Il n’y a rien à célébrer dans l’assassinat de Hassan Nasrallah, ni dans celui de près de 1 000 citoyens libanais en deux semaines de violence israélienne. Même parmi ceux qui détestaient tout ce que représentait Nasrallah, la disparition soudaine d’une figure charismatique qui a joué un rôle central dans la politique nationale et régionale pendant des décennies a suscité une tristesse et une désorientation généralisées.
Je critique depuis longtemps l’allégeance du Hezbollah à l’ayatollah Khamenei et à l’Iran en premier lieu, au détriment de l’intérêt national du Liban. La résistance audacieuse de Nasrallah à l’occupation israélienne des terres palestiniennes, illustrée par la guerre de 2006, a fait de lui une figure emblématique, semblable à Che Guevara – jusqu’à ce que le Hezbollah se déshonore totalement en combattant au nom du régime Assad en Syrie, et se montre à plusieurs reprises comme le jouet de Téhéran.
L'inquiétude est omniprésente quant à la suite des événements : une escalade de la violence, une invasion terrestre du Liban par Israël ou l’entrée d’autres mandataires iraniens dans la bataille. La première réaction de l’Iran a été d’emmener Khamenei en lieu sûr, ce qui montre bien que le régime craint de se trouver directement dans la ligne de feu. Après la guerre de 2006, Nasrallah a admis qu’il n’aurait jamais entraîné le Liban dans ce conflit s’il avait su quelle serait la réponse sanguinaire d’Israël : il n’a pas vécu assez longtemps pour admettre qu’il commettrait deux fois la même erreur.
La décapitation du Hezbollah par Israël représente la mort du mythe de l'« axe de la résistance » iranien, qui était censé dissuader Israël, protéger le Sud-Liban et constituer une avant-garde pour la libération de Jérusalem et l’éradication d’Israël.
Les événements récents démontrent la futilité de cette rhétorique : Le Hezbollah n’a rien fait pour arrêter les massacres à Gaza, répondant par des menaces vides alors qu’Israël décimait les dirigeants du Hamas et du Hezbollah. Israël a simultanément mis hors service le réseau de communication par téléavertisseur, ou pagers, du Hezbollah et hospitalisé des centaines d’agents de l’organisation. Puis, avec une brutalité presque désinvolte, il a éliminé Nasrallah lui-même, ainsi que des blocs entiers d’habitations résidentielles.
Le Hezbollah n’a pas protégé le Liban, il a placé le pays dans la ligne de mire. Les groupes paramilitaires en Syrie, en Irak et au Yémen ont joué un rôle déstabilisateur similaire, rendant les attaques d’Israël et de ses alliés beaucoup plus probables. Après la mort de Nasrallah, les Iraniens se sont plaints que non seulement ces mandataires arabes avaient drainé des milliards du budget de l’État, mais qu’ils risquaient également d’entraîner l’Iran directement dans un conflit régionalisé dans lequel ils n’avaient aucun intérêt.
La semaine dernière, j’étais à New York où, alors qu’Israël frappait Beyrouth, des dirigeants iraniens tels que le président Masoud Pezeshkian sirotaient du thé à l’Assemblée générale des Nations unies, discutant l’amélioration des liens et la reprise des négociations nucléaires – déconnectés des événements de façon illusoire.
Tout cela a fatalement affaibli la crédibilité régionale de Téhéran. L’axe de la résistance s’est avéré être un tigre de papier, tandis que les ayatollahs ont passivement abandonné le Hezbollah et le Hamas à leur sort. Beaucoup d’entre nous se sont déjà moqués de ces mandataires adorateurs de Téhéran, en faisant remarquer que « papa » Khamenei ne viendrait jamais les sauver s’ils étaient confrontés à l’anéantissement. Après la semaine dernière, le Hezbollah a-t-il enfin compris cette leçon ?
Khamenei et ses généraux ont menacé de faire regretter à Israël l’assassinat de Nasrallah et ont déclaré que sa mort était un précurseur de la destruction d'Israël. Mais lorsqu’on lui a demandé pourquoi l’Iran n’avait pas vengé la mort en 2020 de Qassem Soleimani et d’innombrables autres commandants de la Garde révolutionnaire et du Hezbollah, le régime s’est contenté de parler de « patience stratégique » et d’attendre le moment opportun. Nasrallah a maintenant l’éternité pour attendre que Téhéran se décide à le venger.
Nasrallah était relativement un pragmatiste qui, au cours des derniers mois, avait fatalement cherché à exercer une pression sur Israël, sans provoquer un conflit généralisé. En éliminant Nasrallah et le leadership des vétérans du Hezbollah, Israël risque de voir l’organisation tomber entre les mains de subordonnés au sang chaud et belliqueux, dont la première priorité pourrait être la vengeance. Nasrallah était le parrain de vastes armées de paramilitaires transnationaux, que le Hezbollah a entraînés et mobilisés, et qui seront également impatients d’obtenir un prix sanglant pour la mort de Nasrallah. Mais après que leurs arsenaux de roquettes redoutés se sont révélés chétifs et impuissants face à la puissance de feu supérieure d’Israël, l’Iran choisira-t-il à présent de les freiner, de peur de perdre d’un seul coup toutes ses cartes régionales ?
Toutes les options actuelles de l’Iran sont mauvaises : susciter la colère d’Israël et de l’Amérique en se déchaînant, ou risquer le ridicule et l'insignifiance en ne donnant pas suite à une rhétorique enflammée. Le danger est que Téhéran tire les mauvaises leçons de ces reculs : envoyer de fonds et d'armes supplémentaires pour renforcer ses mandataires, tout en s’empressant d’acquérir une force de dissuasion nucléaire. L’Occident doit agir vigoureusement pour prévenir cette éventualité.
Tout comme la mort de Soleimani a affaibli la capacité de l’Iran à contrôler ses mandataires régionaux, l’assassinat de Nasrallah et de ses commandants affaiblit la capacité du Hezbollah à dominer politiquement le Liban. Le gouvernement libanais dispose d’une fenêtre d’opportunité étroite pour éviter le conflit et réduire radicalement l’influence omniprésente du Hezbollah, tout en fermant la porte à l’hégémonie iranienne. Le Hezbollah nommera de nouveaux dirigeants, mais ils ne jouiront jamais d'un fragment du prestige et de l’influence de Nasrallah.
De même, en Irak, en Syrie et au Yémen, les milices mafieuses soutenues par l’Iran ont définitivement perdu leur aura d’invincibilité et de légitimité, tandis que la domination régionale de l’Iran s’est révélée être un mirage lâche qui se disperse au premier signe de confrontation.
L’axe de la résistance, supposément tout-puissant, a été brandi pendant des années comme une arme émoussée pour menacer la région, mais au premier signe de trouble, il s’est comporté comme un ballon piqué par une épingle. Avant que ces paramilitaires vengeurs n’entreprennent de nouveaux efforts pour engloutir la région dans un conflit, mettons-les de côté et, pour la première fois depuis des décennies, voyons le monde arabe prendre son destin en main.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com