Mon amie est une très jolie femme, à l'éducation irréprochable. Elle est issue de l'une des familles les plus riches du Liban. Aujourd'hui retraitée, âgée d'une soixantaine d'années, elle a perdu sa fortune lors de l'effondrement du système bancaire et de la monnaie. Chaque jour, elle fait la queue à la banque aux côtés de ses compatriotes libanais pour obtenir une maigre somme qui lui permet à peine d'acheter de la nourriture et encore moins les médicaments dont elle a besoin. La pauvreté et la famine sont devenues des forces unificatrices dans le Liban d'aujourd'hui.
À la suite de l'explosion de bipeurs et de talkies-walkies par Israël la semaine dernière et des dernières escalades, mon amie m'a raconté à quel point les Libanais avaient désormais peur les uns des autres. Dans la file d'attente de la banque, un homme a semé la panique parce qu'il avait un téléphone Nokia de la première génération. Les gens l'ont exhorté à s'en débarrasser, mais il a refusé à plusieurs reprises, ce qui a provoqué le chaos lorsque les personnes présentes ont commencé à l'insulter et à le frapper, avant qu'il ne soit jeté dans la rue avec son téléphone. Plus tard dans la journée, des avions israéliens ont mitraillé Beyrouth et mon amie s'est cachée sous son lit, craignant que la guerre tant attendue ne commence.
La survie quotidienne au Liban est une épreuve de traumatisme, de pauvreté, d'humiliation et de peur. Après l'explosion des bipeurs, les gens ne savaient pas à quoi s'attendre. Ils ont commencé à jeter leurs téléphones portables, à sortir les bébés des couveuses, à craindre d'utiliser les ordinateurs et à éviter les lieux publics, en se demandant évidemment quels appareils pouvaient être transportés en toute sécurité dans les avions et les transports publics. Bien que les membres du Hezbollah constituent une proportion importante des victimes, beaucoup de ceux qui ont perdu des mains et des yeux étaient des passants innocents ou des membres de leur famille. Le caractère aveugle de l'attaque a ajouté un nouveau degré d'horreur à ce conflit imprévisible et meurtrier.
Avec les dernières escalades et l'assassinat de commandants importants, Israël cherche à inciter le Hezbollah à la guerre.
Baria Alamuddin
Hassan Nasrallah a eu raison d'affirmer que la guerre a transformé le nord d'Israël en zone interdite, mais il en va de même pour le sud du Liban. Même si Israël mettait à exécution ses menaces de réoccuper le Liban jusqu'au fleuve Litani, un tel cordon ne constituerait guère un obstacle pour les munitions à moyenne portée du Hezbollah et une telle occupation serait défendue comme une cause célèbre pour les prétentions de «résistance» du Hezbollah.
Avec les dernières escalades et l'assassinat de commandants importants, Israël cherche à inciter le Hezbollah à une guerre qu'il gagnerait inévitablement grâce au soutien illimité de l'Occident. Mais la destruction totale du Liban s'accompagnerait d'un coût immense pour Israël.
Un an de guerre a déjà eu un impact extrêmement néfaste pour Israël. Outre l'évacuation de la quasi-totalité de la population du nord et du sud, l'activité économique a été affectée par l'appel généralisé de réservistes et les prix ont grimpé en flèche. On estime que 60 000 entreprises israéliennes fermeront leurs portes en 2024 et qu'un grand nombre de petites entreprises seront en difficulté. Effrayées par la situation sécuritaire chroniquement incertaine, des milliers de familles ont tout simplement émigré, imitant ainsi la fuite des cerveaux observée au Liban ces dernières années en raison de l'effondrement de l'économie. Il en résulte, dans les deux pays, une diminution du nombre de professionnels qualifiés – médecins, enseignants, bureaucrates, entrepreneurs. Pourtant, les commandants des deux camps laissent entendre que la véritable guerre n'a pas encore commencé.
