La semaine dernière, on a beaucoup parlé de la protestation d’un petit nombre de militants pro-palestiniens lors d’un rassemblement de campagne présidentielle à Détroit en faveur de la vice-présidente américaine Kamala Harris.
Bien que le président Joe Biden se soit retiré des élections présidentielles de novembre, et qu’il ait soutenu Haris pour qu’elle prenne sa place, celle-ci ne deviendra pas officiellement candidate démocrate qu’à l’issue de la convention du parti qui se tiendra à Chicago le 22 août.
Biden s’est retiré pour plusieurs raisons, mais les démocrates n’en reconnaissent qu’une seule – celle du fait que sa prestation lors du débat contre Donald Trump le 27 juin était si mauvaise qu’il n’avait pas le choix, puisque de plus en plus de personnalités du parti et de donateurs l’ont encouragé à se retirer. Insistant d’abord sur le fait qu’il resterait le candidat officiel, Biden a cédé 25 jours plus tard, le 21 juillet.
Cependant, même s’il ne s’était pas retiré, Biden risquait d’être battu en raison directe des manifestations organisées à travers les États- Unis par des Arabes, des musulmans et des progressistes irrités par son soutien aux crimes de guerre commis par Israël dans la bande de Gaza, où plus de 40 000 Palestiniens, dont la majorité sont des civils, et près de la moitié des femmes et des enfants, ont été tués.
Le mouvement #AbandonBiden dans le Minnesota, soutenu par plusieurs campagnes de protestation connexes, notamment “LeaveitBlank”, “VoteUncommitted” et “ListentoMichigan” dans d’autres états, a considérablement changé la direction des votes dont Biden avait besoin pour vaincre Trump.
Peu de personnes aux États-Unis étaient prêts à accorder une reconnaissance quelconque aux manifestants anti-Biden, balayant le mouvement du revers de la main et considérant le vote arabe et musulman comme insignifiant.
Les commissions électorales de certains états ont refusé de quantifier le vote anti-Biden. De nombreux médias grand-public ont marginalisé les chiffres. Les alliés politiques de Biden, y compris ceux financés par le lobby politique israélien, l’American Israel Public Affairs Committee, ont ignoré les manifestants ou les ont diabolisés, en les qualifiant de “manifestants pro-Hamas”, dans le but de les relier à l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023, qui a coûté la vie à 1 200 Israéliens.
Une campagne a été menée pour faire croire que les Arabes et les musulmans n’ont pas de voix ou d’influence dans les prochaines élections présidentielles.
Cependant, Harris ne devrait pas croire les médias anti-arabes et anti-musulmans, ni la campagne politique d’exclusion, et doit en revanche admettre qu’ils joueront un rôle important dans plusieurs états qu’elle devrait gagner pour vaincre Trump.
Le vote arabe et musulman aux élections présidentielles de novembre est le talon d’Achille de Harris.
“Une campagne a été menée pour faire croire que les Arabes et les musulmans n’ont pas de voix.”
Ray Hanania
Lorsqu’un petit nombre de manifestants a interrompu le discours de la vice-présidente à Détroit en criant: “Kamala, vous devez demander un cessez-le-feu à Gaza”, et “Kamala, Kamala, vous ne pouvez pas vous cacher, nous ne voterons pas pour un génocide”, elle a répondu avec colère: “Je parle maintenant… Vous savez quoi? Si vous voulez que Donald Trump gagne, dites-le. Sinon, c’est moi qui parle”.
Sa réponse a été une énorme gaffe politique qui a suscité un débat animé dans de nombreux états clés, où les Arabes et les musulmans ont montré, lors des élections primaires démocrates des six derniers mois, qu’ils pouvaient détourner des milliers de voix de Biden, réduisant ainsi à rien sa faible marge de victoire sur Trump en 2020.
Dans le Michigan, plus de 130 000 Américains Arabes et musulmans ont voté non pas pour Trump, mais contre Biden lors des élections primaires démocrates. Biden n’a remporté l’État que par 154 000 voix en 2020.
En Arizona, 47 800 Américains Arabes et musulmans ont voté contre Biden, qui a remporté l’État avec seulement 10 457 voix. Au Minnesota, 45 914 personnes ont voté “blanc”. Biden a remporté cet État par 233 012 voix. La situation est similaire en Pennsylvanie, au Wisconsin et en Géorgie.
Les démocrates craignent de reconnaître le vote anti-Biden et la probabilité qu’il augmente si Harris refuse de prendre au sérieux la communauté arabe et musulmane.
Harris aurait pu répondre de manière positive à la dernière manifestation. En les méprisant comme elle l’a fait, elle a méprisé l’ensemble de la communauté arabe et musulmane américaine, ainsi que tous les électeurs américains qui soutiennent la demande qu’Israël mette fin au carnage à Gaza.
La vice-présidente aurait dû reconnaître la douleur de la communauté arabe et musulmane.
Nous comprenons toutefois pourquoi elle a eu peur de le faire. Le lobby israélien a ciblé et vaincu 264 candidats qui ont soutenu les droits des Palestiniens ou critiqué la violence du gouvernement israélien.
Deux parmi ceux qui ont été vaincus par l’AIPAC, qui a versé des millions dans les coffres de leurs rivaux, sont Jamaal Bowman, membre afro-américain du Congrès à New York, et Cori Bush, membre du Congrès dans le Missouri.
Les Afro-Américains ont été de fervents défenseurs de la justice pour les Palestiniens, et il est certain que la communauté arabe et musulmane américaine doit faire preuve de prudence lorsqu'elle proteste contre Harris.
Mais plus important encore, Harris doit montrer qu’elle n’est pas une politicienne qui peut être contrôlée par l’argent de l’AIPAC et les lobbies pro-israéliens qui ont une grande influence sur les élections américaines.
Harris devrait savoir que la majorité des Américains arabes et musulmans ont exprimé leur volonté de coopérer avec elle, comme le maire de Dearborn, Abdullah Hammoud, qui a déclaré: “Nous pensons que la porte est ouverte, qu’il y a maintenant une opportunité de dialogue, pour que nous comprenions comment la vice-présidente Harris va se différencier du président Biden sur la question de Gaza”.
La réponse de Harris aux manifestants a été une erreur. Elle montre qu’elle n’a peut-être pas la force de s’opposer au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui non seulement fait face à trois accusations de corruption en Israël, mais a aussi été condamné par le procureur général de la Cour pénale internationale, Karim Khan, qui a annoncé en mai qu’il demanderait des mandats d’arrêt contre le dirigeant israélien et des personnalités du Hamas pour des accusations de crimes de guerre.
La Cour internationale de justice a jugé que l’occupation israélienne de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem-Est était illégale.
Mais il paraît que Harris a plus peur de ce que l’AIPAC et certains démocrates pro-israéliens peuvent faire pour saboter sa campagne.
Elle ne vaut donc pas mieux que Biden.
Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur plusieurs fois primé de la mairie de Chicago. Il peut être joint sur son site Internet personnel à l’adresse suivante: www.Hanania.com
X: @RayHanania
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d'un article paru sur Arabnews.com