L’Europe sera-t-elle toujours la même? Le président français, Emmanuel Macron, a convoqué des élections législatives anticipées après une défaite écrasante de son parti et d’autres partis modérés lors des élections européennes qui ont pris fin dimanche. Les partis d’extrême droite, dont le Rassemblement national de Marine Le Pen, ont remporté une victoire écrasante avec près de 40% des voix.
L’extrême droite a également dépassé toutes les prévisions en Autriche, en Allemagne et aux Pays-Bas. Le parti quasi fasciste, Alternative pour l’Allemagne, a connu une progression étonnamment solide, malgré le tollé suscité par un entretien télévisé au cours duquel un responsable du parti doutait que les officiers SS nazis génocidaires soient des criminels, et malgré des enquêtes menées sur les fonds reçus du Kremlin par le parti.
Les nationalistes d’extrême droite font déjà partie intégrante des gouvernements de coalition dans sept États membres de l’Union européenne (UE) et des régimes en Hongrie, en Italie et en Autriche. Les nationalistes de droite sont arrivés en tête des élections générales belges du week-end, ce qui a contraint le Premier ministre libéral, Alexander De Croo, à démissionner. Six mois après les élections aux Pays-Bas, le Parti de la liberté (extrême droite) a finalement réussi, le mois dernier, à constituer une coalition décrite comme la plus à droite de l’Histoire moderne. À contre-courant de cette tendance, les fascistes et les xénophobes de la droite autoritaire ont été, au moins temporairement, remis à leur place, lors des élections en Pologne, au Portugal et en Espagne.
L’impact déstabilisateur des populistes de droite sur la politique occidentale se définit par des discours haineux anti-immigrés et des politiques fantaisistes qui attirent l’attention – comme la volonté de réduire l’immigration nette à zéro, avec des conséquences néfastes sur les économies dépendantes d’une main-d’œuvre étrangère bon marché et des revenus des touristes étrangers, des étudiants et des investisseurs. Les récits racistes de guerre culturelle entraînent des conséquences néfastes sur la cohésion sociale au sein de sociétés multiculturelles et diversifiées, rappelant la polarisation et les tendances extrémistes violentes de l’Europe des années 1930 avant la Seconde Guerre mondiale.
«La planète n’a jamais eu autant besoin de dirigeants clairvoyants, prêts à se mobiliser pour résoudre les problèmes mondiaux fondamentaux.»
- Baria Alamuddin
Dans une démonstration de la toxicité brutale de la politique populiste, la Première ministre danoise a été attaquée la semaine dernière et le Premier ministre slovaque a survécu à une tentative d’assassinat. Le conspirationnisme, la désinformation et les fake news propagées dans les écosystèmes électoraux, provenant principalement de Chine, de Russie et d’Iran, exacerbent la volatilité et l’imprévisibilité de la démocratie. Mais le monde a-t-il atteint l’apogée du populisme ailleurs? Au cours d’une année électorale unique, avec plus de quatre milliards de personnes – soit plus de la moitié de la population mondiale – se rendant aux urnes dans plus de quarante pays, les tendances politiques n’ont jamais semblé aussi incohérentes ou fragmentées.
Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a beaucoup parié sur des thèmes provocateurs en matière de religion, cherchant à mobiliser l’électorat majoritairement hindou, mais son parti au pouvoir, Bharatiya Janata, s’est retrouvé avec une part des voix considérablement réduite. Les Indiens ordinaires se soucient bien plus du niveau de vie, d’une gouvernance compétente et des services publics que des diatribes islamophobes incitant à la révolte.
M. Modi reste au pouvoir, mais sans majorité globale, et encore moins avec la «supermajorité» dont il se vantait. Il devra modérer considérablement son programme pour conserver ses partenaires de coalition. Une opposition dynamique a décrit le résultat comme un mandat visant à «sauver la démocratie».
