commission européenne ait joué un rôle plus affirmé. Cela a été très clair, notamment en ce qui concerne la guerre en Ukraine. Cela a fait progresser l'agenda géopolitique de l'UE. Le second mandat de Mme Von der Leyen devrait confirmer cette tendance à mesure que les tensions mondiales s'accroissent. Le rôle dominant joué par la Commission européenne lors de la pandémie de Covid-19 et maintenant lors de la guerre en Ukraine continuera à renforcer l'influence de Bruxelles. En effet, le manque de leadership dû à l'affaiblissement de la France et de l'Allemagne fait qu'elle agit davantage comme une autorité centrale, supplantant les gouvernements nationaux.

Certains analystes affirment même que Mme Von der Leyen a pris le dessus sur le président Macron et le chancelier Scholz.

                                                                Khaled Abou Zahr

En effet, ce pouvoir croissant est apparu clairement dans les négociations complexes pour la nomination des commissaires européens. Certains analystes affirment même que Mme Von der Leyen a pris le dessus sur le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz. Il n'est donc pas étonnant que les experts de l'UE laissent entendre sur les réseaux sociaux, entre autres «fuites», que la France et l'Allemagne étant affaiblies, c'est l'occasion rêvée de prendre des mesures concrètes pour établir une nouvelle phase dans le processus de l'UE qui implique le transfert d'une plus grande autorité décisionnelle à Bruxelles.

Comme pour tous les signes de faiblesse, nous constatons également que plusieurs pays européens s'unissent pour contrebalancer la traditionnelle domination franco-allemande au sein de l'UE. Cela a également renforcé le leadership de Mme Von der Leyen. Des pays comme la Pologne, sous la direction de Donald Tusk, ont considérablement amélioré leur profil en investissant massivement dans la défense et en jouant un rôle essentiel dans le soutien à l'Ukraine, se positionnant ainsi comme des acteurs clés de la sécurité européenne. L'Italie, sous la direction de Giorgia Meloni, s'est également alignée sur les pays d'Europe de l'Est en plaidant en faveur d'une structure de direction plus diversifiée et d'une action plus forte de l'UE sur les questions géopolitiques. Nous pouvons constater que Mme Meloni a réussi à mettre en œuvre la stratégie que M. Macron a tenté de mettre en avant pour renforcer la position de la France au sein du duo franco-allemand.

En outre, d'autres nations d'Europe de l'Est comme l'Estonie, la République tchèque et la Slovaquie ont renforcé leur influence en faisant pression pour une plus grande implication de l'UE dans la défense, en particulier en réponse à l'agression russe. Le rôle de la Commission européenne dans le réengagement potentiel du Royaume-Uni sous son nouveau gouvernement travailliste pourrait encore diluer la domination franco-allemande.

La combinaison d'un monde plus dangereux, d'une plus grande incertitude et de l'affaiblissement du duo Berlin-Paris a donné du pouvoir à la Commission européenne. C'est aussi le signe d'une évolution vers une Europe plus multipolaire, qui permettra à la Commission européenne de jouer un rôle plus actif dans l'élaboration de la politique de l'UE, notamment en matière de défense et de sécurité économique. Tous ces facteurs soulèvent la question de savoir si nous assisterons bientôt à l'avènement d'un président européen souverain et tout-puissant.

Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, une plate-forme de financement axée sur l’espace. Il est PDG d’EurabiaMedia et rédacteur en chef d’Al-Watan al-Arabi. 

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français. 

Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com