C’est sans aucun doute une des gigantesques surprises de ces élections législatives anticipées en France. L’extrême droite qui était au bord du pouvoir a été stoppée net dans son élan. Tous les sondages donnaient déjà les clefs de Matignon à son chef Jordan Bardella. Marine Le Pen et la direction du RN se pavanaient déjà avec assurance sur les plateaux de télévision comme si aucune force ne pouvait les priver de et exploit annoncé par les sondages.
Mais la douche fut froide et la surprise fracassante. Le RN a certes doublé le nombre de ses sièges mais est resté loin de réaliser le rêve d’une majorité relative. Son recul par rapport aux prévisions des sondages fut si net qu’il fut relégué à la troisième place derrière le nouveau front populaire et le bloc ensemble d’Emmanuel Macron.
Comme expliquer alors cette dégradation en comparaison avec le haut du pavé annoncé par les sondeurs ? Plusieurs raisons se nichent derrière cette frustration du RN. La première et la plus spectaculaire est celle d’avoir à évoquer entre le deux tours la question de binationaux. En mettant une lumière crue sur cette problématique, Jordan Bardella voulait camoufler auprès de son électorat les nombreux renoncements économiques auxquels il a précédé pour polir l’image de son parti et plaire aux milieux de la finance qui doutaient de sa capacité à gérer efficacement le pays.
Or la question de la binationalité fut aussi explosive que choquante pour une opinion française qui avait senti le désir du RN de créer des catégories des Français et de nourrir un racisme d’Etat extrêmement préjudiciable à une harmonie indispensable à la paix sociale. Et quand il était question de coupler cette attaque contre les binationaux, accusés officiellement d’être des traitres ou des doubles agents en puissance avec l’obsession de remettre en cause le droit de sol, le RN est apparu aux yeux de la majorité des Français comme un danger pyromane et se sont précipités en masse dans les urnes pour le priver de cette victoire dessinée avec certitude par le double dynamique des européennes et du premier tour des législatives.
La seconde raison qui pourrait expliquer pourquoi le charme du RN soit brusquement rompu entre les deux tours est à trouver dans la découverte par l’opinion français de profils de nombreux candidats RN qui a aspiraient à la députation. Entre une ignorance crasse d’un minima politique et économique à cette ambition de représentation nationale, des postures à la limite de la débilité mentale, un racisme et un antisémitisme décomplexés, ces candidats RN ont donné le vrai visage de cette extrême droite.
Résultat amplifié par les réseaux sociaux, le processus de dédiabolisation auquel Marine Le Pen avait procédé pour créer une nouvelle vitrine du parti avait pris du plomb dans l’aile, avortant des années de retenue et de faux semblants. L’image donnée par le RN est celle d’un parti mal préparé économiquement à gérer le pays, avec un héritage inquiétant dans ses rapports avec l’altérité et une pyromanie sociale assumée.
Le RN avait, dans ses tentatives d’expliquer cet échec, rappelé à juste titre que le parti d’extrême droite avait doublé le nombre de ces députés et dispose aujourd’hui d’un groupe plus massif au parlement qui lui garantirait un mégaphone politique encore plus puissant pour faire circuler ses idées et tenter d’élargir le périmètre de sa séduction. Le RN utilisera cette tribune parlementaire pour préparer les futures échéances électorales comme les municipales de 2026 et les présidentielles de 2027.
Pour Marine Le Pen qui aspirait à utiliser ces législatives comme une rampe de lancement pour l’Elysée, c’est un coup dur. Échouer si près de but à cause d’une mauvaise stratégie de communication d’entre les deux tours et une défaillante politique de gestion de ressources humaines et de casting politique ne pourra pas rester sans conséquence. Il faut s’attendre à ce que cette frustration à la fois de la base et de la direction RN puisse connaître quelques grincements et demander des comptes pour une stratégie qui a nourri tant d’espoirs et qui s’est fracassée devant le réel de la vie politique française dont la grande morale indique aujourd’hui que les Français ne sont toujours pas prêts à confier les clefs de leur destin à l’extrême droite.
Mustapha Tossa est un journaliste franco-marocain. En plus d’avoir participé au lancement du service arabe de Radio France internationale, il a notamment travaillé pour Monte Carlo Doualiya, TV5 Monde et France 24. Mustapha Tossa tient également deux blogs en français et en arabe où il traite de la politique française et internationale à dominance arabe et maghrébine. X: @tossamus
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.