Tous les conflits de l'histoire moderne, aussi destructeurs ou décisifs soient-ils, se terminent inévitablement par des négociations et le rétablissement de la paix. Ainsi, la guerre régionale qui se profile coûterait la vie à des dizaines de milliers de personnes et entraînerait une destruction s'élevant à des centaines de milliards de dollars, pour que toutes les parties soient finalement contraintes de se retirer sur les positions qu'elles occupaient avant le conflit avec pour seules conséquences, des veuves éplorées, des orphelins mutilés et des avenirs perdus.
Le conflit ukrainien se déroule avec une futilité comparable. Des centaines de milliers de vies sont gaspillées des deux côtés pour quelques kilomètres de territoire. Le Soudan, quant à lui, est déchiré par deux généraux assoiffés de pouvoir, qui n'ont guère de chances de l'emporter, tout en se livrant à des destructions et à des génocides. De l'Afrique subsaharienne à l'Asie, en passant par le Moyen-Orient, la planète est ravagée par la désintégration d'États en proie à des conflits, ce qui a entraîné une augmentation sans précédent du nombre de personnes déplacées de force, qui s'élève aujourd'hui à 120 millions. Les innombrables déclarations officielles creuses émanant des capitales mondiales sont de plus en plus ridicules à la lumière des crises auxquelles le monde est confronté.
Notre monde manque de garde-fous parce que les organes de règlement des conflits, comme le Conseil de sécurité des Nations unies, ont été paralysés par les rivalités entre les superpuissances, tandis que les pays développés ont abandonné leurs rôles historiques de maintien de la paix. Lorsque l'invasion et l'anéantissement d'un voisin plus faible n'entraînent aucune conséquence, nous devrions nous attendre à ce que cela devienne une pratique diplomatique normalisée sur une planète truffée d'armes nucléaires, alors que l'intelligence artificielle offre des méthodes de guerre jusqu'ici insoupçonnées.
Les innombrables déclarations officielles creuses émanant des capitales mondiales sont de plus en plus ridicules à la lumière des crises auxquelles le monde est confronté.
Baria Alamuddin
Mon amie à Beyrouth a décrit un sentiment d'engourdissement et de perte d'empathie au moment où chaque jour apporte son lot de nouvelles horribles – sur le plan local et dans le monde entier: des funérailles organisées à la hâte l'une après l'autre, une génération entière d'orphelins à Gaza, de nouveaux sommets de cruauté inhumaine.
La terre de Palestine est minuscule: les populations palestinienne, israélienne et libanaise vivent à quelques kilomètres les unes des autres. Les lieux saints musulmans, chrétiens et juifs et les zones résidentielles de Jérusalem sont pratiquement construits les uns sur les autres. S'ils peuvent prier pacifiquement si près les uns des autres, pourquoi ne peuvent-ils pas se résoudre à vivre ensemble en paix? L'une des parties ne peut anéantir l'autre sans infliger à ses propres citoyens des souffrances et des traumatismes inimaginables.
Les deux plus grandes superpuissances du monde, l'Amérique et la Chine, étant engagées dans une course aux armements, les nations réduisent fortement leur niveau de vie afin de consacrer une part plus importante de leur produit intérieur brut à des moyens novateurs de s'entretuer.
Toutes les guerres sont vaines. La leçon universelle à tirer de toute cette misère est simple: si nous ne voulons pas que nos voisins nourrissent le fantasme de nous détruire, nous devons trouver des moyens de coexister pacifiquement avec eux. Si nous voulons que les États et les dirigeants agissent avec moralité et justice, il faut imposer vigoureusement des lois et des normes internationales qui protègent les droits de l'homme et proscrivent l'agression.
À l'exception d'une minuscule classe de seigneurs de la guerre dont l'ego, la réputation et la fortune reposent sur des guerres perpétuelles et des coups de sabre, 99,99% de l'humanité souhaite prospérer dans la paix et la sécurité, en coexistant avec ses voisins. Pour le bien de notre progéniture, faisons de meilleurs choix en sélectionnant des dirigeants sages, justes et humanitaires.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com