En 1968, les manifestations étudiantes contre la guerre du Vietnam se sont propagées dans les universités et les collèges américains après la diffusion de reportages télévisés qui ont exposé le public aux horribles atrocités commises contre les civils vietnamiens. Les images, les manifestations et la réaction excessive et violente des autorités ont affaibli la nation, perturbé le processus de l’élection présidentielle cette année-là et, finalement, contribué à forcer les États-Unis à se retirer du Vietnam en 1973.
La guerre du Vietnam a été une défaite humiliante pour les États-Unis: la nation la plus puissante du monde a succombé face à un adversaire prétendument plus faible. Le bilan humain, des deux côtés, a été considérable. Plus d’un million de Vietnamiens, pour la plupart des civils, et 58 000 soldats américains ont été tués. Le système politique américain a également payé le prix fort.
Les manifestations contre la guerre ont eu lieu à un moment crucial pour les Américains, alors qu’ils se préparaient à choisir un nouveau président. Les manifestations étudiantes se sont déroulées de manière spectaculaire lors de la Convention nationale démocrate qui s’est tenue à Chicago en août 1968. Hubert Humphrey avait surmonté un défi lancé par son compatriote progressiste démocrate Eugene McCarthy pour remporter l’investiture du parti à la convention. Mais cette victoire a été entachée par la façon dont les États-Unis ont traité les manifestants – de jeunes étudiants en colère contre les mensonges sur la guerre du Vietnam. Les représentants du gouvernement ont dénigré les étudiants; la police les a battus et arrêtés.
Ce qui s’est produit en 1968 se reproduit aujourd’hui et, «comme par hasard», a également une incidence considérable sur l’élection présidentielle. Une répétition des affrontements de 1968 est possible lors de la Convention nationale démocrate de 2024, qui se tiendra de nouveau en août à Chicago.
En 1968, les manifestants exigeaient la fin de la guerre du Vietnam ainsi que celle du massacre de civils et de soldats. Ils scandaient le slogan de la mobilisation populaire: «Le monde entier regarde.» La réaction violente du gouvernement et de la police a nui à l’image des États-Unis à travers le monde. La confrontation entre la police et les étudiants qui manifestaient lors de la Convention nationale démocrate de 1968 a été si violente qu’une commission nationale, créée plus tard pour examiner ce qui s’était passé, a conclu qu’il s’agissait d’une «émeute policière».
Les manifestations n’ont pas convaincu les démocrates de modifier leur politique et ils ont continué à soutenir la guerre. Les dirigeants du parti ont dénigré les étudiants et ont cherché à les punir, à les expulser, à leur infliger des amendes et à les arrêter.
Les partis démocrate et républicain ont tous deux soutenu la guerre du Vietnam, tout comme le soutien bipartisan actuel au carnage israélien à Gaza.
«Ce qui s’est produit en 1968 se reproduit aujourd’hui et, «comme par hasard», a également une incidence considérable sur les élections présidentielles.»
Ray Hanania
Ensuite, le président démocrate Lyndon Johnson a renforcé l’implication des États-Unis dans la guerre, mais il a été tellement affecté par le tollé qu’il a refusé de se présenter de nouveau. Cette année-là, Humphrey a perdu l’élection face au républicain Richard Nixon, qui a plongé le pays plus profondément dans le conflit vietnamien au cours de son premier mandat, mais qui a désespérément recherché «la paix honorable» pour tenter de sauver son second mandat. Nixon a finalement été contraint de démissionner à cause du scandale du Watergate.
Les manifestations étudiantes se sont poursuivies au-delà des élections de 1968. Le 4 mai 1970, en réponse aux manifestations antiguerre des étudiants à la Kent State University, la garde nationale de l’Ohio a abattu quatre étudiants et en a blessé neuf autres lors de ce qui est devenu une journée de honte nationale. Les meurtres ont provoqué une grève étudiante à l’échelle nationale qui a conduit à la fermeture de centaines d’universités et de collèges. Les Américains ont alors commencé à se demander s’il était juste de soutenir la guerre.
La réponse injustifiée et violente des États-Unis aux étudiants a affaibli la détermination du pays et contribué à son retrait humiliant du Vietnam.
Aujourd’hui, plus de cinquante ans plus tard, les États-Unis suivent la même voie. Les politiciens et les policiers répondent aux manifestations sur les campus contre le carnage américano-israélien dans la bande de Gaza au moyen de la violence excessive, de la diabolisation et de l’injustice.
Les manifestants contre la guerre du Vietnam ont été qualifiés de communistes, d’agitateurs extérieurs et de terroristes. Ils ont été victimes de violences policières et d’arrestations. Aujourd’hui, le gouvernement et la police vont encore plus loin, qualifiant les manifestants d’adeptes du terrorisme et, pire encore, les accusant faussement d’être antisémites, même si beaucoup d’entre eux sont juifs.
Israël a massacré plus de 34 000 Palestiniens à Gaza et le conflit s’étend lentement à la Cisjordanie. Les politiciens utilisent la même propagande qu’en 1968, affirmant que des agitateurs extérieurs sont à l’origine des manifestations dans le but de les discréditer et de détourner l’opinion publique des principes fondamentaux qui animent les manifestations.
«Il suffit de voir qui critique les étudiants avec le plus de virulence et qui reçoit le plus d’argent pour soutenir Israël.»
Ray Hanania
Les étudiants portent un message clair que la police et les politiciens semblent ne pas vouloir entendre – un message similaire à celui qui a été lancé par les manifestants antiguerre en 1968. Arrêtez le génocide. Arrêtez les tueries. Des milliers de femmes et d’enfants innocents sont tués. Mettez fin à la guerre.
Au lieu de faire preuve d’empathie et de compréhension face aux préoccupations des étudiants, de nombreux élus du Congrès mènent la charge contre les critiques de la guerre à Gaza. Mais ce n’est pas surprenant. En 1968, l’opposition politique au mouvement de contestation était naturelle. Aujourd’hui, la majorité des élus qui attaquent le mouvement étudiant propalestinien ont reçu des millions de dollars en fonds de campagne de la part de comités d’action politique pro-israéliens.
Il suffit de voir qui critique les étudiants avec le plus de virulence et qui reçoit le plus d’argent pour soutenir Israël. Le sénateur républicain Mitch McConnell, par exemple, a qualifié les manifestants antiguerre de Gaza d’«antisémites» et d’«étudiants nazis». McConnell a reçu près de deux millions de dollars (1 dollar = 0,93 euro) des comités d’action politique pro-israéliens. D’autres sénateurs attaquant les manifestants étudiants, comme Chuck Schumer, Ted Cruz et Marco Rubio, ont reçu plus d’un million de dollars des comités d’action politique pro-israéliens.
L’histoire se répète souvent. Comme l’a écrit le philosophe George Santayana: «Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter.»
Le financement continu par les États-Unis de la guerre menée par Israël à Gaza et son refus de reconnaître le génocide en cours auront les mêmes répercussions négatives et durables sur sa politique que la réponse aux manifestations contre la guerre du Vietnam en 1968. Les similitudes sont troublantes et il est impossible d’en faire abstraction.
Ray Hanania est un ancien journaliste politique et chroniqueur plusieurs fois primé de la mairie de Chicago. Il peut être contacté sur son site Internet personnel à l’adresse suivante: www.Hanania.com
X: @RayHanania
NDLR: L’opinion exprimée dans cette page est propre à l’auteur et ne reflète pas nécessairement celle d’Arab News en français.
Ce texte est la traduction d’un article paru sur Arabnews.com