La demande de neutralité a refait surface sur les réseaux sociaux libanais. Nombreux sont ceux qui affirment, à juste titre, que le Liban a suffisamment souffert de la guerre et du déclin économique et qu’il doit s’isoler de toutes les parties au conflit. Il s’agit également d’un débat sur l’identité, ou les identités du pays. Et comme il est construit aujourd’hui sur le sectarisme, il est important de noter qu’une majorité de chrétiens favorisent la neutralité, alors qu’une vaste majorité de chiites s’y oppose et qu’une faible majorité de sunnites et de druzes s’y oppose également.
C’est dans ce contexte que l’ancien chef du Parti socialiste progressiste, Walid Joumblatt, a rejeté l’idée que le Liban adopte la neutralité. Il a affirmé que la neutralité était impossible pour le Liban en raison de l’état d’hostilité permanent avec Israël, qui persiste depuis la trêve de 1949. Il a également noté que la neutralité nécessiterait un consensus international, similaire à l’expérience de la Suisse en 1815, mais il a souligné que le Liban, en tant que pays arabe et membre de la Ligue arabe, ne peut pas discuter de la neutralité tant qu’il est en conflit avec Israël.
Certains analystes ont attribué cette position à l’attaque à l’attaque de roquettes de juillet sur Majdal Shams, qui a tué 12 enfants de la communauté druze et pour laquelle Joumblatt a rejeté les déclarations israéliennes. Toutefois, le dirigeant druze a affirmé que sa position sur cette question était cohérente et inchangée depuis le début de sa carrière politique. Joumblatt sait très bien lire les changements géopolitiques. Après tout, il avait prévu la dégradation des mouvements anti-syrien et anti-Hezbollah avec la perte du soutien occidental. Il n’avait pas tort.
“Nombreux sont ceux qui affirment, à juste titre, que le Liban a suffisamment souffert de la guerre et du déclin économique et qu’il doit s’isoler.”
Khaled Abou Zahr
Le moment choisi pour sa déclaration visait à apaiser les tensions internes, mais je suis convaincu qu’il a compris que l’administration américaine actuelle et une éventuelle présidence Harris seraient plus sévères à l’égard d’Israël. Malgré quelques contradictions, la plupart des déclarations et actions américaines révèlent ce changement. La décision du Royaume-Uni de ne plus autoriser l’exportation de composants militaires clés vers Israël est un signal clair. Pourtant, la réalité est que cela ne profitera jamais au Liban, mais seulement au Hezbollah. En outre, le Liban n’a rien gagné d’autre que la destruction de cet engagement. Dans ce scénario, Joumblatt cherche à survivre en cas de retournement de la situation. Mais les Druzes et les Libanais méritent mieux que de s’en sortir et de survivre simplement parce que la lutte vient de l’intérieur.
La neutralité peut-elle apporter la stabilité et est-elle possible à atteindre? Si l’on considère le statut du Liban, on se rend compte qu’Israël s’est retiré unilatéralement du Sud-Liban. Quant aux fermes de Chebaa, le régime syrien les a laissées dans l’incertitude, refusant de reconnaître si elles sont syriennes ou libanaises. En théorie, il n’y a donc aucune raison pour que le Liban poursuive sa résistance. Mais le scénario syrien révèle comment les luttes géopolitiques externes se traduisent par des batailles internes.
Il est également évident que la neutralité seule n’est pas une solution. Il faut un nouveau système politique qui dissipe le risque d’implosions ou qui pousse le pays à suivre toute nouvelle idéologie politique conflictuelle. Le Liban peut et doit s’immuniser contre ce cycle historique qui n’a cessé de détruire le pays, mais seulement si le changement vient de l’intérieur. Et cela ne l’extrait en aucun cas de la région, mais apaise au contraire toutes les parties.
Tout le monde s’accorde sur la nécessité d’un changement. Ceux qui espèrent qu’il viendra de l’ingérence étrangère et de l’application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies vivent dans un monde illusoire – en particulier en ce qui concerne l’article visant à mettre fin à la présence de toutes les milices armées. Personne ne viendra sauver le Liban. Aucun soldat ne viendra forcer l’application d’une quelconque résolution de l’ONU. Ainsi, tant que le Hezbollah sera armé et légitimé par la communauté internationale, il n’y aura guère d’espoir de changement si les Libanais ne prennent pas les choses en main.
“Personne ne viendra sauver le Liban. Aucun soldat ne viendra forcer l’application d’une quelconque résolution de l’ONU.”
Khaled Abou Zahr
Attendre que les puissances régionales accordent au Liban la neutralité ou même le fédéralisme est un exercice inutile. C’est la présence d’un mouvement fort sur le terrain qui fera une réalité. Et ce mouvement doit rassembler toutes les communautés religieuses du Liban. Il est grand temps de rétablir la souveraineté du Liban et de s’unir pour son drapeau.
Il est intéressant de noter que, alors que Joumblatt cite la Suisse comme un exemple difficile à suivre, ce pays est en train de sortir de la neutralité. La semaine dernière, une commission de sécurité suisse a recommandé de revoir la neutralité militaire traditionnelle de la Suisse afin de permettre une coopération plus étroite en matière de défense avec l’OTAN et l’UE. Le rapport, motivé par des préoccupations sécuritaires accrues à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, suggère une application plus souple de la neutralité, en l’alignant sur la Charte des Nations Unies et en mettant l’accent sur la distinction entre l’agresseur et la victime.
La Commission a préconisé une coopération plus étroite avec l’OTAN et l’UE afin de renforcer les capacités de défense, d’augmenter le budget de la défense et de renforcer l’industrie de l’armement pour faire face aux menaces émergentes, telles que la guerre hybride. Ce rapport a provoqué une onde de choc au sein de la population, d’autant plus que le parlement suisse s’est prononcé contre un rapprochement avec l’OTAN en juin dernier.
C’est en effet un environnement géopolitique et militaire difficile qui met une fois de plus le Liban sur une voie dangereuse. Tout comme la Suisse analyse un changement historique, il existe un sentiment global d’un choc imminent qui secouera l’ordre mondial actuel. Il est donc d’autant plus urgent que le Liban se transforme, en commençant par son système politique étrangère.
Malheureusement, les Libanais ne peuvent pas entamer un débat parce qu’ils affirment que le Hezbollah contrôle tout, et que se plier à sa règle est une solution encore pire. Je les invite à débattre et à se mobiliser indépendamment de ce statut et à discuter des possibilités de neutralité et de fédéralisme entre les groupes religieux. Le passé et le présent sont si sombres qu’il n’y a rien de mal à essayer de viser un avenir meilleur par le biais d’un véritable changement.
Khaled Abou Zahr est le fondateur de SpaceQuest Ventures, le PDG d'EurabiaMedia et le rédacteur en chef d'Al-Watan Al-Arabi.
Avertissement : les opinions exprimées par les auteurs dans cette section sont les leurs et ne reflètent pas nécessairement le point de vue d'Arab News.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com