PARIS : Le Premier ministre Michel Barnier ouvre mardi les travaux du Parlement avec sa déclaration de politique générale, conscient de la fragilité de son gouvernement face à une Assemblée elle-même promise par beaucoup à la dissolution.
"Je suis là depuis 20 jours, je ne sais pas pour combien de temps", compte tenu "de la situation (...) inédite à l'Assemblée nationale", avec un hémicycle divisé en trois blocs loin de la majorité absolue, a reconnu samedi le Premier ministre, à l'occasion d'un déplacement à Mâcon (Saône-et-Loire) au 130e congrès des sapeurs-pompiers.
"Mais je suis là comme quelqu'un qui engage un long chemin (...) avec beaucoup de détermination", a-t-il déclaré, après avoir reçu les encouragements des participants, et s'être vu offrir un casque pour sa "protection".
Peu de choses ont filtré depuis la nomination de Michel Barnier le 5 septembre sur les lignes directrices qu'il entend donner à sa politique.
Tout au plus a-t-il esquissé quelques pistes fiscales dans une interview vendredi, à la suite d'un séminaire gouvernemental, affirmant qu'il "protégerait de toute augmentation fiscale ceux qui sont sur le terrain, qui travaillent, qui produisent".
- Chausse-trapes -
M. Barnier se sait attendu au tournant, par les groupes du "socle commun" qui soutiennent son action - la droite et les trois partis du camp présidentiel - mais aussi par l'extrême droite, qui l'a placé "sous surveillance", et peut à tout moment le faire tomber en joignant ses voix à celle de la gauche pour faire adopter une motion de censure.
Vingt-sept députés du groupe Ensemble pour la République (ex-Renaissance) ont fait monter la pression dimanche, se disant opposés à toute augmentation des impôts.
Marine Le Pen devrait elle temporiser avant de renverser M. Barnier, étant elle-même accaparée par son procès dans l'affaire des assistants parlementaires du Rassemblement national au Parlement européen, qui s'ouvre lundi jusqu'au 27 novembre.
Mais le petit jeu des pronostics a déjà commencé: une ancienne ministre a parié avec son entourage que le gouvernement tiendrait jusqu'en juin. Un de ses conseillers tablant plutôt sur la mi-novembre.
Le gouvernement va en effet devoir s'atteler au plus vite à la difficile tâche de faire adopter avant le 31 décembre par le Parlement les budgets de l'Etat et de la Sécurité sociale, dans un contexte financier particulièrement dégradé, comme l'a une nouvelle fois souligné M. Barnier samedi.
La plupart des acteurs politiques s'attendent à ce que l'exécutif doive, comme l'an dernier, en passer par dix 49.3 (cette disposition de la Constitution qui permet de faire adopter un texte sans vote), qui seront autant d'occasions de censure.
Parmi les chausse-trapes à éviter, la question de l'Aide médicale d'Etat (AME), dont la suppression est de longue date une demande de la droite, et notamment du nouveau ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau, contre l'avis d'une grande partie des macronistes. L'AME permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d'un accès aux soins.
- "Rien" à l'agenda -
Hormis ces lois budgétaires, les parlementaires se demandent bien sur quels textes ils vont pouvoir travailler, compte tenu de la difficulté à faire émerger des majorités au Palais Bourbon.
Michel Barnier va-t-il reprendre le projet de loi sur la fin de vie, dont ne veulent pas ses ministres conservateurs? Introduire la proportionnelle aux élections, à laquelle la droite est hostile? Que vont devenir les projets de loi mis entre parenthèses avec la dissolution comme ceux sur l'agriculture ou le logement?
A l'Assemblée le risque est "que ça vivote mais que ça ne produise rien", se désole la même ancienne ministre, qui ne voit "rien" à l'agenda de l'Assemblée en octobre, si ce n'est le 31 octobre la "niche" réservée aux textes du RN, et peut-être des propositions de loi transpartisanes.
L'Assemblée n'est d'ailleurs pas totalement en ordre de bataille pour travailler, avec une vice-présidente et trois présidents de commission nommés au gouvernement, et pas encore remplacés.
Cette assemblée mal-née pourrait elle-même n'avoir qu'une durée de vie assez limitée. Beaucoup de députés s'attendent à une nouvelle dissolution dès que la Constitution le permettra, soit un an après les législatives anticipées.
Marine Le Pen en avait fait son cheval de bataille pour la rentrée parlementaire du RN le 14 septembre, estimant que la situation politique ne pouvait "pas tenir" et espérant que la "mandature soit la plus courte possible".
Mardi, la pression sur Michel Barnier s'exprimera aussi dans la rue, avec des manifestations dans toute la France pour demander l'abrogation de la réforme des retraites et l'augmentation des salaires, à l'appel de plusieurs syndicats.