Bruno Retailleau secoue les croyances établies sur l’immigration

Le ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau écoute le discours du Premier ministre français devant le Sénat français à Paris, le 2 octobre 2024, au lendemain de la présentation de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale française. (AFP)
Le ministre français de l'Intérieur Bruno Retailleau écoute le discours du Premier ministre français devant le Sénat français à Paris, le 2 octobre 2024, au lendemain de la présentation de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale française. (AFP)
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Publié le Jeudi 03 octobre 2024

Bruno Retailleau secoue les croyances établies sur l’immigration

Bruno Retailleau secoue les croyances établies sur l’immigration
  • En confiant le ministère de l’intérieur à Bruno Retailleau, le duo Barnier/Macron assume un virage très à droite de ses politiques
  • L’actuel ministre de l’Intérieur se veut le champion absolu de l’ordre à la grande satisfaction du Rassemblement national

En l’espace de quelques jours, Bruno Retailleau s’est imposé comme le personnage qui provoque le plus de polémiques. Comme sur l’État de droit qui n’est pour lui ni intangible ni sacré, ou pour les obligations de quitter le territoire français (OQTF) quand il pense à un pays tiers pour recevoir les expulsés. Bruno Retailleau tente de faire bouger les dogmes français sur l’immigration et la sécurité. Il se veut le champion absolu de l’ordre à la grande satisfaction du Rassemblement national.

Si on avait dit à Bruno Retailleau, président du groupe Les Républicains au Sénat, il y a encore quelques semaines, qu’il serait la pièce maîtresse d’un gouvernement de droite avec Emmanuel Macron, il aurait écarquillé les yeux d’incrédulité et aurait pensé à un jeu de devinettes des dynamiques improbables. Et pourtant, à l’issue de ces élections législatives anticipées, et alors que son parti Les Républicains est arrivé en quatrième position avec seulement quarante sept députés, Bruno Retailleau se retrouve à diriger le ministère de l’Intérieur, un des ministères les plus emblématiques de la Cinquième République.

C’est à la fois un jeu de hasard et un concours de circonstances, doublés d’un refus tranché d’Emmanuel Macron de confier le pouvoir à la gauche, qui ont permis à Michel Barnier de se retrouver Premier ministre et à Bruno Retailleau de se retrouver patron de la place Beauvau. Sa passation de pouvoir avec Gérald Darmanin restera dans les annales comme la négation publique et éclatante du bilan de son prédécesseur. Sa gourmandise à saturer l’espace public laisse peu de doutes sur son excitation, voire sa surprise d’occuper ce poste au sein d’un gouvernement qui revendique officiellement un virage très à droite.

Sans doute Bruno Retailleau – et pour être cohérent avec son passé – doit s’estimer en cohabitation avec Emmanuel Macron. La presse s’est amusée à déterrer des pépites de Bruno Retailleau où il critique violemment la gouvernance de Macron et jure qu’il n’y participerait jamais. Ce qui rend cette situation politiquement supportable pour lui, c’est qu’il a cela en commun avec Michel Barnier qui avait pilonné Macron et ses choix avant de devenir son Premier ministre.

En confiant le ministère de l’intérieur à Bruno Retailleau, le duo Barnier/Macron assume un virage très à droite de ses politiques. L’actuel ministre de l’Intérieur est connu pour sa vision très idéologique de l’ordre, sa perception militante des questions d’immigration où il espère marquer sa différence avec ce que lui-même n’a pas cessé de dénoncer comme du laxisme sous Gérald Darmanin. Aussi étonnant que cela puisse paraître, les mots, les discours, les démarches, les priorités de Bruno Retailleau ressemblent étrangement à ceux affichés par l’extrême droite et qui ont participé à son succès lors des derniers scrutins – les législatives et les européennes.

En confiant le ministère de l’intérieur à Bruno Retailleau, le duo Barnier/Macron assume un virage très à droite de ses politiques.

                                             Mustapha Tossa

Bruno Retailleau est à cent pour cent compatible avec les convictions affichées par le Rassemblement national de Marine Le Pen. Et c’est pour ces raisons que toutes les sorties tonitruantes de Retailleau sur l’ordre et l’immigration sont autant de douces mélodies aux oreilles de l’extrême droite. Sa position claire sur la nécessité de revoir le fameux accord de 1968 qui organise les questions migratoires entre la France et l’Algérie est de nature à le propulser au cœur d’une crise diplomatique entre les deux pays. Même si dans le sillage de cette affirmation virile, il tient à préciser que ces stratégies relèvent des compétences du ministère des Affaires étrangères.

Dans sa volonté de lutter contre le poids de l’immigration, Bruno Retailleau a déjà pensé à de nombreuses mesures restrictives qui aspireraient à rendre le modèle français moins attractif pour les candidats à l’immigration, comme l’encadrement strict des aides sociales et médicales octroyées à ces catégories de personnes. Il a aussi mis en valeur la nécessité de parvenir à une collaboration dense avec des pays exportateurs d’immigrés en France comme l’Algérie et le Maroc avec l’ambition de les convaincre à délivrer davantage de laissez-passer consulaires pour reprendre leurs nationaux en situation irrégulière en France. Et toute la question est de savoir ce que peut faire Bruno Retailleau de plus que ce qu’a déjà fait Gérald Darmanin pour parvenir à cet objectif.

La vie de Bruno Retailleau au gouvernement ne sera pas un longe fleuve tranquille. La presse évoque déjà sa future confrontation politique et idéologique avec l’actuel ministre de la Justice, Didier Migaud, issu des rangs de la gauche et qui ne pourrait accepter que son collègue du ministère de l’Intérieur puisse dépasser le cadre légal et constitutionnel pour mettre en pratique sa philosophie de l’ordre et de la gestion des questions migratoires. Dès les premiers jours de ce gouvernement, une passe d’armes entre les  deux hommes par médias interposés annonce la couleur de leurs futurs affrontements.

 

Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine. 

X: @tossamus

NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.