Des hommes forts et autoritaires sont également en difficulté ailleurs. En Turquie, les victoires significatives de l’opposition aux élections locales constituent une critique cinglante du président, Recep Tayyip Erdogan. En Iran, le taux de participation aux élections législatives du mois de mars et du mois de mai a été désastreux, tombant à un peu plus de 20% à Téhéran. Il y a très peu d’enthousiasme pour le vote de ce mois-ci visant à remplacer le défunt président, Ebrahim Raïssi. Les efforts visant à museler les médias, à réduire les libertés civiles, à paralyser le système judiciaire et à criminaliser les opposants politiques ne font que mobiliser les gens contre les élites antidémocratiques. Au Mexique, la candidate de gauche, Claudia Sheinbaum, a remporté une victoire écrasante à l’élection présidentielle et en Afrique du Sud, le Congrès national africain, gangrené par la corruption, a perdu sa majorité électorale après trente ans de domination tout au long de l’ère postapartheid.
Pas plus tard qu’en 2019, un discours chauvin en faveur du Brexit a remporté un vote infaillible en Grande-Bretagne. Mais l’opinion publique s’est brusquement inversée, laissant le parti travailliste d’opposition pratiquement assuré d’une majorité à l’issue des élections parlementaires du mois prochain. Le parti conservateur a été dépassé par sa propre rhétorique populiste, anti-immigration et anticulture. Les travaillistes occupent désormais le devant de la scène, tandis que le parti xénophobe Reform UK évince les conservateurs de l’aile droite.
Cependant, la bataille la plus titanesque de l’année entre les valeurs démocratiques et un populisme démagogique sans vergogne aura lieu en novembre. L'égoïsme, les divisions et les condamnations pénales de Donald Trump auraient dû rendre sa candidature inconcevable, mais en raison de l’âge de Joe Biden, de son impopularité et de ses faux pas dans la guerre à Gaza, de nombreux observateurs considèrent un second mandat présidentiel de M. Trump – avec tous les traumatismes et les risques qui l’accompagnent – comme fort probable.
Les résultats des élections de ces derniers mois sont moins le fruit d'un glissement de l'opinion publique vers la gauche ou la droite que d'un mécontentement général à l’égard du statu quo. Aux États-Unis, la plupart des électeurs expriment peu d’enthousiasme pour l’un ou l’autre candidat. Le dénominateur commun des électeurs – que ce soit en Grande-Bretagne, en Inde, en Afrique du Sud, en Iran ou en Turquie – est la colère face à la baisse du niveau de vie et à l’incapacité des élites dirigeantes à améliorer de manière significative la vie des gens.
Alors que les conflits à Gaza, en Ukraine et au Soudan se prolongent, la planète n’a jamais eu autant besoin de dirigeants clairvoyants, prêts à se mobiliser pour résoudre les problèmes mondiaux fondamentaux d’injustice, d’instabilité, d’inégalité et de détérioration de l’environnement.
Les démagogues comme Marine Le Pen, Donald Trump et Viktor Orban n’ont aucune réponse à ces défis, même s’ils exploitent impitoyablement la colère aveugle exprimée par des personnes qui se sentent laissées pour compte par leur système politique.
Les victoires électorales sont souvent relativement faciles pour les populistes éhontés, avec des programmes politiques trompeurs et sources de division qui mobilisent leurs partisans contre les immigrés, les minorités et d’autres groupes démographiques défavorisés. Nous vivons une époque dangereuse et imprévisible, mue par des sentiments fugaces dans l’opinion publique et les votes de protestation contre l’état désastreux des partis politiques risquent d’aggraver infiniment la situation.
Seuls les citoyens qui prennent conscience des mensonges racistes et moralement défaillants des populistes peuvent ouvrir la voie à des dirigeants véritablement déterminés à prendre les décisions difficiles qui sont nécessaires pour changer le monde pour le meilleur.
Baria Alamuddin est une journaliste et animatrice ayant reçu de nombreux prix au Moyen-Orient et au Royaume-Uni. Elle est rédactrice en chef du Media Services Syndicate et a interviewé de nombreux chefs d’État.
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.co